Procès de Cédric Jubillar : sans corps ni aveux, sur quels éléments reposent les accusations contre le mari de la disparue ?

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Cédric Jubillar et ses avocats Alexandre Martin et Emmanuelle Franck. Le procès s'ouvre le 22 septembre 2025 à la cour d'assises d'Albi (Tarn). (PAULINE LE NOURS / AFP/ MAXPPP / GETTY IMAGES / FRANCEINFO)
Cédric Jubillar et ses avocats Alexandre Martin et Emmanuelle Franck. Le procès s'ouvre le 22 septembre 2025 à la cour d'assises d'Albi (Tarn). (PAULINE LE NOURS / AFP/ MAXPPP / GETTY IMAGES / FRANCEINFO)

Delphine Jubillar-Aussaguel n'a plus donné signe de vie depuis la nuit du 15 au 16 décembre 2020. Cinq ans après, son mari est renvoyé devant la justice pour meurtre par conjoint.

Elle s'est évaporée dix jours avant Noël, alors que la France était en plein couvre-feu sanitaire. Delphine Jubillar-Aussaguel, 37 ans, n'a plus donné de signe de vie depuis la nuit du 15 au 16 décembre 2020. Près de cinq ans après, son mari, Cédric Jubillar, est jugé devant la cour d'assises du Tarn, à partir du lundi 22 septembre. Les juges d'instruction en ont la conviction : malgré l'absence de corps, la mort de cette infirmière de nuit, mère de deux enfants, ne fait aucun doute. Et comme ils l'écrivent dans leur ordonnance de mise en accusation, consultée par franceinfo, il existe suffisamment d'indices graves et concordants contre son époux, renvoyé devant la justice pour meurtre par conjoint.

Ce peintre-plaquiste de 38 ans, qui clame son innocence, est le dernier à avoir vu son épouse vivante lorsqu'il signale sa disparition à la gendarmerie, à 4h09. Le couple, marié depuis 2013, est en pleine instance de divorce. Ce contexte fait partie des éléments à charge retenus contre Cédric Jubillar, une séparation imminente étant souvent le premier motif du passage à l'acte dans les féminicides.

De la jalousie aux menaces de mort

Or, Delphine Jubillar-Aussaguel s'apprêtait à déménager, comme en témoigne notamment ce papier retrouvé sur la table du salon de leur domicile à Cagnac-les-Mines : "A louer, hyper-centre, dispo, rue Porta". Ainsi que des annotations sur une enveloppe sur l'organisation d'une garde partagée pour les vacances de Noël. Le mardi 15 décembre, elle échange par ailleurs 58 messages avec son amant, jusqu'à 22h55. Les tourtereaux se réjouissent de leur futur aménagement, et du fait que la compagne de cet homme, rencontré quelques mois plus tôt, accepte la rupture.

Delphine Jubillar, disparue depuis la nuit du 15 au 16 décembre 2020, à Cagnac-les-Mines (Tarn). (CAPTURE ECRAN FRANCE 2)
Delphine Jubillar, disparue depuis la nuit du 15 au 16 décembre 2020, à Cagnac-les-Mines (Tarn). (CAPTURE ECRAN FRANCE 2)

Cédric Jubillar, lui, ne se résout pas à perdre sa femme. Selon plusieurs témoignages de proches recueillis pendant l'enquête, la situation est très tendue les semaines précédant la disparition. "Obsessionnel", l'accusé veut savoir si "Delf" a un amant. Autre sujet de conflit : l'avenir de leur maison, ce pavillon de briques rouges inachevé, dont il a acheté le terrain sans jamais réussir à terminer les travaux.

Sans CDI ni situation professionnelle stable, notamment du fait de sa consommation de stupéfiants (évaluée à dix joints de cannabis par jour), Cédric Jubillar dépend financièrement de Delphine, dont il emprunte la carte bancaire. Suspicieux, il se met à consulter l'historique de son épouse dès le mois d'août et à la questionner sur ses achats de lingerie, ses réservations de nuitées sur la plateforme Booking et ses locations de voiture. La jeune femme confie à sa meilleure amie et son amant se sentir "fliquée" et "persécutée". Il tente même de géolocaliser son portable.

