"Le camp de la paix est en morceaux" : après deux ans de guerre dans la bande de Gaza, à quoi ressemble la vie politique en Israël ?

Article rédigé par Pierre-Louis Caron
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Des manifestants réclament la fin de l'offensive israélienne à Gaza et le retour des otages, le 30 septembre 2025 à Tel-Aviv (Israël). (MOSTAFA ALKHAROUF / ANADOLU / AFP)
Des manifestants réclament la fin de l'offensive israélienne à Gaza et le retour des otages, le 30 septembre 2025 à Tel-Aviv (Israël). (MOSTAFA ALKHAROUF / ANADOLU / AFP)

En marge du conflit, les partis israéliens sont tiraillés au sujet de l'offensive et des méthodes du gouvernement de Benyamin Nétanyahou. Une situation qui pourrait profiter à l'actuel Premier ministre en vue des législatives prévues pour 2026.

Qu'il s'adresse aux ambassadeurs de l'ONU ou à ses concitoyens, Benyamin Nétanyahou répète sensiblement la même chose : il veut "finir le travail" dans la bande de Gaza, et "le plus vite possible". Mais le Premier ministre israélien peine à fixer une date de fin pour l'opération "Epées de fer", déclenchée en réponse aux attaques terroristes du Hamas le 7 octobre 2023. Dans l'attente d'un hypothétique cessez-le-feu après l'annonce du "plan Trump", l'armée poursuit ses bombardements et ses raids dans l'enclave palestinienne.

Côté israélien, le traumatisme du 7-Octobre reste très vif, et "le climat politique général du pays est plutôt sombre", décrit Nimrod Goren, fondateur du centre de réflexion Mitvim, spécialisé dans les relations entre l'Etat hébreu et ses voisins. "La guerre a des implications personnelles et nationales pour toute la société, et nous faisons face à un manque criant de confiance envers les dirigeants actuels", souligne-t-il auprès de franceinfo. 

Sans forcément ébranler la vie politique israélienne, le conflit à Gaza "a provoqué de nouveaux clivages" dans le pays, secouant au passage une coalition gouvernementale déjà très critiquée, observe Nimrod Goren. Malgré la défiance, Benyamin Nétanyahou conserve quelques atouts, et peut même s'imaginer sortir gagnant des prochaines élections législatives, programmées pour octobre 2026. Décryptage.

"Le 7-Octobre a eu lieu en pleine crise politique"

Pour mieux comprendre le climat politique en Israël, il faut remonter le temps un peu plus loin que les massacres du Hamas et le début de l'offensive israélienne. Car "le 7-Octobre a eu lieu en pleine crise politique pour le gouvernement de Benyamin Nétanyahou", rappelle à franceinfo Sara Leykin, chercheuse à l'Institut pour les études de politique internationale de Milan (Italie). Fin 2022, moins d'un an avant les attaques, le Premier ministre israélien était revenu au pouvoir dans la douleur. Rejeté par le centre-droit à cause d'accusations de corruption, il avait formé une alliance inédite avec des partis religieux et d'extrême droite.

A partir de janvier 2023, son projet de réforme de la justice s'était heurté à un important mouvement de contestation, symbolisé par des manifestations chaque samedi soir dans les grandes villes du pays. Malgré une pause décrétée en mars 2023, certaines mesures de ce projet avaient été adoptées au mois de juillet suivant, provoquant de nouveaux rassemblements hebdomadaires.

Des opposants à la réforme de la justice manifestent à Tel-Aviv (Israël), le 24 juillet 2023. (GILI YAARI / NURPHOTO / AFP)
Des opposants à la réforme de la justice manifestent à Tel-Aviv (Israël), le 24 juillet 2023. (GILI YAARI / NURPHOTO / AFP)

Pour Jean-Paul Chagnollaud, directeur de l'Institut de recherche et d'études Méditerranée/Moyen-Orient (iReMMO), cette crise antérieure au 7-Octobre est le prolongement d'un processus en cours depuis plus de vingt ans. "Jusqu'alors, il y avait toujours eu un équilibre des forces politiques en Israël, retrace le directeur de l'iReMMO. Mais depuis 2001, la droite a pris le pouvoir. Et au fil des années, nous avons vu un glissement vers des discours toujours plus durs, pour arriver à la coalition actuelle."

