Vrai ou faux
Existe-t-il un lien entre la vaccination contre le Covid-19 et le cancer, comme le suggère Didier Raoult ?

Si les deux études relayées par l'ex-directeur de l'IHU de Marseille observent une corrélation entre les deux phénomènes, celles-ci ne démontrent pas de lien de cause à effet.

Article rédigé par Armêl Balogog, Linh-Lan Dao
France Télévisions - Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Didier Raoult donne une conférence de presse sur le Covid-19 à l'IHU de Marseille le 20 avril 2022. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)
Didier Raoult donne une conférence de presse sur le Covid-19 à l'IHU de Marseille le 20 avril 2022. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

"C'est nous les gentils ! Vaccin Covid et cancer". Un tweet qui sème le doute, à une semaine du début des campagnes de vaccination contre la grippe et le Covid-19 mardi 14 octobre. Le controversé microbiologiste Didier Raoult a suggéré, le 6 octobre sur X, l'existence d'un lien de causalité entre le vaccin contre le Covid-19 et une hausse des cas de cancers, déclenchant une vague d'indignation auprès de médecins engagés dans la lutte contre la désinformation médicale. 

"Deux études, une italienne portant sur 300 000 cas et une sud-coréenne portant sur huit millions de cas, exposent des études épidémiologiques rapportant une augmentation des cancers chez les vaccinés (+37%) de plus chez les vaccinés en Corée", écrit l'ancien président de l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille. Le médecin termine par un appel à avoir "des réponses scientifiques pour une fois" et à ce que ces études soient reproduites.

Le tweet de Didier Raoult a été lu plus de 600 000 fois et a été mentionné dans la nouvelle émission de Cyril Hanouna. Cette sortie a d'abord suscité l'adhésion des communautés antivax et covido-sceptique, qui soutiennent le microbiologiste de 73 ans, depuis qu'il a affirmé que l'hydroxychloroquine était efficace pour lutter contre le Covid-19, en 2020. Une position qui lui a valu un désaveu de la communauté scientifique : ses travaux sur le sujet ont été dépubliés et il a été interdit d'exercer la médecine pendant deux ans.

Cinq ans plus tard, avec son message établissant un lien entre vaccin et cancer, l'ancien professeur, aujourd'hui retraité, s'attire à nouveau les foudres de ses confrères.

"Didier Raoult présente les choses de manière alarmiste et non objective. Il met en avant des chiffres d'augmentation de cas de cancer, sans expliquer ce que cela veut dire. Il induit un lien entre la vaccination Covid et une explosion de cas."

Jérôme Barrière, membre du conseil scientifique de la Société française du cancer

à franceinfo

 

Or, "l'ensemble de faisceaux de preuves disponibles rend excessivement improbable l'existence de ce lien", tranche l'oncologue Jérôme Barrière, membre du conseil scientifique de la Société française du cancer

Une réduction de la mortalité chez les vaccinés

Alors, que disent les études citées par Didier Raoult ? Dans la première, publiée en juillet, 11 chercheurs italiens des universités de Bologne et de Ferrare ont analysé les données hospitalières de la région de Pescara, dans le centre de l'Italie, entre juin 2021 et décembre 2023. Pendant cette période de 30 mois, près de 300 000 personnes âgées de plus de 10 ans ont été prises en charge à l'hôpital, dont une grande majorité de patients vaccinés contre le Covid-19 (83,3%). L'étude a voulu déterminer, en comparant cette population à celle non vaccinée, s'il existait un surrisque de décès et d'hospitalisation pour cancer, selon le statut vaccinal.

Les chercheurs italiens ont d'abord constaté que "la mortalité [toutes causes confondues] chez les non-vaccinés était nettement supérieure à celle des personnes ayant reçu au moins une dose ou au moins trois doses de vaccin". La mortalité des non-vaccinés représente quasiment le double (3,56%) de celle des vaccinés ayant reçu au moins une dose (1,93%). "On meurt moins que les autres quand on est vacciné", résume auprès de franceinfo Manuel Rodrigues, vice-président de la Société française du cancer et coauteur avec Jérôme Barrière et le pharmacologue Mathieu Molimard d'une tribune contre la désinformation médicale dans L'Express.

