"Ils ne peuvent pas faire comme si cette annonce ne changeait rien" : pourquoi Sébastien Lecornu renonce au 49.3 pour l'examen du budget 2026

Article rédigé par Daïc Audouit - Avec Laure Cometti
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Le Premier ministre, Sébastien Lecornu, lors d'une allocution dans la cour de Matignon, le 3 octobre 2025. (ALAIN JOCARD / AFP)
Le Premier ministre, Sébastien Lecornu, lors d'une allocution dans la cour de Matignon, le 3 octobre 2025. (ALAIN JOCARD / AFP)

Le Premier ministre a annoncé vendredi matin que, contrairement à ses prédécesseurs, il n'emploierait pas cet outil que lui offre la Constitution, évoquant "le moment le plus parlementaire" de la Ve République.

C'est la rupture de méthode promise par Sébastien Lecornu. Le Premier ministre a annoncé, vendredi 3 octobre, qu'il renonçait à recourir à l'article 49.3 pour l'examen du budget 2026 à venir. "Dans un Parlement qui fonctionne, dans un Parlement en plus qui a été renouvelé il y a plus d'un an, qui ressemble aux Français, avec ses divisions, on ne peut pas passer en force et on ne peut pas contraindre son opposition", a-t-il déclaré lors d'une allocution matinale depuis le perron de Matignon.

L'article 49.3 de la Constitution lui donne la possibilité de mettre fin aux débats à l'Assemblée nationale et de considérer qu'un projet de loi est adopté sans vote final des députés. Le texte est alors considéré comme adopté si une motion de censure n'est pas votée. À l'inverse, si c'est le cas, le gouvernement est renversé et le texte rejeté.

Depuis 2022, dans le contexte d'un hémicycle sans majorité absolue, les prédécesseurs de Sébastien Lecornu ont souvent eu recours à cet constitutionnel. L'ancienne Première ministre Elisabeth Borne l'a notamment utilisé 23 fois en quatorze mois (de mi-octobre 2022 à mi-décembre 2023). Si Gabriel Attal n'a pas eu à présenter de budget pendant son cours passage à Matignon, Michel Barnier, lui, l'a dégainé une seule fois, provoquant sa chute immédiate. Après avoir obtenu des gages de la neutralité du PS, François Bayrou l'a quant à lui déclenché à deux reprises en février dernier.

"C'est un message pour que tout le monde accepte le débat"

"Le 49.3 est un outil vécu par l'opinion publique comme une façon de contraindre les débats. Le Premier ministre ne veut pas donner l'impression d'un passage en force", explique l'entourage de Sébastien Lecornu. Mais quand le chef du gouvernement – dont les ministres devraient être connus dans les prochains jours – évoque "le moment le plus parlementaire de la Ve République", c'est aux oppositions et singulièrement au PS qu'il s'adresse. Olivier Faure, après le départ de François Bayrou, s'était déclaré prêt à exercer la fonction de Premier ministre et promettait dans ce cadre de ne pas recourir au 49.3. La décision de l'allocution publique de Sébastien Lecornu, inhabituelle à un tel horaire, a été prise jeudi soir, à la veille d'une journée de rencontres avec les forces politiques. "Avant les consultations du jour, il ne peut pas être plus clair en délivrant le message que la balle est dans le camp des oppositions et que cela se passe au Parlement", poursuit son entourage.

Par cette expression publique, Sébastien Lecornu pousse les oppositions à réagir. "Cette annonce du Premier ministre m'apparaît plus respectueuse de la démocratie que ce qui a été fait les années précédentes", a noté Marine Le Pen, à la sortie de son entretien avec Sébastien Lecornu. "Ça correspond à une vraie évolution de la pratique institutionnelle", a reconnu le socialiste Olivier Faure avant de rencontrer le Premier ministre. Quant à Fabien Roussel, le patron du Parti communiste, il a estimé sur BFMTV "qu'il serait un peu raide" de censurer d'emblée Sébastien Lecornu. "Quand le Premier ministre dit 'pas de 49.3', c'est un message qu'il envoie aux groupes d'opposition. Pour qu'en retour, il n'y ait pas de motion de censure et que tout le monde accepte le débat", poursuit-il.

