:
Reportage
"C'est un scandale sanitaire" : dans la Meuse, les habitants vivent au rythme des distributions d'eau en bouteille
Début juillet, les autorités ont interdit aux habitants de 16 villages des Ardennes et de la Meuse de boire l'eau du robinet, après que des tests ont montré la présence de polluants éternels à des taux jamais vus en France.
/2025/07/21/richard-habitant-de-han-les-juvigny-687e97724bf9b432049343.jpg)
C'est la colère et l'inquiétude des habitants de 16 villages des Ardennes et de la Meuse, touchés par une pollution record aux per- et polyfluoroalkylées, plus connus sous le nom de PFAS, des substances chimiques très persistantes. À Han-lès-Juvigny, 120 habitants vivent, depuis deux semaines, au rythme des distributions d'eau en bouteille.
Dans le couloir de l'entrée de la maison de Sandrine et son père, les packs d'eau s'entassent. Alain, agriculteur à la retraite, montre du menton le robinet de l'évier interdit d'utilisation depuis deux semaines. "On subit, mais on ne sait pas sur quoi cela agit, si c'est sur le pancréas ou sur les reins", s'inquiète-t-il.
/2025/07/21/vue-de-han-les-juvigny-687e987a2621a669690697.jpg)
"Une catastrophe"
Sa fille, Sandrine, s'inquiète aussi des risques qu'ils encourent. "On nous a dit qu'on pouvait laver nos légumes, qu'on pouvait cuisiner avec et même cuire des pâtes... Cela signifie que les PFAS vont dans les pâtes ?On se pose des questions sur tout mais on n'a pas de réponse", témoigne-t-elle. Béatrice, sa sœur, a repris l'élevage familial sur la colline et est un peu désabusée. "De toute manière, on est plus à un verre près, cela fait 20 ans qu'on en boit. J'ai un échantillon de lait qui est parti en analyse, on est cinq agriculteurs concernés dans le secteur", explique-t-elle.
"On a demandé à faire une prise de sang et l'ARS a refusé, en disant que, pour l'instant, il n'y a pas de seuil. Ils ne savent pas à partir de quel moment, cela peut être dangereux."
Sandrine, habitante de Han-lès-Juvignyà franceinfo
À la mairie du village, Christian Saunois a les yeux creusés en raison du manque de sommeil. "Une météorite s'est écrasée sur nous, c'est une catastrophe. Il s'agit surtout de la santé des gens", lâche l'édile. Il montre les analyses de l'eau affichées sur le mur. Elles ont toujours été excellentes avant qu'on ne lui annonce, le 4 juin, que l'eau n'est plus conforme aux exigences de qualité réglementaires, dépassant de dix fois la norme.
Depuis que "la bombe a explosé", le maire doit gérer la distribution de l'eau en bouteille pour tout le monde. "Pour ma commune, c'est 300 litres d'eau par jour, à 20 centimes le litre d'eau, cela fait un peu plus de 20 000 euros à l'année et cela n'a jamais été prévu au budget", rappelle-t-il. Désormais, il faut aussi lancer des études pour trouver une nouvelle nappe phréatique, un chantier qui risque de prendre des années.
Une usine de papeterie tenue pour responsable
Tout le monde pointe du doigt l'usine de papeterie situé à Stenay. Désormais, les grands bâtiments de tôle sont vides, le site a fermé en 2024. Malgré tout, l'Agence régionale de santé souligne que"la pollution pourrait être liée à l'épandage, sur des parcelles agricoles situées à proximité des captages d'eau potable, de boues papetières susceptibles de contenir des PFAS. Cette origine reste à confirmer et des travaux d'investigation complémentaires sont en cours". Les rejets de la station d'épuration du site étaient distribués comme engrais aux agriculteurs du coin. "Ces produits, on les a côtoyés tous les jours, on se dit aujourd'hui qu'on a peut-être pollué la région", se lamente Christophe, ancien employé de l'usine.
Aujourd'hui, les agriculteurs se sentent d'ailleurs pointés du doigt. Francis Colin, maire de Juvigny, l'un des villages pollués, ne souhaite pas s'éterniser sur la question.
"J'ai découvert les PFAS le 12 juin. Avant, on n'en avait jamais entendu parler. Tout le monde était autorisé à épandre des bouts de papeterie. Vous pensez bien que si on nous l'avait dit, on aurait arrêté tout de suite."
Francis Colin, maire de Juvignyà franceinfo
À Malandry, situé à 20 km de là côté Ardennes, Annick Dufils est en colère. L'eau de son village contient trois fois le taux maximum de PFAS autorisés. "Mon capteur est dans un environnement boisé de 300 hectares, comment est-ce possible que mon captage soit pollué ? Ce n'est même pas une catastrophe naturelle, c'est un scandale sanitaire. Je suspecte, car il n'y a pas de terres agricoles, un enfouissement dans le sol au-dessus de mon captage. C'est interdit", s'insurge cette habitante. Dans une interview accordée au journal L'Ardennais, le transporteur des boues nie, en revanche, tout enfouissement.
/2025/07/21/l-ancienne-papeterie-de-stenay-qui-a-ferme-en-fin-d-annee-derniere-687e96bf00171373255901.jpg)
Le préfet de la Meuse, Xavier Delarue, de son côté, demande de laisser le temps à ses services de mener l'enquête. "Je vais écrire à tous les propriétaires de terrains où il y a eu des épandages de boues pour qu'ils nous autorisent à faire des prélèvements de sols. Il est évident que si on trouvait des éléments de fraudes, on ferait des signalements au procureur, ce qu'on appelle les articles 40, et qu'on transmettrait les dossiers", indique le préfet. L'Agence régionale de santé continue de mesurer le taux de PFAS toutes les deux semaines dans les captages d'eau. Dans certaines communes, ce taux continue néanmoins d'augmenter.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.