"C'est quand même le résultat principal de cette étude, et Didier Raoult omet de le mentionner", souligne-t-il. 

Des résultats inconstants

Autre constat des chercheurs : les vaccinés présentaient un risque plus élevé d'être hospitalisés pour cancer (+23% pour ceux ayant reçu une ou deux doses et +9% pour ceux ayant reçu trois doses) que les non-vaccinés. Le délai minimal entre la vaccination et l'hospitalisation retenu pour cette analyse était de six mois. Cependant, lorsque ce délai passait à 12 mois, le groupe ayant reçu une dose ne présentait plus de risque significatif, et celui ayant reçu trois doses montrait un risque d'hospitalisation significativement réduit (-10%) par rapport aux non-vaccinés. Concernant les types de cancer étudiés (colorectal, vessie, sein, poumon, prostate), les risques étaient aussi variables d'un délai à l'autre. 

"Parmi les critères permettant d'établir un lien de causalité entre deux phénomènes, il y a la temporalité, explique Manuel Rodrigues. En théorie, après l'injection, on devrait voir le risque d'hospitalisation augmenter dans le temps."

"En l'occurrence, dans l'étude italienne, les chercheurs voient que ce risque augmente dans les 12 premiers mois, avant de s'inverser, passé ce délai. Cela veut dire que l'association statistique est instable, et donc qu'elle n'est pas réelle."

Manuel Rodrigues, vice-président de la Société française du cancer

à franceinfo

Du fait de l'inconstance de ces résultats, les auteurs mêmes de l'étude reconnaissent qu'on ne peut pas imputer les cas de cancer au vaccin contre le Covid-19. "Nous obtenons des données contradictoires qui ne nous permettent pas de tirer des conclusions claires", admet auprès de franceinfo Lamberto Manzoli, coauteur de l'étude, professeur de médecine et de sciences chirurgicales à l'université de Bologne, rappelant qu'il s'agit là de "résultats préliminaires"

"De nombreux militants du mouvement antivax essaient de passer en revue nos données pour prouver l'existence d'une association entre le vaccin contre le Covid-19 et le cancer. Mais celle-ci n'est pas démontrée par notre étude. Ce lien existe peut-être, mais il reste encore beaucoup de chemin avant de le démontrer", estime Lamberto Manzoli, qui espère voir ses travaux de recherche répliqués.

Une différence entre corrélation et causalité

L'étude italienne comporte par ailleurs de nombreuses limites méthodologiques et d'interprétation, d'ailleurs détaillées dans la publication.

Contrairement à un essai clinique, où les chercheurs interviennent sur les groupes étudiés, afin de prouver un lien de cause à effet entre deux phénomènes, les universitaires italiens ont simplement mené une étude observationnelle, comparant deux groupes à la recherche d'hypothèses.

Ils ont donc constaté une corrélation, ou un semblant de lien entre vaccination contre le Covid-19 et risque d'hospitalisation pour cancer, sans pour autant l'expliquer."Dans son message, Didier Raoult ne fait pas de distinction entre corrélation et causalité", dénonce Jérôme Barrière. 

"C'est comme conclure que le fait de manger une glace augmente le risque de se noyer. En réalité, le facteur commun, c'est la chaleur : quand il fait chaud, on va plus se baigner, et on va également plus manger de glaces."

Jérôme Barrière, membre du conseil scientifique de la Société française du cancer

à franceinfo


Selon l'oncologue, l'étude italienne montre que "lorsqu'on a un cancer, on a plus de chances d'être vacciné".

