Action climatique et "spirale du silence" : les gens ont tendance à sous-estimer la part d'action des autres, constate François Gemenne

Tous les samedis, franceinfo décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.

Article rédigé par franceinfo - François Gemenne
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Temps de lecture : 5min
En France, 85% des personnes souhaiteraient que le gouvernement en fasse davantage pour le climat. En Chine, c'est 97%. Photo d'illustration. (HALFPOINT IMAGES / MOMENT RF/GETTY)
En France, 85% des personnes souhaiteraient que le gouvernement en fasse davantage pour le climat. En Chine, c'est 97%. Photo d'illustration. (HALFPOINT IMAGES / MOMENT RF/GETTY)

Quel est cet étrange phénomène, qu'on appelle la "spirale du silence" ? Une grande majorité des gens souhaitent qu'on agisse davantage face au changement climatique, et pourtant ils ont l'impression d'être tout seuls à souhaiter cela. Alors souvent ils se découragent. Mais dès qu'ils s'aperçoivent que les autres participent en réalité, ils s'impliquent davantage.

franceinfo : Qu'est-ce que la "spirale du silence" ?

François Gemenne : Connaissez-vous ce sentiment, celui d'avoir l'impression d'être le seul à vouloir agir face au reste du monde ? C'est une des grandes raisons pour lesquelles les gens se sentent souvent impuissants face au changement climatique. Et c'est un discours qu'on entend souvent en France aussi, l'idée que notre pays serait le seul à agir pour la transition, tandis que les autres ne feraient rien… Une très vaste étude a tenté d'objectiver ce phénomène, en interrogeant 130 000 personnes dans 125 pays – avec un échantillon représentatif par pays. Eh bien, en moyenne, 89% de la population mondiale estiment que leur gouvernement devrait en faire davantage pour lutter contre le changement climatique. En France, ils sont 85%, ce qui est dans la moyenne européenne. Dans certains pays on approche des taux stratosphériques avec 97% en Chine ou 95% au Brésil. À l'inverse, on atteint seulement 74% aux États-Unis, où les attentes vis-à-vis du gouvernement sont à l'évidence plus limitées.

Mais ça reste facile de demander que son gouvernement en fasse davantage, on n'est pas directement concerné soi-même ?

C'est là que l'expérience devient plus intéressante, parce qu'on a discuté d'argent : on a demandé aux gens s'ils seraient prêts à consacrer 1% de leurs revenus à la lutte contre le changement climatique. En moyenne, dans le monde, il y a 69% des gens ont répondu favorablement. En Europe, c'est 65% - là encore, la France est dans la moyenne – et en Chine, ça monte à 80%. Mais, alors que les gens sont une grande majorité à accepter de consacrer 1% de leurs revenus au climat, ils pensent qu'ils sont une minorité – en moyenne, 43%. Ils sous-estiment donc la potentielle contribution des autres.

Ce n'est que du déclaratif. Est-ce plus compliqué quand il faut signer le chèque ?

Une autre expérience a été menée aux Etats-Unis. On donnait 450 dollars aux gens (environ 400 euros), et on leur demandait s'ils étaient prêts à en donner une partie à une ONG qui investit dans les énergies renouvelables. Eh bien, en moyenne, les gens donnaient la moitié de cet argent à l'ONG, et gardaient l'autre moitié pour eux. Mais là encore, ils étaient convaincus que les autres participants ne donnaient pas d'argent, et gardaient tout pour eux. Et quand on leur disait que les autres participants donnaient aussi de l'argent à l'ONG, alors les gens étaient prêts à donner davantage.

C'est d'ailleurs quelque chose que nos ONG ont bien compris.

Bien sûr, c'est pour ça qu'on filme le standard téléphonique des dons, lors de la grande soirée du Téléthon. C'est aussi pour ça que les ONG mettent en scène le progrès de leur récolte de dons sur les réseaux sociaux, etc. Si on a l'impression que les autres agissent aussi, alors on va être prêt à en faire davantage soi-même. À l’inverse, si on a l'impression d'être seul à agir, on va avoir tendance à se décourager.

C'est le cas au niveau individuel, mais c'est aussi le cas dans la négociation internationale. L'accord de Paris repose sur l'idée que les engagements des uns sont alignés sur ceux des autres : "Je m'engage à faire ceci si toi tu t'engages à faire cela." C'est pour cela que le désengagement américain est une très mauvaise nouvelle, pas seulement pour les émissions de gaz à effet de serre additionnelles, mais surtout pour le signal que ça envoie aux autres.

Vous avez déjà rappelé, dans une précédente chronique, que la transition était aussi affaire de dynamique collective.

Exactement. C'est pour ça que cette étude menée dans 125 pays est importante, parce qu'elle montre qu'une très vaste majorité des gens souhaitent davantage d'action face au changement climatique. Mais le problème c'est qu'on entend surtout ceux qui veulent en finir avec la transition, et que ça donne donc aux gouvernements l'impression que la transition n'est pas portée par une volonté populaire.

Et donc, si on veut réussir la transition, le grand défi consiste à faire entendre la voix de la majorité, sur ce sujet. C'est ça que Greta Thunberg avait bien compris, en rassemblant les gens dans des grandes manifestations. Et ça manque un peu, en ce moment, une écologie qui puisse rassembler les gens.

 

 

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