"C'est l'âme damnée de Macron" : pourquoi la nomination de Richard Ferrand comme président du Conseil constitutionnel est loin de faire consensus

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
L'ancien président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, à l'Elysée, le 29 juin 2022. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
L'ancien président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, à l'Elysée, le 29 juin 2022. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

L'ancien président de l'Assemblée nationale, très proche du chef de l'Etat, a été proposé lundi à la tête de cette instance essentielle de la Ve République, chargée de contrôler la constitutionnalité des lois. Son arrivée doit encore être approuvée par les parlementaires des commissions des lois.

"C'est vraiment un très proche d'Emmanuel Macron et qu'il apparaisse comme tel, ce n'est pas bon", soupire un ancien Sage. A 62 ans, Richard Ferrand va faire son retour dans l'arène politico-médiatique, mais à une fonction qui lui imposera un strict devoir de réserve : l'ancien président de l'Assemblée nationale a été nommé président du Conseil constitutionnel par le chef de l'Etat, lundi 10 février. Son mandat, qui s'étale sur neuf ans, couvrira les élections présidentielles de 2027 et 2032.

Par ailleurs, le président du Sénat, Gérard Larcher, a désigné le sénateur LR Philippe Bas et la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, l'ex-députée MoDem Laurence Vichnievsky comme membres de Conseil. Ces nominations, particulièrement importantes dans le contexte politique instable actuel, doivent encore être validées par les parlementaires.

Par un vote à la majorité des trois cinquièmes, les deux commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat pourraient s'y opposer, après des auditions prévues le 19 février. Un cas de figure qui ne s'est toutefois encore jamais présenté pour une nomination au sein de la prestigieuse institution, dont les neuf membres sont chargés de garantir la conformité des lois à la Constitution.

"Macron recycle un copain"

Or, en l'espèce, la proximité de Richard Ferrand avec Emmanuel Macron soulève nombre de critiques parmi les adversaires du président de la République. "Le Conseil constitutionnel est instrumentalisé politiquement, et on le déplore, critique un député RN. Ce n'est pas un très bon signal de nommer Ferrand. Macron recycle un copain". A gauche aussi, la réprobation est unanime. "Bien sûr qu'on s'opposera à sa nomination", assure le député LFI Thomas Portes, qui siège à la commission des lois. 

"Il n'a aucune compétence, et le Conseil constitutionnel n'est surtout pas là pour servir à recaser les amis de Macron balayés dans les urnes par les citoyens."

Thomas Portes, député LFI, commissaire aux lois

à franceinfo

"Je suis très étonnée de voir le nom d'une personne avec une compétence juridique si faible – aucune – nommée à un tel poste. C'est assez insultant pour l'institution et pour la démocratie", abonde la députée écologiste Sandra Regol, qui siège elle aussi à la commission des lois. Malgré la non-censure du gouvernement Bayrou, pas de mansuétude à attendre non plus du côté du PS, dont faisait partie Richard Ferrand jusqu'en 2017. "Un groupe d'opposition n'a pas de raison d'approuver une nomination venant du président dont il combat la politique", fait savoir Hervé Saulignac, député socialiste, également membre de la commission des lois. 

Sans mandat électif depuis 2022 après avoir perdu son siège face à une candidate PS, Richard Ferrand, désormais à la tête d'une société de conseil, n'a jamais raccroché avec la politique, au point d'avoir été maintes fois cité pour Matignon. L'ancien député du Finistère, qui occupait les bancs du PS dans un relatif anonymat sous François Hollande, fait partie du petit commando qui a rejoint Emmanuel Macron dès les débuts d'En Marche. "Il a un positionnement unique auprès du président qui est de pouvoir vraiment tout lui dire, sans filtre, et le président l'écoute pour de vrai. Ce lien-là, je ne l'ai jamais vu s'éteindre", témoigne auprès de l'AFP l'ancien ministre macroniste Stanislas Guerini.

"Toutes les nominations sont politiques"

Les soutiens d'Emmanuel Macron tentent ainsi de contrecarrer les critiques en vantant "l'excellent profil" de Richard Ferrand, qui a tenu le perchoir entre 2018 et 2022. "Bien au-delà de sa proximité avec le président, c'est l'empreinte qu'il a laissée comme président de l'Assemblée qui a marqué les esprits", assure le député EPR Pierre Cazeneuve, qui salue "un immense républicain qui a consacré sa vie à la chose publique". 

