Pourquoi le choix de Richard Ferrand pour présider le Conseil constitutionnel "ne passera pas comme une lettre à la poste"

Article rédigé par Laure Cometti, Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Emmanuel Macron a proposé la nomination de l'un de ses plus proches partisans, Richard Ferrand, à la présidence du Conseil constitutionnel. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO / AFP)
Emmanuel Macron a proposé la nomination de l'un de ses plus proches partisans, Richard Ferrand, à la présidence du Conseil constitutionnel. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO / AFP)

Les membres des commissions des lois à l'Assemblée et au Sénat doivent encore approuver la désignation de l'ancien député macroniste comme président de cet organe majeur de la Ve République, chargé de contrôler la constitutionnalité des lois.

Et si la nomination de Richard Ferrand était finalement retoquée ? Le chef de l'Etat a proposé, lundi 10 février, le nom de l'ex-président de l'Assemblée nationale à la présidence du Conseil constitutionnel. Mais le choix de ce compagnon de route d'Emmanuel Macron, loin de faire l'unanimité dans la classe politique et chez les juristes, doit encore être approuvée par les parlementaires, lors d'un vote qui s'annonce serré.

Le 19 février, Richard Ferrand, sans mandat électif depuis 2022 et sa défaite aux législatives, fera son retour dans l'arène politico-médiatique. Il sera auditionné par la commission des lois de l'Assemblée nationale puis par celle du Sénat sur sa capacité à succéder à Laurent Fabius à la tête cet organe essentiel de la Ve République, qui veille à ce que les lois n'enfreignent pas la Constitution.

Les députés et les sénateurs de ces deux commissions voteront ensuite à bulletins secrets. Si les trois cinquièmes des parlementaires présents s'opposent à cette nomination, celle-ci sera retoquée. "Dans l'hypothèse maximale de 73 suffrages exprimés à la commission des lois de l'Assemblée et 49 suffrages exprimés au Sénat, la nomination ne pourrait donc avoir lieu s'il y a un total d'au moins 74 votes contre", calcule une source parlementaire.

"Ce n'est pas une maison de retraite"

Mais ce seuil est difficile à estimer, car personne ne sait combien de suffrages seront exprimés le jour du vote. "Il y en aura forcément qui auront piscine", sourit un député de droite. A l'Assemblée nationale, cela s'annonce très compliqué pour celui qui fut l'un des premiers socialistes à rallier Emmanuel Macron. La gauche, qui compte 25 députés à la commission des lois, va s'opposer à cette nomination. "Le Conseil constitutionnel n'est pas là pour servir à recaser les amis de Macron balayés dans les urnes par les citoyens", fustige Thomas Portes, député de La France insoumise. "C'est assez insultant pour l'institution. Et la démocratie", rebondit l'écologiste Sandra Regol.

Le Rassemblement national, fort de 16 sièges à la commission, dit attendre l'audition de Richard Ferrand pour se positionner mais l'issue ne fait guère de doute, à entendre Marine Le Pen. "Le Conseil constitutionnel n'est pas une maison de retraite de la vie politique, et je regrette cette dérive qui consiste à nommer exclusivement des politiques, alors qu'il devrait être avant tout un cénacle juridique", a critiqué la leader d'extrême droite face à la presse. Du côté des trois députés du groupe Liot membres de la commission, aucune décision n'est encore prise et "la discussion continue".

Au sein de l'ancienne majorité, qui comptabilise 21 députés à la commission des lois, on tente de contrecarrer les critiques contre l'ex-député de 62 ans. "Tout le monde lui a apporté un soutien dans notre boucle, il a une légitimité qui ne fait pas de doute", estime un député Ensemble pour la République. "Nommer des personnalités en fin de carrière est une garantie d'indépendance, appuie un poids lourd du bloc central. Je ne connais pas un Sage qui n'ait pas exercé puissamment ce devoir d'ingratitude à l'égard de ceux qui les avaient nommés et dont parlait Robert Badinter. Je ne vois pas pourquoi Ferrand y échapperait, je lui fais confiance."

"La République des copains, ce n'est pas possible"

Que vont faire les six députés du parti Les Républicains ? "A partir du moment où on est dans le socle commun, on n'a pas de raison de s'opposer à la nomination de Ferrand", veut croire Sébastien Huyghe, député apparenté EPR et transfuge de LR.

L'affaire a pourtant l'air très mal embarquée. "Le choix d'un profil comme Richard Ferrand pose problème, a assuré Laurent Wauquiez dans une interview au Figaro. C'est une personnalité qui vient du Parti socialiste, qui a été l'un des principaux soutiens politiques de la macronie. Le risque, c'est que les décisions du Conseil constitutionnel soient vues comme politiques." Le président du groupe Droite républicaine affirme que la décision "sera prise collectivement". Mais les membres de la commission des lois ont déjà une idée de leur vote.

Sur le réseau social X, l'ancien président du groupe LR, Olivier Marleix, a fait savoir dans un message cinglant qu'il ne voterait pas pour Richard Ferrand "à cause de l'affaire des Mutuelles de Bretagne et parce que personne ne peut croire à son indépendance". Il est rejoint par au moins trois de ses cinq collègues, à l'image de Ian Boucard, Eric Pauget et Emilie Bonnivard. "La République des copains, ce n'est pas du tout possible, encore moins dans le contexte politique actuel", s'insurge l'élue de droite.

"Je ne comprends même pas que le président ose proposer sa candidature. Je trouve cela totalement déplacé."

