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Reportage "Tout le monde vit dans la peur" : sous les bombardements israéliens, les habitants du sud du Liban dénoncent "un ennemi qui ne distingue pas les civils"

Le ministère libanais de la Santé a annoncé que 50 personnes avaient été tuées dans les frappes intensives israéliennes sur le sud du pays lundi, le plus lourd bilan en près d'un an de violences.

Article rédigé par Arthur Sarradin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un nuage de fumée s'élève après l'impact d'une frappe israélienne sur Adshit, près de la frontière entre le Liban et Israël, le 23 septembre 2024. (AMMAR AMMAR / AFP)
Un nuage de fumée s'élève après l'impact d'une frappe israélienne sur Adshit, près de la frontière entre le Liban et Israël, le 23 septembre 2024. (AMMAR AMMAR / AFP)

Un week-end de violence inédit au sud du Liban. À la frontière avec Israël, les échanges de tirs s’intensifient dangereusement entre le Hezbollah et l’armée israélienne. Le secrétaire général adjoint du Hezbollah parle "d’une nouvelle phase de la guerre" et évoque une "bataille ouverte et décisive".

Dimanche 22 septembre, le Hezbollah a de nouveau conduit des attaques dans des zones civiles du nord d'Israël, et l’État hébreu des raids aériens encore jamais vu dans tout le sud du Liban. Le ministère libanais de la Santé a annoncé que "50 personnes avaient été tuées et plus de 300 blessés", dont des enfants, des femmes et des secouristes, dans les frappes intensives israéliennes sur le sud du pays lundi, le plus lourd bilan en près d'un an de violences. 

Liban : une enfance dans la guerre - le reportage d'Arthur Sarradin

Ibrahim a 5 ans. Il habite à deux kilomètres de la frontière, face au village de Houla. Avec son père, ils regardent l’aviation israélienne survoler leur maison. "Papa, papa, regarde ça ! Il y a encore un petit point blanc dans le ciel qui vient d’apparaître, il est revenu", dit-il à voix basse. "Oui, il s’approche", lui répond son père. "Regarde papa, un deuxième." "Oui, attention ! Ils vont très très vite…" Une série d'explosions fait ensuite trembler la vallée.

"Qu'ont-ils fait de mal alors qu'ils dormaient ?"

Dimanche, plus de cent frappes israéliennes ont touché le sud du Liban. Jamais les échanges de tirs avec le Hezbollah n’avaient été aussi violents que ce week-end. "Toujours ! Il y en a toujours. Chaque jour, la nuit et le soir, l'après-midi... Et dans la nuit, on a entendu les bombes." Dans la nuit de samedi, l'armée israélienne a annoncé avoir détruit un entrepôt qu'elle accuse d'être un stock d'armes du Hezbollah. Mahmoud est le cousin du propriétaire, qu'il tente de consoler, les larmes aux yeux. Il jure qu'il s'agissait d'un hangar commercial connu de la région. "Qu'est-ce qu'on a fait ? On n'a pas dormi, on n'a pas mangé. Voilà, C'est le but d'Israël. Juste créer la peur."

La frappe a fait dix victimes civiles, tous des réfugiés syriens. À 20 kilomètres d'ici, dans le village de Blat, quatre d'entre eux sont enterrés modestement. Quelques dizaines d'hommes portent les corps sur des brancards. La plus jeune victime, Ahmed, avait un an et demi. Son oncle refuse de le voir enterré. Le grand-père de la famille a l'air dépassé. "Qu'ont-ils fait de mal alors qu'ils dormaient ? Nous n'aurons jamais justice. Tuer des femmes, des enfants ! Ce sont des criminels de guerre !"

"Nous ne partirons pas"

Déjà plus d'une centaine d'enfants sont morts au Liban depuis le début du conflit. Plus d'un millier d'entre eux sont aussi blessés. À l’hôpital Dar Al Amal de Baalbek, Céline, une enfant de 3 ans, se tord de douleur. Il y a trois jours, elle a survécu à une frappe israélienne dans son village de Bouday. Hussein, son oncle, se tient à ses côtés : "Ses parents et ses frères et sœurs ont tous été tués. Elle a trop de fractures, elle est entièrement traumatisée et fait des crises de panique." La petite est couverte de brûlures et de bandages. Les médecins n’ont pas réussi à sauver sa jambe droite. Elle attend encore d'autres opérations.

