Reportage "Des milliers d'enfants ont besoin d'aide" : à Atlanta, les réfugiés palestiniens désespèrent alors que les États-Unis ne délivrent plus de visa

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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La militante Jawahir Kamil a toujours une banderole prête à être déployée en toutes circonstances. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)
La militante Jawahir Kamil a toujours une banderole prête à être déployée en toutes circonstances. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)

La diplomatie américaine a annoncé mi-août qu'elle mettait fin, le temps d'une enquête, à ses visas médicaux pour des réfugiés palestiniens de la bande de Gaza, après qu'une influenceuse d'extrême droite, proche de Donald Trump, a dénoncé cette politique humanitaire.

Alors que la France s’apprête, avec d’autres pays, à annoncer la reconnaissance d’un État palestinien lundi 22 septembre en marge de l’Assemblée Générale de l’ONU, Washington, l’allié d’Israël, ne fait aucun geste d’apaisement. Depuis un mois les États-Unis ne délivrent plus aucun visa aux Palestiniens, quel que soit le motif de leur voyage, et ont annoncé qu'ils n'en accorderaient pas non plus à la délégation palestinienne lors du sommet annuel des Nations unies.

Ce revirement de situation inquiète les Paletsiniens réfugiés à Atlanta, comme Yacine, 12 ans, et sa famille. Il a perdu ses jambes dans une frappe de drone israélien sur Gaza – le bombardement a aussi tué son père et son frère aîné. Ses cuisses sont aujourd’hui réduites à deux moignons encore boursouflés, couturés d’agrafes. Il grimace parfois - la douleur ne le quitte pas.

"C'est comme de la censure"

Après de longs mois d’attente dans l’enfer de l’enclave palestinienne, il a pu être transféré à Atlanta, aux Etats-Unis, grâce à la solidarité américaine et à l’association Heal Palestine. Il a été opéré et sera bientôt équipé de prothèses, pour réapprendre à marcher. Fadwa, sa mère, tente de sourire. "Mais c’est dur, très dur", dit-elle dans un anglais hésitant. "Ma maison a été détruite, j’ai perdu mon travail… J’ai perdu mes rêves, aussi".

Yassin, 12 ans, amputé des deux jambes après une frappe sur Gaza, et sa grande soeur Zeina. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)
Yassin, 12 ans, amputé des deux jambes après une frappe sur Gaza, et sa grande soeur Zeina. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)

Pourtant, Yassin a de la chance. Il est arrivé début août aux États-Unis, quelques jours seulement après la suspension de tous les visas accordés aux détenteurs de passeport palestinien. Une mesure prise « au nom de la sécurité nationale ». Heal Palestine, qui a déjà fait venir une douzaine d’enfants depuis le début de la guerre en 2023, a du tout arrêter. 

"C’est injuste et injustifiable", lance Ghada Al-Najjar, américano-palestinienne, elle-même d’origine gazaouie, bénévole au sein de l’association à Atlanta. "Des milliers d’enfants ont besoin d’aide. Et ceux qui sont autorisés à évacuer sont justement ceux qui en ont le plus besoin ! Et puis cette mesure nous empêche d’alerter l’opinion sur ce qui se passe à Gaza. C’est comme de la censure."

"Quand vous interdisez à des enfants de venir se faire soigner, vous empêchez leur histoire d’être racontée".

Ghada Al-Najjar, bénévole pour Heal Palestine

à franceinfo

Ghada regarde aussi avec beaucoup d’amertume les mots et les actes de son président : "En tant qu’humanitaire, je trouve ça dévastateur. En temps qu’Américaine, j’éprouve un sentiment de trahison. Parce que Donald Trump avait dit qu’il arrêterait les guerres".

Le sentiment d'être des "criminels"

Le climat a aussi changé depuis les manifestations pro-palestiniennes sur les campus universitaires, l’an dernier. Des mouvements de contestation violemment réprimés, y compris à Atlanta. Warda Mustafa-Quintana, en master de linguistique à l’université publique de Géorgie, est restée marquée par la brutalité des forces de l’ordre.

Warda Mustafa-Quintana, étudiante, à Atlanta, en septembre 2025. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)
Warda Mustafa-Quintana, étudiante, à Atlanta, en septembre 2025. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)

"Quand la police a chargé, c'était vraiment… horrible. Le chaos. On ne s’attendait pas à autant de violence". La jeune femme a perdu sa sérénité. "Le simple fait d'être un étudiant palestinien te fragilise, dit-elle. On est plus souvent arrêtés par les services de l’immigration, même si on est en règle."

"Mon père me dit de toujours avoir mes documents d’identité sur moi et d'éviter les endroits où il y a la police."

Warda, étudiante palestinienne

à franceinfo

Jawahir Kamil, elle, ne se cache pas. Au contraire. Cette quinquagénaire à l’énergie communicative, infatigable militante, ne sort jamais sans son keffieh. Toujours prête à perturber une réunion publique aux cris de "Free Palestine!". Le coffre de sa voiture est rempli de matériel qu’elle dégaine là encore à la moindre occasion : porte-voix, drapeau palestinien, casserole, banderole "Arrêtez d’armer Israël".

Dans son coffre, Jawahir Kamil a toujours son matériel d'activiste. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)
Dans son coffre, Jawahir Kamil a toujours son matériel d'activiste. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)

L'activiste dénonce une double peine : "On nous traite toujours comme des criminels en puissance ou des terroristes… Mais qui terrorise les gens ? Et vous, vous laissez Netanyahu, un criminel de guerre s’installer et parler à la tribune des Nations unies. Mais nous aussi on a le droit d’être là ! Pourquoi vous ne nous donnez pas de visas ? Combien de guerres encore il faudra pour que le monde nous considère comme des êtres humains ?".

Jawahir ira manifester sa colère devant l’ONU la semaine prochaine, au moment de l’Assemblée Générale. Elle veut réclamer la reconnaissance d’un État palestinien, mais aussi dénoncer la proximité de Washington avec Israël. La militante veut surtout porter la voix de milliers d’autres Yacine, de milliers d’autres Warda… et celle de tous les autres.

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