Reportage
"Comment peut-on disparaître ? C'est insensé" : le village de Cagnac-les-Mines, où vivaient Delphine et Cédric Jubillar, à la recherche de la vérité

Le procès de Cédric Jubillar s'ouvre lundi devant la cour d'assises du Tarn, à Albi. Il est accusé du meurtre de sa femme Delphine, au cours de la nuit du 15 au 16 décembre 2020, à Cagnac-les-Mines, où ils demeuraient avec leurs deux enfants.

Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
Le mausolée devant la maison des Jubillar, septembre 2025. (MATHILDE LEMAIRE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Le mausolée devant la maison des Jubillar, septembre 2025. (MATHILDE LEMAIRE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Alors que le procès de Cédric Jubillar s'ouvre dans le Tarn, lundi 22 septembre, pour le meurtre de sa femme Delphine, le village de Cagnac-les-Mines, où ils vivaient en famille, est en attente de réponses. Dans ce dossier, il n'y a ni aveux, ni corps, ni scène de crime. Il n'y a aucune preuve irréfutable, mais un faisceau d'indices à l'encontre de ce mari qui nie son implication.

La route serpente pour nous mener sur les hauteurs d'Albi. Cagnac-les-Mines est seulement à 8 km de la préfecture du Tarn. Dans cette ancienne cité minière de 2 500 habitants, battue par le vent d'autan, il reste par endroits, près de la pharmacie, devant la mairie, quelques affichettes jaunies par le temps : des avis de recherche de Delphine Jubillar. La jeune femme s'est volatilisée la première nuit après la fin du deuxième confinement imposé en raison de l'épidémie de Covid, en décembre 2020. Soit la première nuit du couvre-feu. Sur ces avis de recherche, Delphine, 33 ans, apparaît jolie, maquillée et très souriante.

Les avis de recherche de Delphine Jubillar apposées dans Cagnac-les-Mines. (MATHILDE LEMAIRE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Les avis de recherche de Delphine Jubillar apposées dans Cagnac-les-Mines. (MATHILDE LEMAIRE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Ici, personne n'a oublié cette infirmière, mère de deux jeunes enfants. Jérémie, 38 ans, l'avait juste croisée une ou deux fois dans la commune, mais sa disparition l'a affecté au point que depuis cinq ans, hiver comme été, il passe des heures et même des jours, chaque semaine, à ratisser les environs. Il quadrille la zone en voiture, puis s'enfonce, rangers aux pieds, dans les très nombreux bois.

"J'ai la conviction que le corps de Delphine a été recouvert, au moins un peu enterré"

Jérémie, tout de noir vêtu, équipé d'un gilet tactique, espère toujours découvrir quelque part ce qu'il resterait du corps de Delphine, que ni les battues citoyennes des premiers jours, ni les fouilles importantes des gendarmes n'ont jamais permis de retrouver. "Quand je pars en recherches, je prends toujours mon sac à dos. À l’intérieur, j'ai des cordes et du matériel d'escalade pour descendre au besoin des parois, j'ai aussi des caméras plus ou moins petites, dont certaines peuvent être immergées. Je ne pars jamais non plus sans mon détecteur de métaux, car j'ai la conviction que le corps de Delphine a été recouvert, au moins un peu enterré. Mais elle portait une couronne dentaire et quelques bijoux que cet engin pourrait peut-être repérer", explique le trentenaire, né le même jour que Delphine Jubillar, à un an près. Ses yeux sont en permanence en train de scruter son environnement. Là, il soulève une grosse pierre, ici, il descend un fossé difficile d'accès.

Jérémie à la recherche du corps de Delphine Jubillar. (MATHILDE LEMAIRE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Jérémie à la recherche du corps de Delphine Jubillar. (MATHILDE LEMAIRE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Au cœur de la forêt, Jérémie nous montre un lieu où il a cru, un instant, il y a quelques mois, être près du but. C'est un puits caché par sept arbres en rond tout autour. Sur le dessus, se trouve une plaque métallique de 50 cm sur 50 cm : "Ici un corps peut passer. J'ai donc décidé d'inspecter ce puits avec mes caméras. Sur une des images que j'ai captées au fond, on voyait comme un crâne humain dans de la vase", raconte-t-il. Il est descendu, a cherché en vain au fond. Il a prévenu les gendarmes qui ont fait un important déplacement. Un gendarme a plongé mais le crâne humain n'était en fait qu'une grosse pierre blanche.

Dans ses recherches jusqu'à 30 km aux alentours, Jérémie a parfois croisé des médiums ou des voyantes avec leurs pendules. L'énigme Jubillar attire toujours les curieux à la recherche de la vérité. Le procès qui débute et doit durer quatre semaines pourrait-il apporter cette vérité ? Faut-il s'attendre à des rebondissements, des aveux ?