Emilie Bonnivard, députée LR de Savoie

à franceinfo

"Quelles que soient les décisions qu'il pourrait prendre à la tête du Conseil, elles seraient entachées d'une présomption de non-neutralité", prévient Ian Boucard, pour qui cette nomination est "le genre de symbole qu'il faut désormais éviter". Interrogé, Patrick Hetzel, député LR du Bas-Rhin, répond qu'il "suivra la position" de son groupe.

Philippe Gosselin, vice-président LR de la commission des lois, attend lui l'audition de Richard Ferrand pour arrêter sa position, mais "pour un président très isolé politiquement, faire monter l'un de ses plus proches, cela pose des questions d'indépendance et d'impartialité", lâche-t-il. L'élu de la Manche, lui-même surpris par l'ampleur de la levée de boucliers contre Richard Ferrand, estime que cette nomination "ne passera pas comme une lettre à la poste. Et ça serait un coup de Trafalgar pour Emmanuel Macron."

Pour tenter de convaincre, Richard Ferrand a commencé à contacter les présidents des groupes à l'Assemblée. Il a passé la semaine dernière un coup de fil à Laurent Wauquiez, chef de file des députés LR, sans parvenir à désamorcer leur opposition. Une campagne discrète et pour l'heure centrée sur le Palais Bourbon. 

"C'est du recyclage"

La température n'est guère plus chaude du côté des sénateurs des Républicains. "Ce n'est pas tant sa proximité avec Emmanuel Macron que ses compétences qui interrogent, par rapport à d'autres parcours de présidents du Conseil constitutionnel", confie Max Brisson, sénateur des Pyrénées-Atlantiques et porte-parole du groupe LR. Contrairement à ses prédécesseurs, Richard Ferrand ne peut se targuer d'une formation de magistrat ou d'un CV de haut fonctionnaire.

"Il faut que ça soit quelqu'un d'indépendant. On a déjà deux anciens ministres de Macron au Conseil constitutionnel. Et il faut que la personne soit incontestable."

Un sénateur LR, membre de la commission des lois

à franceinfo

"Or Richard Ferrand a eu des ennuis judiciaires annulés non pas sur le fond, mais par la prescription", rappelle-t-il. "Au moins 80%, voire 90% des 19 LR de la commission des lois sont contre. Ça va être très serré, je pense que ça ne passera pas", poursuit ce parlementaire. Le suspense demeure, car le groupe ne donnera pas de consigne de vote, mais l'attitude de la droite sera cruciale puisque les LR représentent à eux seuls un cinquième des voix dans les commissions des lois.

Chez Les Indépendants, groupe allié de la droite et détenteur de trois sièges à la commission, le choix de l'Elysée suscite aussi des haussements de sourcils. "Je ne suis pas fan de cette pratique, c'est du recyclage. On est battu aux élections et puis on se retrouve nommé", soupire Dany Wattebed, sénateur du Nord. Pour trouver des soutiens de Richard Ferrand, il faut chercher du côté du groupe Union centriste, qui dispose de neuf sièges à la commission des lois du Sénat. "C'est plutôt une bonne nouvelle d'avoir à la tête du Conseil constitutionnel quelqu'un qui a présidé l'Assemblée, et qui connaît bien les sujets politiques", défend Isabelle Florennes, sénatrice des Hauts-de-Seine.

"Macron n'est pas en capacité de passer un accord"

Au Sénat, le choix de Richard Ferrand a surpris au point d'alimenter des théories sur un accord conclu en coulisses pour lui garantir le soutien de la droite. "Je crois qu'il y a un 'deal' entre Emmanuel Macron et Gérard Larcher, et que ça s'est discuté seulement entre eux deux", avance un parlementaire macroniste. "Ça semblerait assez logique qu'il y ait eu un accord, les discussions ont dû commencer il y a longtemps", estime Isabelle Florennes, convaincue que le chef de l'Etat n'aurait pas pris le risque de proposer un nom sans s'assurer au préalable d'un blanc-seing de la droite. A gauche, plusieurs parlementaires accréditent aussi cette thèse.

Pourtant, les élus de droite interrogés démentent unanimement tout accord. "S'il y avait un 'deal', des messages auraient été passés via le président du groupe, or il n'y en a aucun", jure un sénateur des Républicains.

"Il n'y a aucun début de commencement de preuve là-dessus."

Max Brisson, sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques

à franceinfo

A l'Assemblée, le député Philippe Gosselin n'y croit pas non plus : "Pourquoi voulez-vous que le Sénat passe un 'deal' avec le président ? Emmanuel Macron n'est pas en capacité de passer un accord."

En effet, les macronistes n'ont pas vraiment de monnaie d'échange. Philippe Bas, le candidat de Gérard Larcher pour devenir membre du Conseil constitutionnel, ne sera auditionné qu'au Sénat, où il est a priori assuré de franchir confortablement le seuil des voix requises grâce au soutien de la droite et même d'une partie de la gauche. Pour s'installer rue de Montpensier, Richard Ferrand doit quant à lui décrocher des voix au-delà de sa famille politique, dont le poids a nettement reculé à l'Assemblée en 2024. Les macronistes, le MoDem et Horizons ne pèsent que 27% dans les commissions des lois, loin des 40% nécessaires pour être adoubé.

En avril 2023, le candidat proposé par Emmanuel Macron pour diriger l'Agence de la transition écologique avait ainsi été désapprouvé par le Parlement. C'était la première fois qu'une personnalité proposée par l'Elysée à la tête d'un organisme public était retoquée depuis la mise en place de cette procédure en 2008. Si Richard Ferrand devenait la seconde, de sucroît pour une fonction aussi éminente, "on serait dans quelque chose d'inédit qui confirmerait un désaveu et une perte de légitimité d'Emmanuel Macron", anticipe le constitutionnaliste Thibaud Mulier.

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