Les doutes de Cédric Jubillar sur l'infidélité de son épouse se confirment trois semaines avant la disparition. Louis, leur fils alors âgé de 6 ans, confie avoir assisté à une visio avec "le copain de maman". "Si elle un amant, je la lui ferai à l'envers", lâche-t-il devant la meilleure amie de Delphine, le 20 novembre. D'autres proches rapportent des menaces verbales plus précises.

"J'en ai marre, je vais la tuer, je vais l'enterrer, personne ne la retrouvera." 

Cédric Jubillar

selon des propos rapportés par sa mère aux gendarmes

Le week-end du 12-13 décembre, il répète à un ami venu l'aider à rentrer du bois : "Ça ne se passe pas bien, j'ai envie de l'enterrer." Des "paroles en l'air" pour "se défouler", car il se sentait "pris pour un con", assure plus tard Cédric Jubillar devant les enquêteurs.

Une dispute et des cris

En plus de ce contexte de séparation conflictuelle, la justice met en évidence plusieurs éléments inhabituels dans le déroulement de la soirée et de la nuit de la disparition ainsi que des contradictions dans la version de Cédric Jubillar. Il affirme que son téléphone s'est éteint, faute de batterie, à 22h08, alors qu'il promenait les chiens après le dîner. Or, les investigations ont démontré que l'appareil avait été mis volontairement sous tension, puis rallumé à 3h53. Soit huit minutes après que Cédric Jubillar a été réveillé, selon lui, par les pleurs de sa fille de 18 mois. Eteindre aussi longtemps son téléphone n'est pas dans ses habitudes, notent les enquêteurs.

La nuit des faits, Cédric Jubillar assure par ailleurs que sa femme est allée, comme tous les soirs, promener leurs chiens après avoir regardé l'émission "La France a un incroyable talent" avec leur fils Louis. Il était alors 23 heures ou minuit, et lui était couché, décrit-il. Or, tous les témoins interrogés sont unanimes : Delphine ne promenait jamais les chiens seule, et encore moins la nuit, car elle avait peur du noir. Autre incohérence : Cédric Jubillar assure ne pas s'être relevé, alors que son fils raconte avoir entendu ses parents se disputer après son coucher, entre 22h55 et 22h59. L'enfant affirme avoir vu, par l'interstice de la porte, son père et sa mère s'empoigner entre le canapé et le sapin de Noël. Selon Cédric Jubillar, Louis s'est trompé de jour. Mais cette scène a été jugée crédible lors de la reconstitution.

Selon les juges, la dispute s'est poursuivie à l'extérieur de la maison. Car d'autres témoignages importants fragilisent la version du mis en cause. Deux voisines sont formelles sur le fait d'avoir entendu depuis leur terrasse les cris d'une femme ayant du mal à reprendre son souffle. Elles évoquent aussi des aboiements, aux alentours de 23 heures. Là encore, les tests effectués pendant la reconstitution se sont révélés concluants, selon les juges d'instruction. Autre point troublant rapporté par le voisinage : la voiture de Delphine Jubillar-Aussaguel était garée dans le sens de la montée, comme à son habitude, le 15 décembre au soir. Le 16, au petit matin, la Peugeot 207 l'était dans le sens de la descente. Les gendarmes ont par ailleurs relevé des traces de condensation sur les vitres du véhicule, pouvant être expliquée par une présence humaine à l'intérieur.

De nombreuses incohérences

S'agissant des autres éléments matériels incriminants, les enquêteurs ont retrouvé les lunettes de la disparue en morceaux sur l'îlot de la cuisine, ainsi qu'une branche derrière le canapé. Selon Louis, sa mère les portait ce soir-là. Même si elles étaient abîmées, les experts ont exclu qu'une simple chute ait pu les mettre dans cet état, privilégiant un coup porté par un adulte.