Mais depuis le début du mois, l'armée israélienne a décrété que l'hôpital était en zone d'évacuation. Ali Allam en est le directeur. "On laisse aux patients le choix de décider. La dernière fois, on a reçu un ordre israélien d'évacuer par téléphone nous disant qu'on était près d’intérêts du Hezbollah. C’est illégal, mais qui est là pour leur rappeler la loi ? demande-t-il. Au final, il y a une chose plus importante que nos vies, c’est notre mission humanitaire. Alors, nous ne partirons pas." Son hôpital est le plus important de la région. Le personnel explique que depuis le début du mois, plusieurs dizaines de patients arrivent chaque jour. La plupart sont déplacés, touchés dans des zones qui n'avaient reçu aucun ordre d'évacuation. 

Au dernier étage, Zaïna prend soin des couveuses pour les bébés prématurés et ceux blessés par la guerre : "On a reçu un bébé qui se trouvait près d’une explosion, recouvert de verre sur le corps et le visage. Et on a Maryam aussi, un bébé qui a eu le crâne fracturé après une frappe." Dans la petite pièce, certains survivent sous oxygène : "On a des bébés qui sont trop fatigués… Si on doit un jour partir, on ne pourra pas les emmener. On devra prendre ceux qui ont une chance de survie." Depuis septembre dernier, plus de 40 hôpitaux ont été touchés par les frappes israéliennes. Ici, à Dar Al Amal, aux portes de l'hôpital, les victimes continuent d'affluer. Un camion frigorifique vient d'être acheminé pour servir de morgue provisoire. Celle de l'hôpital est déjà pleine.

"On est entourés par les tirs"

Nous sommes maintenant dans le village voisin de Adloun, presque entièrement désert. Les habitants ont tous fui les bombardements. Devant l'école publique de la ville, Ali Safadi, lui, a décidé de rester. "Honnêtement, je pense que je suis le dernier maître d'école, ici dans le coin. Le ministère de l'Éducation a suspendu les cours jusqu'à nouvel ordre et, à mon avis, nous allons perdre encore une année scolaire entière." Ce n'est pas la première fois. Depuis quelques années, l'épidémie de Covid ou la crise économique ont privé de nombreux enfants de l'école. Difficile aussi de faire les cours à distance. Les professeurs comme Ali Safadi n'en ont pas les moyens. "Ils ont bombardé l'immeuble voisin de ma maison, les trois étages se sont effondrés. Mais moi, je préfère mourir ici. J'ai peur, mais je n'abandonnerai pas ma maison, jamais."

Avec la guerre, les nerfs des Libanais commencent à lâcher. Plus d'un million d'entre eux sont déplacés. Parmi eux, 400 000 enfants. Dans une école près d'Anjar, collée à la frontière syrienne, des centaines d'entre eux ont trouvé refuge. Comme dans la moitié des établissements du pays, des familles entières vivent dans de petites classes en n'ayant pu sauver seulement quelques affaires. Kedak a 13 ans. Elle est d'origine arménienne. "On a vraiment eu peur car ils étaient très proches et on les a vraiment ressentis. On est entourés par les tirs, tout le pays est attaqué." Avec ses mots, elle a parfois du mal à décrire ce qu'elle et ses camarades peuvent ressentir. "On entend les bruits et on ne sait pas ce qu'il peut se passer. Peut-être qu'on n'aura pas le temps de s'enfuir. C'est dur de travailler et de se concentrer sur l'école parce qu'on a peur tout le temps. On ne sait pas si on va pouvoir aller à l'école le jour suivant ou si quand on est à l'école, on pourra rentrer à la maison."

Autrefois au Liban, les enfants grandissaient avec le trauma de leurs parents, ceux de la guerre civile, ou de la dernière guerre de 2006, parfois. Aujourd'hui, après un an de bombardements, la nouvelle génération a sa guerre et avec elle, ses nouveaux traumatismes auxquels elle ne peut échapper.

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