Budget 2026 : "Il faut absolument éviter une nouvelle hausse d'impôts", insiste l'Association Française des entreprises privées

Alors que le gouvernement cherche toujours 40 milliards d'euros pour son prochain budget, Patricia Barbizet, présidente de l'Association Française des entreprises privées réclame "une année blanche pour éviter le trou noir budgétaire".

Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 9min
Patricia Barbizet, la présidente de l'Association Française des entreprises privées, à Marseille, le 8 mai 2024. (LUDOVIC MARIN / POOL / MAXPPP)
Patricia Barbizet, la présidente de l'Association Française des entreprises privées, à Marseille, le 8 mai 2024. (LUDOVIC MARIN / POOL / MAXPPP)

Le sujet qui occupe la France en ce moment, c'est la préparation du budget. Le gouvernement est à la recherche de 40 milliards d'euros d'économies. Avec une question sous-jacente : y aura-t-il des hausses d'impôts en parallèle, et notamment pour les grandes entreprises qui viennent de payer une contribution exceptionnelle cette année ? "Ce qu'il faut absolument éviter, c'est une nouvelle hausse d'impôts", répond jeudi 3 juillet sur franceinfo Patricia Barbizet, la présidente de l'Association Française des entreprises privées (AFEP).

L'AFEP regroupe 110 entreprises et compte 2,5 millions de salariés en France. Sa patronne qui est aussi discrète qu'influente, est présente pour aux Rencontres économiques d'Aix-en-Provence qui se déroulent du 3 au 5 juillet. Comme chaque année, elles rassemblent tout ce que la France compte de grands patrons Patrick Pouyanné pour Total, Estelle Brachlianoff pour Véolia, Rodolphe Saadé, le patron de CMA-CGM. Ces rencontres sont un lieu d'échanges et de débats entre chefs d'entreprise, personnalités de la société civile, politique français et étrangers. Un événement organisé depuis 25 ans maintenant par le fondateur du Cercle des économistes, Jean-Hervé Lorenzi.

Franceinfo : Avez-vous peur que la surtaxe sur les entreprises soit pérennisée ou avez-vous au contraire la garantie qu'elle ne sera pas dans le budget de 2026 ?

Patricia Barbizet : Vous avez raison, la question est fondamentale. Je crois que la restauration d'un équilibre et des comptes publics est la question prioritaire. Le Premier ministre l'a dit le 15 avril dernier. Depuis, beaucoup d'intervenants l'ont redit aussi, jusqu'au président de la Cour des comptes et d'autres personnalités. Je crois qu'il est urgent et important de remettre de l'ordre dans les comptes de la nation.

Et donc il faut faire ces 40 milliards d'euros d'économies.

D'abord parce qu'on ne peut plus creuser davantage les déficits. Aujourd'hui, ça coûte de plus en plus cher. Le coût de la dette en France aujourd'hui est de 70 milliards par an. Et si on ne fait rien, si on continue la trajectoire, ce sera 110 milliards d'euros que nous devrons payer simplement pour les intérêts, pour la charge de la dette en 2029. Donc ça ne peut clairement pas durer parce que ça entame largement et de façon critique la capacité à financer les politiques prioritaires dont la France a tant besoin.

Faut-il des hausses d'impôts et qui doit les supporter, les Français, les entreprises, les grandes entreprises ?

Je crois que ce qu'il faut absolument éviter, c'est une nouvelle hausse d'impôts. Ça a, très souvent et bien trop souvent, été la solution de facilité apparente. Et apparente seulement, parce que ça n'est que reculer pour mieux sauter. Ça a aussi été la solution d'urgence utilisée en 2025. Les hausses qui ont été votées en janvier sont aujourd'hui en train de se diffuser et elles pèsent sur l'économie, bien sûr. Les grandes entreprises françaises, elles ont payé plus de 83 milliards d'euros d'impôts en France en 2024 en tout. Le choc fiscal de 2025 a été très concentré sur les grosses entreprises et ça représente pour elles une hausse de 10%, ce qui là aussi est considérable, de leur contribution aux finances publiques.

Ce que vous dites aujourd'hui au gouvernement, c'est qu'il ne faut pas de hausses d'impôts supplémentaires sur les grandes entreprises que vous représentez ?

Ce que je dis, c'est que la priorité, c'est la croissance. Et que déjà l'effet de ce qu'on a mis en œuvre fait peser un poids sur la croissance qui a été en 2024 que de 0,6%, alors qu'on espérait 1,1%. Donc il faut redonner de la visibilité, de la confiance aux entreprises et aux ménages.

Donc ça signifie que Bernard Arnault, le fondateur de LVMH, qui fait partie de l'AFEP, a raison de dire que ces hausses d'impôts peuvent entraîner les patrons à délocaliser leur activité ?

