Intelligence artificielle : "L'Europe n'est pas en retard", clame la directrice générale déléguée d'Iliad

À la veille du salon VivaTech à Paris, Aude Durand, la directrice générale déléguée d'Iliad, insiste : "Arrêtez nécessairement d'aller chercher des modèles américains".

Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Aude Durand, la directrice générale déléguée d'Iliad, le 10 juin 2025. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Aude Durand, la directrice générale déléguée d'Iliad, le 10 juin 2025. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

"Arrêtez d'utiliser ChatGPT, essayez Mistral. Arrêtez nécessairement d'aller chercher des modèles américains. Utilisez des modèles open source sur du cloud français", clame, mardi 10 juin sur franceinfo, Aude Durand, la directrice générale déléguée d'Iliad, à la veille de l'ouverture du salon VivaTech. Le président de la République, Emmanuel Macron, est d'ailleurs attendu mercredi au salon qui se tient Porte de Versailles à Paris et auquel sera présent Iliad, la maison mère de Free, le groupe créé par Xavier Niel.

Iliad a réalisé 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2024. Il possède donc Free avec plus de 23,5 millions d'abonnés mobile en France. Mais il est aussi présent dans le domaine du cloud avec Scaleway, dans les data centers avec Opcore, dans la recherche en intelligence artificielle générative avec le laboratoire Kyutai. Pourtant l'invité d'honneur du salon sera Jensen Huang, le patron de l'américain Nvidia, leader incontesté des puces électroniques et plus grosse capitalisation boursière du monde.

Franceinfo : Cela vous gêne-t-il que le président de la République française déroule le tapis rouge au patron de Nvidia, qui est une entreprise américaine ?

Aude Durand : Non, je ne trouve ça ni gênant ni contradictoire avec l'idée de focaliser ce VivaTech sur la souveraineté technologique. Quand on réfléchit à pousser l'écosystème d'intelligence artificielle français sur le devant de la scène, il faut quand même être pragmatique. Il faut donner accès aux meilleures technologies, à nos talents et il faut les pousser vers l'innovation avec les meilleures ressources. Aujourd'hui, on reconnaît un avantage technologique majeur à Nvidia et c'est dans notre intérêt que Nvidia soutienne l'écosystème français. C'est d'ailleurs un très grand partenaire de Scaleway.

Utilisez-vous des puces Nvidia ?

Bien sûr, oui. D'ailleurs Scaleway offre aujourd'hui, en tant qu'acteur du cloud européen, la plus grande puissance de calcul dédiée à l'IA avec le plus grand nombre de puces Nvidia disponibles en Europe.

"Ça ne nous empêche pas par ailleurs de travailler avec d'autres constructeurs qui peuvent avoir des solutions complémentaires ou alternatives. Mais il faut reconnaître qu'aujourd'hui même nos chercheurs plébiscitent Nvidia."

Aude Durand

sur franceinfo

Aujourd'hui il n'y a pas d'alternative, ce sont ce sont les meilleurs ?

Effectivement, à ce niveau-là, il faut leur reconnaître une avancée technologique qu'ils ont développée sur les 20 dernières années et ça n'empêche pas l'écosystème de continuer à travailler sur des alternatives. Ce genre d'avances peut toujours changer.

Data centers, cloud… Vous maîtrisez toute la chaîne de valeur de l'IA. Cela signifie-t-il que vous n'utilisez pas du tout de logiciels américains comme Microsoft ou Google ?

Effectivement, dans nos activités, même télécoms, on essaye au maximum d'avoir une internalisation de tout notre savoir-faire technologique, d'avoir une indépendance stratégique. Ça nous permet aussi de garantir nos données, de garantir notre statut d'opérateur d'importance vitale (OIV). Et en faisant ça, on a développé au fur et à mesure des années, depuis 25 ans d'existence d'Iliad, des savoir-faire sur la construction de data centers, sur la construction d'une plateforme cloud.

"Aujourd'hui, on a déjà quinze data centers en Europe et on va continuer évidemment à investir massivement plusieurs milliards d'euros."