Le fait que cette femme myope soit sortie en pleine nuit sans ses lunettes, mais aussi sans ses papiers ni ses clés, en plein couvre-feu, paraît en outre peu plausible. Seul le pyjama qu'elle portait et son téléphone portable n'ont pas été retrouvés. Ce dernier est pourtant resté dans la zone et a cessé d'émettre à 7h48. Mais il a été déverrouillé manuellement à 6h52. Bien que Cédric Jubillar a soutenu qu'il ne connaissait pas le code, les magistrats estiment qu'il a pu le découvrir en espionnant sa femme les derniers mois. Et à cette heure-là, il était seul à l'intérieur de la maison, pendant que les gendarmes effectuaient des recherches à l'extérieur.

Par ailleurs, à leur arrivée, les forces de l'ordre surprennent Cédric Jubillar en train de mettre une housse de couette – et non une couette comme il l'affirme initialement – dans la machine à laver. Si aucune trace de sang significative n'a été retrouvée dessus, pas plus que dans la maison ni dans la voiture, l'accusation souligne que la mort de sa femme peut résulter de coups ou d'un étranglement. De l'ADN de Delphine Jubillar a par ailleurs été retrouvé en quantité sur le pyjama de son mari.

Une attitude qui interroge

L'attitude de Cédric Jubillar après le supposé départ de sa femme interroge également les juges. "Je cherche DELF partout", écrit-il à une amie sur Messenger avant de composer le 17. Selon le podomètre de son téléphone, il n'a pourtant parcouru que 160 m. Ses nombreux appels passés sur le portable de sa femme ne pèsent pas lourd face au reste. Dès le 16 décembre au soir, Cédric Jubillar reprend ses habitudes. ll va retirer 20 euros avec la carte de Delphine pour acheter des stupéfiants et se connecte à un site pornographique.

Les jours suivants, selon ses proches, le mari ne cherche pas tant que cela sa femme. Dès le mois de janvier, il reprend une vie sentimentale. Selon une de ses nouvelles compagnes, Séverine, il se prend pour "une star" en raison de la couverture médiatique de la disparition de son épouse, allant jusqu'à demander de l'argent aux journalistes qui souhaitent l'interroger. Un comportement qui persiste en détention, selon ses co-détenus, qu'il sollicite pour venir regarder des reportages le concernant.

Comme le relèvent les juges, Cédric Jubillar plaisante sur le fait d'avoir commis le crime parfait, se vantant de balader les enquêteurs en faisant des confidences à droite et à gauche sur la façon dont il aurait tué celle qu'il appelle "l'autre" la "pute" ou "la traînée" avant de l'enterrer, à proximité d'une ferme brûlée ou d'un terrain agricole. Encore peu de temps avant son procès, la justice a entendu une petite amie qui affirme avoir recueilli au parloir des révélations sur le crime. Celle-ci sera entendue à la barre.

La défense plaide l'erreur judiciaire

Depuis le début, les avocats de Cédric Jubillar martèlent de leur côté que le dossier est vide, que les gendarmes ont cherché dans une seule et même direction et que leur client est victime d'une erreur judiciaire.

"Au-delà des élucubrations des uns des autres, quels sont les éléments de preuve ?"

Alexandre Martin, l'un des avocats de Cédric Jubillar

à l'AFP

Pour la défense, d'autres pistes n'ont pas été davantage exploitées. Une thèse balayée par les juges d'instruction. "Des investigations minutieuses et exhaustives" ont permis, selon eux, d'écarter les pistes du suicide, d'un départ volontaire, d'un rôdeur de passage, d'un accident, d'une vengeance de la femme de l'amant ou d'un amoureux éconduit. Lundi, c'est bien Cédric Jubillar qui prendra place dans le box des accusés. Le procès doit durer un mois. 

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.