Je pense qu'il faut raisonner sur ce qu'on doit faire, qui dépend de nous et qu'on doit mettre en œuvre impérativement. Il faut stabiliser les dépenses de la France en euros courants et l'année blanche offre cette clarté et incarne une forme d'union nationale dans l'urgence. Peut-être une année blanche pour éviter le trou noir budgétaire.

Donc plutôt une année blanche que des hausses d'impôts ?

Certainement plus une année blanche que des hausses d'impôts.

Donc pas touche notamment au crédit impôt recherche qui est la première niche fiscale, qui représente aujourd'hui 7 milliards d'euros par an ?

Le crédit impôt recherche, c'est quelque chose de très important pour les entreprises françaises parce que c'est ce qui permet de maintenir les centres de recherche en France. Et qui dit centre de recherche dit atelier de prototypage et donc les usines qui vont derrière.

Ça signifie qu'il faut qu'il soit aussi pour les grandes entreprises et pas seulement pour les PME ?

C'est beaucoup elles qui font la recherche et qui sont, comme d'ailleurs à peu près tous les domaines, les chefs de cohortes, ce sont les chefs de file de tout ça. Le nombre de chercheurs de l'AFEP est très important. Les entreprises de l'AFEP emploient en France 100 000 chercheurs. C'est considérable. Et il faut maintenir ça parce que c'est à ces conditions-là qu'on maintiendra l'industrie et qu'on restera compétitif dans notre pays.

Voyez-vous un mouvement vers les Etats-Unis à cause de la menace de droits de douane ?

On le dit déjà depuis plusieurs années et ça n'a fait que s'accentuer dans les dernières semaines et les derniers mois. Mais on est pris avec une compétitivité très forte des Chinois qui ont aussi envie d'exporter et qui nous envoient beaucoup de produits. Et les Américains qui, et ça ne date pas seulement de Donald Trump mais d'avant, attirent nos entreprises. Notre solution à nous, c'est de faire de l'Europe un véritable rival économiquement ultra-compétitif et respecté pour l'être vis-à-vis des Etats-Unis et vis-à-vis des Chinois. Et pour ça, il faut renforcer le marché unique européen. Il faut garantir un aspect compétitif à l'énergie. Dans toutes les entreprises, l'accès à l'énergie est une priorité. Il faut moderniser la politique de concurrence. Il faut investir massivement et mobiliser massivement dans les investissements publics et les privés au service de la transformation de l'Europe. C'est tout ça qu'il faut faire et qu'il faut faire ensemble en France pour ce qui dépend de nous, en Europe et en Européens, pour le faire, pour avoir cette compétitivité importante.

Aujourd'hui, Stellantis a choisi un patron qui a décidé de rester aux Etats-Unis. Qu'est ce qui dit que demain, d'autres entreprises françaises ne vont pas aller installer leurs usines et employer des gens aux Etats-Unis plutôt qu'en France ?

Les patrons, les dirigeants de l'AFEP et depuis très longtemps, ce sont des patriotes. Ils ont un fort attachement à la France. Ils ont un fort attachement au modèle social dans lequel on vit et un fort attachement à la compétitivité et aux capacités de faire fonctionner leurs entreprises le mieux possible en France et bien sûr, le mieux possible en Europe.

Comment faire en sorte que ces entreprises continuent à investir en France, qu'elles conservent leur siège social en France quand elles n'ont plus d'attaches avec la France autre qu'être aujourd'hui au CAC 40 ?

En promouvant les valeurs auxquelles on est très attachés. C'est notre modèle social, c'est notre modèle environnemental, ce sont nos institutions, c'est le fait que ça fonctionne et c'est le fait aussi de notre culture. Elles sont attachées. Mais il faut effectivement leur donner les moyens d'exprimer leur compétitivité et leur développement partout dans le monde. Il y a un obstacle que vous évoquiez tout à l'heure, c'est qu'elles sont souvent détenues par des capitaux étrangers et pour certaines presque en majorité. Et ça, c'est un sujet pour lequel nous attirons l'attention de tout le monde depuis déjà longtemps et pour lequel nous insistons sur la nécessité de mettre en place les deux rapports qui ont été faits ou les trois rapports qui ont été faits en Europe l'année dernière. Le rapport Draghi pour la compétitivité, le rapport Letta et le rapport Noyer, pour la partie financement, pour être sûr qu'on a en France, qu'on crée en Europe des véhicules d'investissement qui permettent d'avoir des actionnaires européens et pas seulement des actionnaires américains qui dicteront sinon leurs aspects. Et pour ça, il faut vraiment agir et agir vite. On le dit aussi depuis longtemps et je crois que maintenant le moment est venu. La priorité absolue de la France et de l'Europe, c'est l'urgence de la compétitivité. Et il faut prendre tous les aspects, tous les moyens, toutes les actions qui permettent de maintenir cette compétitivité européenne et le faire vraiment dans tous les domaines et sur tous les emplois.

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