"Je continue de me battre pour que leurs voix soient entendues" : le journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi publie "Femme, vie, liberté"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Lundi 10 février 2025 : le journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi. Il publie "Femme, vie, liberté : un reporter infiltré au cœur de la révolte iranienne", aux éditions du Rocher.

Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le journaliste Mortaza Behboudi, le 15 septembre 2024, à Paris. (SAMEER AL-DOUMY / AFP)
Le journaliste Mortaza Behboudi, le 15 septembre 2024, à Paris. (SAMEER AL-DOUMY / AFP)

Mortaza Behboudi est un réalisateur et grand reporter franco-afghan, réfugié en France depuis 2015 après avoir vécu dans la rue. Il a été fait prisonnier par les talibans le 7 janvier 2023 et libéré le 18 octobre après 284 jours de détention. Il a obtenu le prix Bayeux des correspondants de guerre en 2022 pour son reportage Les petites filles afghanes vendues pour survivre, diffusé sur France 2. Aujourd'hui, il publie le livre Femme, vie, liberté aux éditions du Rocher avec Marine Courtade. C'est une ode à la liberté, un hommage à toutes ces femmes qui luttent pour vivre et survivre. Ce livre est né au lendemain de la mort de Mahsa Amini survenue le 16 septembre 2022, trois jours après avoir été arrêtée pour non-respect du port du voile. Elle est devenue, malgré sa disparition, le cri de toute une jeunesse qui résonne dans le monde entier.

franceinfo : Ce livre est donc un cri d'espoir ?

Mortaza Behboudi : Oui, en tant que journaliste, ici en France, on a vu ces images publiées sur les réseaux sociaux, on les a donc partagées, on les a likées, mais en fait, pour moi, c'était frustrant. Pourquoi ne peut-on pas aller sur place ? Ce n'est pas possible. C'est mon devoir d'y aller, creuser, enquêter et le raconter. C’est un mouvement né après la mort de Mahsa Amini, par ces femmes incroyablement courageuses, mais il y avait des hommes aussi et c'est pourquoi le mouvement est devenu un mouvement historique.

"On a voulu avec Marine Courtade donner la parole à ces activistes de l'ombre."

Mortaza Behboudi

à franceinfo

Comme cette graphiste qui travaille depuis chez elle. Elle était introvertie même en me parlant, mais elle m'a dit : "on se bat depuis notre chambre, on n'a pas besoin d'armes. Notre arme, c'est notre encre, c'est notre outil de travail, notre ordinateur, notre portable". De plus en plus de femmes sortent dans les rues sans foulard et elles organisent des soirées clandestines et donc on voit bien qu'en fait le mouvement Femme, vie, liberté n'est pas éteint.

Vous avez vous-même été arrêté le 7 janvier 2023 par les talibans en Afghanistan, lors d'un reportage. Vous avez été accusé d'espionnage pour les services français. Vous avez été libérée 284 jours plus tard. Vous avez encore du mal à dormir aujourd'hui, est-ce qu'on peut sortir de ces souvenirs de torture ?

C'est très difficile et douloureux pour moi, parce que je suis né en Afghanistan, j'ai grandi en Iran. Je reçois beaucoup de messages de femmes et de jeunes filles iraniennes et afghanes qui me disent : "il ne faut pas nous oublier". Je continue de me battre pour que leurs voix soient entendues. Et ça me donne aussi de l'énergie pour ne pas penser à mes cauchemars toute la nuit. C'est difficile, oui, mais moi, je préfère continuer à en parler, à faire des reportages et donc à dénoncer ces régimes.

Le fait de vouloir plonger les femmes dans un mutisme, quelle est la symbolique de tout ça ? Au-delà de la symbolique religieuse qui finalement n'existe pas réellement dans les textes quand on lit les sourates. La femme est l'avenir de l'homme ?

"Mes amies me disent : ‘Mortaza, tu es le seul homme afghan féministe.’"

Mortaza Behboudi

à franceinfo

Le régime taliban ou le régime iranien a peur des femmes. En Afghanistan, elles sont enfermées chez elles, les filles ne peuvent plus aller à l'école ni à l'université. Alors qu’en Iran, on voit des désobéissances civiles qui, de plus en plus, se répandent partout. Mais ce n'est pas le cas en Afghanistan où elles sont arrêtées, torturées, voire violées dans les prisons des talibans.

Vous êtes un nom très important dans le métier pour justement relayer, raconter ce qui se passe sur le terrain. Que vous apporte ce métier ?

Quand je suis arrivé en France, il y avait certains journaux qui parlaient de la crise syrienne et ils titraient : "Les bateaux arrivent" et cela me choquait alors que j'étais un demandeur d'asile. Pour moi, il faut absolument changer le regard et donner la parole à ces personnes-là. Moi, j'étais à la rue à Paris, personne ne voulait m'entendre parce que les gens pensaient que je demandais de l'argent, mais pas du tout, je voulais être entendu. Un soir, une bénévole des Restos du cœur est venue vers moi : "Monsieur, pourquoi êtes-vous là ? Pourquoi ne parlez-vous pas ? Vous prenez votre soupe, vous êtes assis." J'ai répondu que je ne parlais pas la langue en anglais et tout de suite, elle m'a compris, elle m'a écouté et j'ai raconté en une demi-heure toute mon histoire. J'avais besoin de cela, d'être entendu.

Cela va changer pour vous ? Ce que l'on lit dans le regard et dans les trajectoires que vous nous racontez, c'est le changement, l'envie de s'élever contre ça.

C'est ça. Aujourd'hui, le fait de diffuser l'image d'êtres vivants est un crime en Afghanistan. Aujourd'hui, les caméras de surveillance sont de plus en plus utilisées pour repérer les dissidents. Les talibans sont connectés, sont partout sur les réseaux sociaux et le régime iranien a créé aussi une armée numérique pour attaquer les voix dissidentes et dire : "regardez, ce n'est pas vrai". On a besoin de journalistes locaux, on a besoin de travailler avec eux, on a besoin d'aller vers ces voix locales, aller les entendre et leur donner la parole, bien sûr.

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