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Témoignages
"Sur 15 ans, ça m'a fait perdre 150 000 euros" : comment les inégalités salariales pèsent sur la carrière des femmes cadres
Injonctions contradictoires, sacrifices sur la vie personnelle, "ségrégation professionnelle"... Nombreux sont les obstacles que rencontrent les femmes sur la question salariale, notamment parmi les cadres. Des inégalités qui se creusent au fil de leur carrière et qui sont très mal vécues.
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Des paroles de femmes qui vivent au quotidien les inégalités salariales. Mardi 4 mars, l'Insee a publié de nouveaux chiffres basés sur l'année 2023. Dans le privé, le revenu des femmes est inférieur à 22,2% à celui des hommes. Et ce sont les femmes cadres qui sont les plus touchées. Ces inégalités se creusent au fur et à mesure de la carrière, et on peut s'en apercevoir très tard.
Il a fallu 15 ans à Nathalie, directrice régionale dans une multinationale, pour se rendre compte qu'elle était moins payée. Et un matin, au détour d'une conversation devant la machine à café, "je me suis aperçue en discutant avec mes homologues masculins, que je gagnais environ 1 000 euros par mois de moins qu'eux, raconte-t-elle. Sur 15 ans, ça m'a fait perdre 150 000 euros."
"On cochait toutes les cases, mais on avait moins"
Elle s'indigne, trouve cela scandaleux, mais se dit : "Je suis peut-être un cas isolé." Alors elle compare les fiches de paie de ses collègues. "À chaque fois, les femmes étaient bien au-delà en termes d'expérience dans le poste, de diplômes, de tout ce que vous voulez, on cochait toutes les cases. Et pour autant, on avait moins, déplore-t-elle. Et plus on monte dans la hiérarchie, plus les écarts se creusent."
Nathalie saisit alors l'inspection du travail, elle obtient, pour elle et ses collègues, une augmentation, mais pas d'explication. Elle cherche encore à comprendre. "À chaque fois que j'ai repris le travail après mes grossesses, je n'ai pas eu d'augmentation de salaire, relève-t-elle, et peut-être qu'à l'embauche, je gagnais un peu moins, parce que, sans doute, les femmes ne négocient pas suffisamment leur salaire."
Cette idée que les femmes osent moins demander, Marielle ne veut plus l'entendre. Elle est cadre informatique, et ses rendez-vous RH lui ont laissé de mauvais souvenirs. "Par exemple, quand au bout de quatre ans, je n'avais pas eu une seule augmentation, je l'ai demandée, et on m'a dit : 'C'est pas la peine, vous travaillez déjà à deux, dans votre couple, c'est déjà pas mal.'"
"Ils ne m'ont plus adressé la parole"
Ou cette fois où elle candidate en interne, à un poste de directrice financière, elle demande une augmentation de 15%. "En chœur, ils m'ont répondu : 'Mais enfin, Marielle, pour qui tu te prends ? Vraiment tu nous déçois beaucoup.' Bien sûr, je n'ai pas eu le poste, ni l'augmentation. Mais en plus, ils ne m'ont plus adressé la parole, se souvient Marielle. On est coincées parce que, soit on ne demande pas et on nous dit qu'on n'ose pas, soit on demande et on nous dit qu'on est trop ambitieuses, qu'on a les dents qui rayent le plancher, donc ça ne va jamais."
"Finalement, c'est toujours notre faute."
Marielle, cadre informatiqueà franceinfo
Elle continue à se battre pour sa carrière, enchaîne les journées à rallonge, avec deux enfants en bas âge. "Il a fallu que je fasse des sacrifices énormes sur ma vie personnelle pour qu'à un moment, j'aie des progressions de carrière, déplore-t-elle. Et après je me suis dit : 'Tu n'es pas superwoman, donc il y a des choses que tu ne vas plus faire.' Je me suis mise à sortir à 18 heures, je n'ai plus eu d'augmentations." Et les écarts de salaires augmentent avec le nombre d'enfants, rappelle l'Insee. En moyenne, une mère de trois enfants touche 40% de moins qu'un père de trois enfants.
Une "ségrégation professionnelle"
Pour comprendre ces inégalités salariales, il faut aussi se pencher sur les métiers des femmes. L'Insee parle de "ségrégation professionnelle" : les métiers où l'on retrouve le plus de femmes sont moins rémunérateurs. Anouk, par exemple, est cadre dans le luxe. À son arrivée dans l'entreprise, elle est frappée par la séparation hommes-femmes. "On était que des femmes dans le studio créatif. Toute la partie commerciale était beaucoup plus représentée par des hommes, à des niveaux de salaires beaucoup plus hauts, c’étaient de gros écarts."
Et dans les secteurs traditionnellement plus masculins, comme l'industrie automobile, les femmes sont souvent cantonnées à des branches aux salaires moins élevés. "Quand je me suis fait embaucher, j'avais envie d'aller dans la production, raconte Coralie, ingénieure. La production, c'est vraiment faire une voiture, toucher le produit qu'on est en train de fabriquer. On m'a dit : 'Non, ce n’est pas la place d'une femme, il faut que tu ailles en conception.'
"Être une femme dans certains secteurs, ça passe pas."
Coralie, ingénieureà franceinfo
Elle a également moins de possibilités d'évolutions de carrière. "J'ai fait la comparaison sur deux personnes, deux hommes qui sont sortis de la même promotion que moi, qui ont été embauchés en même temps que moi, ont gravi quatre échelons de plus que moi." Ce qui donne des inégalités hiérarchiques très fortes. Selon l'Insee, deux tiers des postes de cadres dirigeants sont occupés par des hommes. Les derniers chiffres de l'Insee montrent tout de même une petite réduction des inégalités salariales en 2023.
L'écart salarial entre les hommes et les femmes est d'environ 22%, c'est un point de moins que l'année d'avant. "C'est un léger mieux, mais à ce rythme-là, on ne comblera pas les inégalités", note Anne Eydoux, maîtresse de conférences d'économie, spécialiste des inégalités hommes-femmes. Elle note l'amélioration d'un indicateur : la part des femmes dans les dix plus hauts salaires d'une entreprise. "Les femmes ont aussi tendance à devenir un peu plus nombreuses, mieux représentées parmi les cadres, observe-t-elle. Cela réduit les écarts de salaire, même si au sein de la catégorie cadre, les écarts restent élevés."
Les solutions, à ses yeux, pour réduire les inégalités sont d'augmenter les quotas dans les postes à responsabilité et les salaires des postes au bas de l'échelle, majoritairement occupés par des femmes.
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