"Jamais deux Premiers ministres ne sont tombés successivement aussi vite", rappelle Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste
Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste et auteure du livre "Ve République, anatomie d'un régime en crise", et Jérôme Fourquet, auteur du livre "Métamorphoses françaises" et directeur du département "opinion et stratégie d’entreprise" de l'Ifop, étaient les invités du journal de 20H lundi 8 septembre.
Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.
Léa Salamé : François Bayrou est-il démissionnaire lundi 8 septembre au soir ? Il n'est plus Premier ministre ou doit-il remettre sa démission ?
Anne-Charlène Bezzina : Il n'est pas démissionnaire puisque l'Assemblée nationale n'a pas nommé le Premier ministre, donc il revient à celui qui l'a nommé, le président de la République, d'acter cette perte de confiance. Elle a une conséquence constitutionnelle obligatoire, c'est l'article 50 qui précise que le Premier ministre doit venir déposer solennellement sa démission au président de la République.
Léa Salamé : Ce qu'il devrait faire mardi 9 septembre, en principe. François Bayrou n'a pas réussi à convaincre les députés. Les Français n'ont manifestement pas été convaincus par le discours sur la dette. On l'a vu dans les sondages d'opinion. Comment les sentez-vous ? Sont-ils inquiets, sont-ils en colère en cette rentrée ?
Jérôme Fourquet : Effectivement, les deux sentiments les plus répandus, c'est très loin devant l'inquiétude, chez les chefs d'entreprise, mais également chez les Français moyens, si je puis dire. On voit que le taux d'épargne est aujourd'hui au plus haut. Et le deuxième sentiment, c'est aussi une colère vis-à-vis de l'instabilité politique et vis-à-vis aussi des décisions qui ont été prises par le président de la République que beaucoup de Français considèrent comme étant contraires aux votes qu'ils ont émis.
Léa Salamé : Est-ce qu'ils veulent un nouveau Premier ministre dans vos enquêtes d'opinion ou veulent-ils une nouvelle dissolution et retourner aux urnes ?
Jérôme Fourquet : Quand on les interroge sur cette alternative, à minima, c'est la dissolution qui l'emporte puisque la majorité des Français considèrent que nommer un nouveau Premier ministre qui serait issu des rangs du bloc central connaîtrait les mêmes difficultés que celles que nous connaissons maintenant depuis un an. Mais compte tenu de notre mode de scrutin et de l'éclatement du paysage électoral, beaucoup anticipent qu'il n'y aurait pas de majorité absolue qui sortirait des urnes en cas de dissolution. Et dans ce cas-là, les enquêtes d'opinion montrent également que là, on se tournerait vers la clé de voûte de nos institutions de la Cinquième, qui est le président, et on en appellerait à sa démission.
Léa Salamé : Au niveau constitutionnel, la balle est maintenant dans le camp du président de la République. Est-ce qu'il a des contraintes au niveau de la Constitution ? Doit-il aller vite, peut-il prendre son temps, peut-il nommer qui il veut, quand il veut ? Que dit la Constitution ?
Anne-Charlène Bezzina : L'article 8, c'est le retour de la balle dans le camp du président de la République. Il peut absolument décider de tout. Il n'y a aucun délai, il n'y a aucune contrainte de majorité et aucune contrainte de nom. Pour la dissolution, c'est la même chose. Il n'y a rien d'obligatoire, aucune formalité, aucune annonce, à part des consultations qui, en plus, ont déjà plus ou moins eu lieu entre le président de la République et les présidents des assemblées et le Premier ministre. Tout peut arriver, le moment que nous vivons est un moment historique. Jamais deux premiers ministres ne sont tombés successivement aussi vite. Aucun président de la République n'a été face à cela.
Léa Salamé : Pour vous, c'est un moment historique et inédit, vous qui êtes constitutionnaliste, qui faites attention aux mots ?
Anne-Charlène Bezzina : Oui, bien sûr, historique et inédit sous la Cinquième République. On a déjà eu ce cas sous la Quatrième République, mais encore une fois, c'était vraiment une dynamique de partis très différente. Donc oui, le choix du président de la République, c'est le choix d'un nouvel alliage, le choix de chercher une majorité qui n'existe pas. Donc c'est tout à fait inédit.
Léa Salamé : Jérôme Fourquet, vous dites quoi ? Vous dites crise de régime, crise politique, crise parlementaire ? Qu'est-ce qui se passe là ?
Jérôme Fourquet : Il y a une conjonction de deux phénomènes. Il y a à la fois cette crise politique qu'on connaît parce que sous la Ve République, on a déjà connu des situations dans lesquelles le président de la République était nettement impopulaire, mais cette impopularité se traduisait dans les urnes par une majorité accordée à l'opposition. Aujourd'hui, face à un président impopulaire, il n'y a pas une opposition majoritaire. Il y a plusieurs oppositions qui ne s'entendent pas entre elles, d'où le blocage. Et à ce blocage politique s'ajoute aussi une crise budgétaire lancinante. Depuis 1973, la France n'a pas voté un budget à l'équilibre. Et aujourd'hui, la charge des intérêts de la dette représente le premier budget de l'État. Et quand on regarde rétrospectivement ce qui se passe depuis un an, quand Emmanuel Macron décide de dissoudre à l'été dernier, c'est parce qu'il anticipe qu'il n'aura pas de majorité pour voter son budget à l'automne. Quand Michel Barnier est censuré, c'est sur le budget. Et François Bayrou a perdu la confiance, lui aussi, sur le budget. Donc il y a aussi cette question budgétaire qui est en toile de fond.
Nos invités
Anne-Charlène Bezzina : Juriste, constitutionnaliste. Maître de conférences en droit public à l’université de Rouen, membre associée de l'Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne, chargée d'enseignement à Sciences Po. Notamment Co-Autrice avec Thomas Snégaroff de Vème République, Anatomie d'un régime en crise(s), Les Arènes/Radio France, 2025
Jérôme Fourquet : Sondeur (IFOP), analyste et essayiste politique. Auteur notamment de Métamorphoses françaises, Le Seuil 2024 et de L'archipel français, Le seuil, 2019.
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