Des populations peu comparables

Les auteurs de l'étude mettent en garde contre un autre biais : les vaccinés étaient plus âgés que les non-vaccinés (dix ans en moyenne), et se trouvaient davantage à l'âge où apparaissent les premiers cancers. "Les personnes non vaccinées étaient peut-être des personnes jeunes, et moins à risque, tandis que les personnes vaccinées, une, deux, trois fois, étaient probablement des personnes plus à risque de développer un cancer, avance Manuel Rodrigues. Or, quand on veut comparer deux populations, il faut que celles-ci soient comparables."

Les chercheurs italiens alertent aussi sur le biais du "vacciné en bonne santé" : il est admis par la communauté scientifique que les personnes en bonne santé se font davantage vacciner que les autres. Ils expliquent que les vaccinés font plus confiance à la médecine et qu'ils ont peut-être tout simplement consulté plus de médecins, et donc été davantage diagnostiqués que les autres pendant la période d'observation de l'étude.

Un manque de "plausibilité biologique"

L'étude sud-coréenne présente des limites similaires. Quatre chercheurs ont analysé les données médicales des services de santé du pays, soit près de 8,5 millions de personnes entre 2021 et 2023. "Nos données ont montré des associations entre la vaccination contre le Covid-19 et un risque accru de six types de cancer", conclut-elle. 

La publication constate une prévalence des cancers de la thyroïde (+35%), gastrique (+33%), colorectaux (+28%), des poumons (53%), des seins (19%) et de la prostate (+68%) chez les patients vaccinés, un an après l'injection. L'étude observe également une prévalence de 125% du cancer du pancréas chez les vaccinés ayant reçu au moins une dose de rappel.

Pour Manuel Rodrigues, les deux études présentent un problème de "plausibilité biologique", autre critère nécessaire pour établir un lien de cause à effet. "Je ne vois pas bien comment, en injectant une dose dans le bras, on augmenterait le risque de cancer du sein ou de la vessie, à l'autre bout du corps. Logiquement, les premiers cancers qui devraient augmenter devraient être ceux du bras, les sarcomes. De plus, le mécanisme selon lequel un vaccin à ARN messager crée une tumeur n'a pas été reproduit in vitro", rappelle-t-il.

Comme l'étude italienne, les travaux sud-coréens évoquent une simple "association" entre vaccination et cancer, sans jamais conclure à une relation de causalité entre les deux. "Des études complémentaires sont nécessaires pour élucider les liens de cause à effet potentiels", écrivent les auteurs à plusieurs reprises.

Des vaccinés plus à même de se faire dépister un cancer 

L'étude a par ailleurs déjà été critiquée par des pairs, en charge de la valider. Le suivi des deux groupes, qui n'a duré qu'un an, "risque bien plus d'observer des cancers préexistants [avant la vaccination] que de détecter de nouveaux cancers", souligne un observateur sur le site PubPeer. "Ce n'est pas en six mois ou un an qu'on peut observer un surplus de cancers. Il faudrait voir sur dix ans", abonde Jérôme Barrière.

L'observateur de l'étude sud-coréenne évoque lui aussi un "biais de surveillance classique", selon lequel "les personnes vaccinées ont davantage de contacts avec le système de santé, surtout dans un contexte de rebond des dépistages post-pandémiques. Donc davantage de cancers sont dépistés."

"Présenter ces études [italienne et sud-coréenne] comme des preuves, incitant potentiellement la population, notamment les plus fragiles, à ne pas aller se faire vacciner alors que l'épidémie est toujours présente, c'est irresponsable", s'indigne Jérôme Barrière. Une étude de l'OMS de 2024 montre en effet que les vaccinations contre le Covid-19 ont permis de sauver plus de 1,4 million de vies dans la région européenne de l'organisation onusienne. "La démarche scientifique de publier est bonne. Il ne faut pas tirer à boulets rouges sur ces chiffres et ces résultats, mais sur ceux qui les surinterprètent", plaide son confrère Manuel Rodrigues. 

 

 

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