"Il a l'intelligence [du secrétaire général de l'Élysée] Alexis Kohler, la malice [du sénateur] Hervé Marseille et la bonhommie de François Hollande."

Pierre Cazeneuve, député EPR

à franceinfo

Dans les critiques des oppositions, un député macroniste voit d'abord une "volonté de nuire au président par cette occasion, car c'est un proche". Un autre fustige "un procès d'intention" fait à Richard Ferrand, en rappelant que "toutes les nominations sont politiques".

Une opposition jusque dans les rangs des juristes

"Je ne suis pas choqué que l'on nomme une personnalité politique – tous les anciens présidents du Conseil ont été des politiques –, mais Richard Ferrand est un très proche d'Emmanuel Macron, et il y a eu l'affaire des Mutuelles de Bretagne", nuance un ancien Sage. Tout juste nommé ministre de la Cohésion des territoires, en 2017, Richard Ferrand avait en effet essuyé une tempête judiciaire dans ce dossier. Mis en examen pour "prise illégale d'intérêts", il avait vu le feuilleton se clore en octobre 2022, la Cour de cassation confirmant la prescription de faits que l'ex-député a toujours jugés "pas établis".

Si l'affaire judiciaire est définitivement éteinte, elle continue d'être citée par ses opposants politiques. Mais aussi – et c'est plus rare – par des juristes. Plusieurs d'entre eux ont pris la plume pour dire tout le mal qu'ils pensaient de cette future nomination. "Il ne s'agit pas de s'opposer à un Robert Badinter, un Jean-Louis Debré avec son nom et le poids de l'histoire ou même à un Laurent Fabius qui avait pris du recul avec la politique au moment de sa nomination : Richard Ferrand pose un problème de légitimité en droit et au regard de son passé politique", assure ainsi le constitutionnaliste Benjamin Morel, qui a fait part de son opposition à la nomination de Richard Ferrand dès que les premières rumeurs ont couru. "C'est l'âme damnée d'[Emmanuel] Macron", appuie-t-il. 

"Avec cette nomination, vous affaiblissez une institution qui n'en a pas besoin."

Benjamin Morel, constitutionnaliste

à franceinfo

Ce maître de conférences en droit public cite "la théorie des apparences" pour appuyer son raisonnement. Cette théorie juridique, issue de la Cour européenne des droits de l'homme, souligne l'importance attribuée aux apparences et à la sensibilité accrue des citoyens aux garanties d'une bonne justice. Elle est également citée par Jean-Eric Schoettl, dans une tribune publiée dans Le Figaro, le 4 février. L'ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, qui ne nomme pas Richard Ferrand, est cependant assez explicite : "Le pire serait que le chef de l’Etat, par le choix qu’il ferait d’un président trop proche de lui, donne l’impression de vouloir reprendre indirectement la main sur des institutions dont les élections lui ont fait perdre le contrôle."

Les Républicains comme faiseurs de roi

Car le Conseil constitutionnel est aussi le juge électoral. Il "veille à la régularité de l'élection du président de la République et des opérations de référendum, dont il proclame les résultats", peut-on lire sur son site. Les opposants à Emmanuel Macron ne manquent d'ailleurs pas de rappeler que Richard Ferrand avait déclenché une vive controverse en proposant de modifier la Constitution pour éviter la limitation de la fonction présidentielle à deux mandats. "Je regrette tout ce qui bride la libre expression de la souveraineté (…). Changeons tout cela en préservant le bicamérisme et le Conseil constitutionnel, gardien vigilant des principes républicains et des libertés publiques", affirmait Richard Ferrand au Figaro en 2023.

De quoi questionner la future impartialité du nouveau président du Conseil constitutionnel pour ses opposants. La confirmation de sa nomination se trouve à présent dans les mains des Républicains, notamment au Sénat, où ils sont majoritaires. Ont-ils conclu un accord avec Emmanuel Macron ? "Pas de commentaire", glisse Philippe Gosselin, député LR, membre de la commission des lois de l'Assemblée. 

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