Transition écologique : et si on vivait tous en colocation en 2050 ?
Partager des lieux d'habitation permet de rentabiliser les espaces, de mutualiser des équipements ainsi que les dépenses énergétiques : une piste intéressante pour réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au logement.
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Cet article a été publié une première fois en 2023 par le média Nowu, spécialisé en écologie.
Le logement est un poste d'émission de gaz à effet de serre important, et privilégier la colocation ou la cohabitation pourrait être une manière de faire baisser ces émissions.
Une étude publiée dans Environmental Research Letters a effectivement estimé que des logements plus petits et partagés peuvent permettre de réduire l'empreinte carbone jusqu'à 1 tonne par personne et par an, grâce à plusieurs avantages.
Éviter l’étalement urbain et les nouvelles constructions
En France, sur 100 logements, 74 sont sous-occupés. Çela peut signifier soit qu'il y a plus de place dans ces logements que ce qui est nécessaire pour leurs occupants, soit qu'ils ne sont occupés qu’occasionnellement, soit qu'ils sont vacants.
Jean-Christophe Visier, chargé de prospective CSTB-ADEME (Agence de la Transition Écologique) explique qu’effectivement, le type de logements qui existe actuellement était conçu pour des familles nombreuses. "Mais aujourd'hui, on vit moins nombreux avec l’augmentation des divorces, le nombre d’enfants qui diminue et la population vieillissante qui vit souvent seule ou à deux."
Construire de nouveaux bâtiments pour loger tout le monde génère de l’artificialisation des sols et nécessite des matériaux qui polluent comme le ciment qui représente 7% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Il faudrait donc imaginer des façons de réutiliser ce qui existe déjà, comme le font déjà certaines personnes. Lucile V. a par exemple décidé de partager son logement avec deux colocataires : "Je me suis séparée du père de mes enfants il y a un an, j’ai gardé la maison mais je ne concevais pas de vivre dans un espace aussi grand où il restait 2 chambres non utilisées." Adrien A. et Juliette M. ont quant à eux choisi d’acheter la moitié d’une vieille maison, qu’ils partagent donc avec un autre couple. "Ce type de partage évite d’aller faire des lotissements un peu partout alors que certaines maisons de 14 pièces n’ont que 3 ou 4 pièces vraiment occupées", explique Adrien.
Dominique Gauzin-Müller, architecte-chercheuse explique, elle, que les habitats peuvent être imaginés pour évoluer au fil de la vie : par exemple 2 étages reliés pour une famille qui peuvent être séparés en deux appartements distincts quand les enfants quittent la maison.
Mutualiser pour faire des économies d’énergie
L’étude publiée dans Environemental Research Letters explique également que lorsque les gens vivent ensemble, ils partagent chauffage, climatisation, éclairage : en occupant moins d’espace (parce que certaines pièces sont partagées avec d’autres), on réalise des économies d'énergie.
D’ailleurs, Jean-Christophe Visier considère qu’on pourrait revoir la manière de calculer les diagnostics de performances énergétiques des bâtiments : aujourd’hui ils sont calculés au mètre carré, donc l'étiquette est la même que l'appartement soit occupé par une ou trois personnes.
D’après une étude de l’APUR que nous commente Jean Christophe Visier, cela se voit à Paris : "On a tendance à penser qu’on consomme plus dans les quartiers populaires car l’isolation est moins bonne, mais c'est dans les quartiers aisés que la consommation par personne est la plus élevée, parce que les logements sont plus grands et moins de personnes vivent dedans."
Sans aller jusqu’à la colocation complète, certaines formes de cohabitation ou de partage peuvent avoir des avantages similaires. Comme l’explique Adrien, "un bâtiment partagé en deux, où d’autres se chauffent, crée forcément une inertie thermique".
Partager des équipements
Se lancer dans la colocation ou la cohabitation permet aussi de mutualiser d’autres choses que l’espace et le chauffage. Lucile raconte par exemple partager la machine à laver, Adrien parle du vieux four à pain qui est au centre de la maison et commun aux deux couples.
"Comme ce sont du matériel ou des pièces dont on ne se sert pas tout le temps, autant que ce soit partagé."
Lucile V., mère célibataire en colocation avec deux étudiantes
Nathalie Ortar, socio-anthropologue qui travaille beaucoup sur la question des logements et de la transition énergétique explique que ce sont des choses qui sont déjà répandues dans certains pays comme la Suède, avec une buanderie commune par immeuble, par exemple.
Favoriser le partage des espaces d'habitation
Malgré les atouts écologiques de ces modes d'habitation, il reste des obstacles à leur développement, à commencer par les habitudes de logement. La colocation est répandue chez les jeunes, mais beaucoup moins dans d’autres segments de population. Ça ne veut pas dire cependant qu'aucune évolution n'est possible.
"Jusque dans les années 1950, c’était naturel, et la plupart des gens habitaient à la campagne avec plusieurs générations sous le même toit."
Nathalie Ortar, socio-anthropologue
Pour elle, sans revenir à cet exact modèle, il serait envisageable de faire cohabiter plusieurs générations sans qu'elles soient forcément de la même famille. Dominique Gauzin-Müller évoque l’exemple d’associations qui mettent en relation des étudiants et des personnes âgées, ce qui permet au-delà de l’aspect écologique de recréer des liens sociaux, de se rendre des services mutuellement, etc.
Lucile V. estime pour sa part que cela a aussi un intérêt "pédagogique" : "Mes enfants sont ravis ! Il y a des gens à la maison et ça leur permet d’ouvrir un peu leur esprit au monde qui les entoure."
L’autre frein est de pouvoir trouver les lieux permettant de faire vivre ce type de projets : les bâtiments adaptables, ou les terrains à réinvestir comme certaines friches.
D'autres obstacles peuvent intervenir au niveau administratif : la propriété privée reste très importante culturellement en France, acheter en commun n'est donc pas évident d’un point de vue humain, mais ça ne l'est pas non plus du point de vue juridique.
Pour favoriser la mutualisation des espaces, Jean-Christophe Visier propose de taxer davantage en fonction des mètres carrés inoccupés.
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