Sébastien Lecornu espère ainsi écarter le risque d'être censuré immédiatement la semaine prochaine à l'occasion de la motion de censure spontanée qu'ont prévu de déposer les députés de La France insoumise. "C'est habile de sa part, car quelque part, il renvoie la balle dans les 22 mètres du Parti socialiste", a commenté le député LR Jean-Didier Berger sur franceinfo.

À sa sortie de Matignon, Olivier Faure a toutefois estimé que le Premier ministre avait présenté "une copie très insuffisante, voire alarmante" et n'a donné aucune indication sur ce que pourrait être le vote des députés PS sur une motion de censure la semaine prochaine. "Avec cette promesse de ne pas recourir au 49.3, c'est quand même compliqué de le renverser tout de suite", reconnaît une élue socialiste. "Ils ne peuvent pas faire comme si cette annonce n'existait pas et ne changeait rien", espère de son côté un député du bloc central.

D'autres outils législatifs à sa disposition

Si Sébastien Lecornu passe cette première épreuve, la bataille budgétaire aura bien lieu au Parlement sur le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), à coups d'amendements sur tous les articles. Le gouvernement prend le risque d'être mis en minorité à chacun des votes ou de devoir faire des compromis sur son texte initial. Une perspective qui ne manque pas d'alerter Bruno Retailleau. "C'est un choix qui se comprend, à condition qu'une coalition des démagogues n'aboutisse pas au vote d'un budget qui serait contraire aux intérêts supérieurs de notre pays", a écrit sur X le ministre de l'Intérieur démissionnaire et patron des Républicains.

Le gouvernement a-t-il pour autant les pieds et les poings totalement liés face aux décisions des députés et des sénateurs ? "Non", répond le constitutionnaliste Benjamin Morel, qui énumère les outils à disposition du gouvernement pour reprendre la main : "l'article 40 ou encore l'article 44.3". L'article 40 permet de s'opposer à un amendement d'un député au nom de l'irrecevabilité financière : un député ne peut pas proposer une mesure qui augmente le budget. L'article 44.3 permet pour sa part au gouvernement d'organiser un vote bloqué sur tout ou partie du texte en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par lui. Il a déjà été utilisé par le gouvernement Borne en mars 2023, à l'occasion du débat sur la réforme des retraites.

Ces options suscitent la méfiance de Boris Vallaud, président du groupe PS à l'Assemblée, qui a évoqué sur franceinfo "la dureté des outils du parlementarisme rationalisé et cette possibilité de caporaliser le Parlement". Des préventions balayées par le socle commun. "Dire 'je renonce au 49.3 mais je recours à l'article 44', ça ne serait pas politiquement très habile. Ça ne ressemblerait pas à du Lecornu", objecte un député LR auprès de franceinfo.

"Une nouvelle méthode de partage du pouvoir"

Les débats budgétaires sont enfin encadrés par un calendrier très strict. La discussion sur le budget du pays ne doit pas dépasser 70 jours et celle sur le budget de la Sécurité sociale 50 jours. Si, à l'issue de ce délai, les budgets ne sont pas votés, le gouvernement peut procéder par ordonnance pour les faire adopter. Il s'agit là de l'article 47 de la Constitution. "Il y a beaucoup d'incertitudes, car ce dispositif n'a jamais été employé dans la Ve République", explique Benjamin Morel. "Politiquement, il permet à un gouvernement d'affirmer qu'il a le sens des responsabilités en dotant la France d'un budget, mais juridiquement, il prendrait beaucoup de risques et pourrait être invalidé par le Conseil d'Etat", conclut-il.

Sébastien Lecornu va maintenant s'atteler à finaliser la composition de son gouvernement. Parmi les qualités demandées aux futurs ministres figure notamment une bonne connaissance des rouages parlementaires. Le Premier ministre souhaite ainsi présenter une liste de "membres du gouvernement qui devront accepter de rentrer aussi dans une nouvelle méthode de partage du pouvoir avec l'Assemblée nationale".

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