En 1945, le début de russification de l'Ukraine : l'info de l'histoire du 10 mai

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Article rédigé par Fabrice d'Almeida
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Staline et son ministre des Affaires étrangères Vyacheslav Molotov, à Moscou dans les années 1930 (AFP)
Staline et son ministre des Affaires étrangères Vyacheslav Molotov, à Moscou dans les années 1930 (AFP)

Alors que la Russie cherche à manipuler l’histoire en revendiquant une grande partie du territoire ukrainien et en niant l'existence même d'une nation ukrainienne, au moment où l'on célèbre l'anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale et que le président Macron se rend à Kiev,
comment mieux illustrer cette tentative de manipulation qu'en revenant 80 ans en arrière, presque jour pour jour ?

À San Francisco s'était ouverte, le 25 avril 1945, la conférence des Nations unies, réunissant les pays qui avaient gagné la Seconde Guerre mondiale. Le 10 mai, se tenait une séance du comité directeur avec les représentants de près de 50 États. Sur une photo de la salle, on distingue les représentants de la France, de la Grande-Bretagne, des États-Unis et de l'Union soviétique, aux côtés d'autres pays tels que l'Éthiopie, le Salvador, le Pérou, ou encore l'Égypte et l'Iran… Le but de tous ces diplomates était de rédiger une charte fondatrice d'une nouvelle organisation des Nations unies, capable de faire mieux que la Société des Nations, créée après la Grande Guerre et qui n’avait pu empêcher la Seconde Guerre mondiale.

Dans ce contexte, l'Union soviétique voulait peser. Et, comme l'Empire britannique, elle a cherché à obtenir des voix supplémentaires. Son président, Staline, y voyait un moyen de faire reconnaître la puissance de son armée. Ainsi, son représentant, le commissaire (ministre) aux Affaires étrangères de l'URSS, Viatcheslav Molotov, a très tôt demandé que d'autres États de l’empire soviétique soient reconnus membres de l’assemblée : la Russie blanche (Biélorussie) et l'Ukraine.

Cette discussion s’est ouverte alors que commençaient les travaux, avec une décision importante : le choix des langues de travail. La France a obtenu que le français et l'anglais soient les deux langues officielles des Nations unies. Elle n'a donc pas fait opposition à la reconnaissance de la Biélorussie et de l'Ukraine comme États. Or, pour cette instance, cela supposait l'existence d’un peuple distinct, ayant son territoire et sa forme de gouvernement. Un État-nation, en somme : l'Ukraine, donc !

Objectif : la russification de l'Ukraine

Mais derrière cette façade se déployait un projet typiquement stalinien : celui de russifier l’Ukraine. Car la République socialiste soviétique d'Ukraine était jugée instable par les cadres communistes. N'était-ce pas là que des gouvernements nationalistes et anarchistes avaient tenté de s'implanter contre le Parti communiste, à la faveur des troubles de la Première Guerre mondiale et de ses suites ? Il fallait donc y faire venir des dirigeants, des techniciens et des ouvriers pour réduire la part proprement ukrainienne de cette république, qui représentait près de 20% de la population de l'URSS.

C’est ainsi qu'une immigration interne à l'Union soviétique s’est mise en place après 1945. Une méthode moins brutale que la famine organisée au début des années 1930, qui a fait plusieurs millions de morts.

En 1945, l'Ukraine bénéficie donc d’une reconnaissance internationale, mais uniquement dans le but de permettre à l'Union soviétique de disposer de trois voix dans le concert des nations. Staline et Molotov, son ministre, pensaient avoir joué subtilement. Mais, ironie de l'histoire, ils avaient aussi posé les fondements de la reconnaissance de la nation ukrainienne, laquelle se réalise finalement avec l'effondrement de l'Union soviétique en 1991. C'est cet État qui, avec la Russie d'Eltsine et la Biélorussie, a proclamé la fin de l'URSS. Cet État, enfin reconnu par la communauté internationale, membre fondateur de l'ONU, est depuis trois ans la cible d’une agression de la Russie.

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