Aude Durand

sur franceinfo

Vous prévoyez 2,5 milliards d'euros d'investissement sur ces 5 prochaines années ?

Oui, comme première enveloppe pour commencer à développer des data centers avec des puissances électriques beaucoup plus conséquentes que ce qui a été fait par le passé. Parce que, aujourd'hui, l'intelligence artificielle demande ce niveau d'investissement.

"Sur la partie cloud, on a également développé une suite logicielle complète, une plateforme cloud, pour les entreprises, qui est donc développée sur des briques open source ou donc en propre par des développeurs en Europe."

Aude Durand

sur franceinfo

On n'utilise absolument aucun logiciel américain.

Que risquent vos clients s'ils utilisent des logiciels américains, sachant qu'il y a une règle d'extraterritorialité pour les États-Unis ?

Le risque le plus connu, c'est le risque d'atteinte aux données : que les États-Unis puissent aller regarder les données les plus stratégiques de nos entreprises, puisqu'elles sont stockées sur des logiciels d'entreprises américaines. Donc même si elles sont stockées en France, si la suite logicielle est américaine, ces données peuvent être soumises à ce sujet d'extraterritorialité.

Et c'est pour ça qu'il faut utiliser plutôt des logiciels en open source ?

Les logiciels open source vous permettent d'héberger en France, en Europe, vos solutions, vos données, avec une suite logicielle qui n'est pas soumise à cette réglementation. C'est ce que propose la plateforme Scaleway. Ça permet d'avoir aussi une résilience économique, puisque vous n'êtes pas soumis à une politique tarifaire qui peut changer du jour au lendemain. Donc ça a de multiples intérêts pour les entreprises aujourd'hui de commencer à avoir des stratégies multicloud, donc de répartir leurs risques et d'être en capacité d'aller chercher de nouveaux acteurs, plutôt souverains et européens.

Y en a-t-il d'autres à part vous ?

Aujourd'hui sur les plateformes cloud publiques qui sont vraiment équivalentes en fonctionnalités à Amazon, à Google ou à Microsoft, on est les plus avancés sur la suite de produits cloud publics. Et on est numéro un sur la partie intelligence artificielle. Donc on a aujourd'hui de plus en plus de partenariats avec des grandes entreprises privées, mais aussi des partenariats publics pour soutenir la recherche, pour fournir des solutions souveraines à tous ces acteurs qui innovent dans l'IA.

La prise de conscience existe, on parle de plus en plus de souveraineté numérique. Avez-vous davantage de clients privés et publics qui se tournent vers vous ?

Il y a un basculement qui s'opère clairement ces derniers mois. Mais ce n’est pas forcément simple pour les plus grandes entreprises qui ont eu une stratégie un peu monobloc sur le cloud, depuis plusieurs années, de faire la bascule. Donc on les accompagne pour venir progressivement passer leur flux de données les plus stratégiques sur des plateformes comme la nôtre. Je pense que c'est une conversation qui existe de plus en plus au niveau des conseils d'administration aujourd'hui et qu'il faut favoriser.

On a beaucoup parlé de la construction d'une sorte d'Airbus européen dans le numérique. Que manque-t-il pour créer un leader européen dans le domaine du cloud notamment, ou de l'intelligence artificielle plus largement ?

Il faut qu'il y ait plusieurs leaders. Mais, étonnamment, je pense qu'il y manque le fait d'y croire et un peu d'optimisme. C'est vrai qu'on a tous eu le réflexe depuis 20 ans de se dire que les solutions technologiques américaines étaient les meilleures. On l'a tous fait.

"On utilise tous plus Google que Qwant, on utilise tous plus les suites Office que d'autres…"

Aude Durand

sur franceinfo

Aujourd'hui, sur l'IA en Europe, on n'est pas en retard. C'est ça que j'essaie de passer comme message. Arrêtez d'utiliser ChatGPT, essayez Mistral. Arrêtez nécessairement d'aller chercher des modèles américains, utilisez des modèles open source sur du cloud français.

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