En Colombie, isoler les narcotrafiquants en prisons ne permet pas de les empêcher de gérer le trafic de drogue

Alors que le ministre de la Justice Gérald Darmanin souhaite rassembler dans une même prison les plus gros narcotrafiquants pour mieux lutter contre leurs activités, comment fait la Colombie qui lutte depuis des décennies contre ce fléau ?

Article rédigé par franceinfo - Najet Benrabaa
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Extérieur de la prison La Modelo de Bogotá, le 17 mai 2024, alors que le directeur qui venait de prendre ses fonctions a été assassiné. (MAURICIO DUE?AS CASTA?EDA / EFE)
Extérieur de la prison La Modelo de Bogotá, le 17 mai 2024, alors que le directeur qui venait de prendre ses fonctions a été assassiné. (MAURICIO DUE?AS CASTA?EDA / EFE)

En Colombie, cela fait des décennies que les autorités luttent contre la violence et criminalité dans les prisons. Et le phénomène du narcotrafic entraîne une exceptionnelle corruption qui donne bien du fil à retordre au gouvernement.

Ici, dans la prison de haute de sécurité de Medellin, Juliana Zuluaga organise un atelier deux à trois fois par semaine. Les détenus qui y participent créent des bracelets qui seront vendus pour aider leurs familles. Les centres pénitentiaires misent beaucoup sur ce type d’activité, pour tenter d’éviter que les prisonniers intègrent les réseaux criminels et d’extorsion qui ont envahi les prisons colombiennes.

Premier objectif, réduire la surpopulation carcérale

"La première chose à faire est d’éviter que des personnes continuent d’être emprisonnées", déclare Juliana, directrice de l’atelier "Made in prison". Surtout quand la moyenne d’âge de la première condamnation est si basse. Les personnes qui arrivent ont 18 ans, 19 ans. C’est inédit. Le populisme punitif ne fait qu’augmenter les chiffres de surpopulation en prison", déplore-t-elle.

En Colombie, la surpopulation carcérale dépasse les 25%, soit plus de 20 000 détenus en trop. L’Inpec, l’institut national qui gère les prisons sépare déjà les narcotrafiquants des autres détenus. Juliana le constate dans la prison où elle travaille. Elle n’a pas accès à cette zone. "Je ne crois pas que finalement cela fasse une réelle différence, estime-t-elle. De mon point de vue personnel, cela ne fonctionne pas ici. Et ça n’a pas fonctionné."

"Ça fonctionne encore moins quand le gouvernement entre en négociations avec les groupes criminels pour son projet de paix nationale, en faisant presque une apologie du crime."

Juliana Zuluaga, directrice d'atelier dans la prison de haute de sécurité de Medellin

à franceinfo

Un directeur de prison assassiné pour avoir organisé des fouilles de cellules

En effet, depuis février 2024, l’ensemble des 125 établissements pénitentiaires sont en alerte. C’est la quatrième fois depuis 2013. Plusieurs fonctionnaires ont été tués ou menacés de mort par des narcotrafiquants. L’an dernier, l’assassinat du directeur de la prison la Modelo de Bogotá a fait beaucoup de bruit. Le directeur venait tout juste d’être nommé à son poste et il avait reçu plusieurs menaces de mort pour avoir organisé des fouilles dans les cellules. Un narcotrafiquant, détenu dans la prison, a donc payé des tueurs à gage pour l’éliminer.

Les médias parlent souvent des conditions d’emprisonnement de ces narcotrafiquants, qui auraient accès à toutes les commodités et continuent de gérer leur trafic de drogue depuis la prison.

Alors la priorité pour les autorités est de désengorger les prisons. Des projets dits de "mégaprisons" sont à l’étude. C’est le cas à Medellin. Le centre de détention aura une superficie de 300 000 mètres carrés, et est conçu pour accueillir environ 1 400 détenus. Carlos Alberto Arcila Valencian le secrétaire de la paix et des droits de l’homme de Medellin, explique l'ambition de ce projet : "On envisage la création d’une mégaprison. Mais c’est à court et moyen terme qu’on doit réfléchir, dit-il. Sur le long terme, c’est le gouvernement national qui doit aider et protéger. Il ne peut pas laisser la responsabilité aux municipalités et départements." 

"Il nous faut vraiment une stratégie, une politique globale."

Carlos Alberto Arcila Valencian, secrétaire de la paix et des droits de l’homme de Medellin

à franceinfo

La Colombie lutte depuis des décennies contre la criminalité et la corruption au sein des prisons. Mais rien ne semble fonctionner. En attendant, les assassinats de fonctionnaires se poursuivent et les narcotrafiquants continuent de dicter leur loi dans les prisons colombiennes.

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