"Elle serait forcément revenue"

Ils sont nombreux en tout cas à Cagnac-les-Mines à l'espérer. C'est le cas d'Olga, 74 ans. Sa maison tout en bois est quasi mitoyenne de celle des Jubillar, dans la rue Yves Montand. "Mamie Olga" comme certains l'appellent avec tendresse, connaissait très bien Delphine et aimait beaucoup le petit Louis, fils aîné des Jubillar. Sa paisible retraite a été bouleversée par la disparition de sa chère voisine. La nuit du drame, Olga n'a rien entendu. Son mari Michel, décédé depuis, non plus, contrairement à d'autres voisines de ce petit lotissement qui attestent, elles, avoir perçu des cris de femme la nuit du drame.

"On n'a rien entendu et quand on n'est venu nous prévenir que Delphine avait disparu, on n'a pas compris. On se répétait 'Disparue ? Disparue ? Mais comment peut-on disparaître ? C'est insensé'", commente la septuagénaire. Elle ne croit pas un seul instant que Delphine ait pu souhaiter changer de vie et partir de son propre gré. "Elle pourrait être partie quelques jours pour respirer, mais je la connais, elle aimait trop ses petites, elle serait forcément revenue", affirme-t-elle.

"Garder le silence alors que ça les torture, c'est horrible"

Olga est citée comme témoin au procès. Elle dit être épuisée de repenser à cette terrible histoire mais entend mobiliser toutes ses forces, toute son énergie pour répondre aux questions de la cour d'assises. "Je vais le faire pour Delphine et les enfants. J'entends bien profiter aussi de ma présence à la barre pour m'adresser à Cédric. Il me connaît. Je vais lui dire qu'il doit assumer et parler, s'ouvrir. Ça le soulagera lui-même vis-à-vis du regard que peuvent porter ses enfants sur lui. Les enfants, c'est la chair de ta chair. Garder le silence alors que ça les torture, c'est horrible", ajoute-t-elle.

"Il faut que quelque chose se passe à cette audience, que la vérité éclate."

Olga, citée comme témoin au procès Jubillar

à franceinfo

En quittant le domicile d'Olga dans cette petite rue pentue, on repasse immanquablement devant la maison des Jubillar. Un muret effondré laisse apparaître la bâtisse inachevée aux parpaings orange : pas d'escalier, pas de rambarde, des câbles et des gravats. Le chemin est jonché de vieux jouets en plastique et de bidons entre autres déchets. Les ronces ont envahi le terrain. La voiture blanche de Cédric n'a plus bougé depuis cinq ans. À l'entrée de la parcelle, il y a toujours un mausolée avec quelques vieilles bougies, des fleurs en plastique qui prennent la poussière, une photo cornée de la disparue et cette pancarte : "Justice et vérité pour Delphine, Louis et Elyah", ses deux enfants qui vivent aujourd'hui chez leur tante, la sœur aînée de Delphine.

"On risque d'être déçus"

Justice et vérité, ces deux mots sont sur les lèvres de nombreux habitants. À la sortie de l'école où était scolarisé le petit Louis, les parents d'élèves refusent de parler, souvent par pudeur. Au pied de la petite cathédrale de la Drèche, en retournant en direction d'Albi, là les promeneurs avec leurs chiens et ceux qui prennent là leurs pauses déjeuners sont plus prolixes.

Le volumineux dossier Jubillar au Palais de justice d'Albi. (MATHILDE LEMAIRE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Le volumineux dossier Jubillar au Palais de justice d'Albi. (MATHILDE LEMAIRE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Patrice, la cinquantaine, confie qu'il aurait aimé être tiré au sort pour être juré lors de ce procès d'assises exceptionnel : "Il y a tellement d'interrogations autour de cette disparition que j'aurais aimé chercher à comprendre de l'intérieur. J'imagine bien que ses avocats peaufinent leur stratégie pour tenter de décrocher l'acquittement". "On espère tous beaucoup de ce moment judiciaire, mais on risque d'être déçus. Cédric Jubillar a gardé le silence pendant cinq ans. Je crains qu'il ne dissimule encore la vérité au cours de ces quatre semaines", estime de son côté Max, 60 ans.

Sylvie, la quarantaine, anticipe "un procès très tendu, une sacrée bataille dans le prétoire". Elle va lire la presse, écouter la radio, regarder la télévision attentivement ces prochains jours, et prévoit même - comme plusieurs habitants que nous avons croisés au hasard dans le village - assister à au moins une journée d'audience. Autant de personnes qui viendront grossir les files d'attente à l'entrée du Palais de justice d'Albi au cours de ces quatre semaines d'audience. Seulement 70 à 80 places sont réservées au public.

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.