Parmi les nouveaux alliés d'extrême droite de Benyamin Nétanyahou et du Likoud, son parti, on retrouve notamment le sulfureux ministre de l'Intérieur Itamar Ben Gvir (Force juive) et Bezalel Smotrich (Parti sioniste religieux), nommé aux Finances. "Cette coalition n'est pas une simple alliance électorale, elle est tenue par un ciment idéologique, fait remarquer Jean-Paul Chagnollaud. Tous soutiennent la colonisation intense en Cisjordanie. Et personne ne veut négocier avec les Palestiniens pour quoi que ce soit." 

De nouvelles divisions autour des otages et des objectifs de la guerre

Dans ce contexte tendu, le 7-Octobre et le conflit dans la bande de Gaza ont "accentué la cassure sociale et politique" en Israël, souligne Jean-Paul Chagnollaud. L'offensive contre le Hamas a aussi créé de nouvelles lignes de fracture, en premier lieu au sujet des otages détenus dans l'enclave palestinienne. "Contrairement à une bonne partie des Israéliens, cela n'a jamais été la priorité de Benyamin Nétanyahou, et ça ne l'est pas davantage aujourd'hui, explique le directeur de l'iReMMO. Sinon, il n'aurait pas remis en question le cessez-le-feu au début du mois de mars [2025], qui devait conduire à une nouvelle phase de libérations."

La coalition de Benyamin Nétanyahou est en outre très critiquée pour son opposition à la création d'une commission d'enquête nationale sur les attaques du 7-Octobre, malgré plusieurs pétitions déposées auprès de la Cour suprême. A la Knesset (le Parlement israélien), ce projet a été rejeté début 2025. Le gouvernement refuse par ailleurs de prendre une décision sur le sujet, invoquant les combats en cours à Gaza. Malgré ces oppositions, "les sondages montrent qu'une très grande majorité d'Israéliens, souvent autour de 70%, soutiennent la guerre dans sa dimension anti-palestinienne, pour écraser le Hamas", explique Jean-Paul Chagnollaud. 

Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, s'entretient avec des proches de l'otage Evyatar David, à Jérusalem, le 11 août 2025. (OHAD ZWIGENBERG / AFP)
Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, s'entretient avec des proches de l'otage Evyatar David, à Jérusalem, le 11 août 2025. (OHAD ZWIGENBERG / AFP)

Comme le rappelle Nimrod Goren, le conflit issu du 7-Octobre a rebattu certaines cartes de la politique israélienne. "Nous avons, par exemple, vu le centriste Benny Gantz grimper très haut dans les sondages dans les mois qui ont suivi les attaques, avant de chuter sensiblement", retrace-t-il. Faute d'avoir obtenu un plan d'après-guerre, celui qui était perçu comme le principal rival de Benyamin Nétanyahou a quitté le cabinet spécial du gouvernement en juin 2024, et est devenu si impopulaire en Israël que son parti pourrait ne pas franchir le seuil électoral de la Knesset aux prochaines élections.

Au sein du gouvernement, les ministres d'extrême-droite sont très critiques vis-à-vis des négociations avec le Hamas, et menacent régulièrement de claquer la porte, comme l'a fait Itamar Ben Gvir lors du cessez-le-feu de janvier (avant de finalement revenir en mars). A cause d'un désaccord sur le service militaire, deux partis ultra-orthodoxes ont par ailleurs quitté la coalition parlementaire de Benyamin Nétanyahou cette année, fragilisant sa majorité, comme l'a rapporté le média Times of Israel.

Du côté de l'opposition, "un raidissement se fait aussi ressentir", note Nimrod Goren. "Le centre-gauche est très prudent, en n'allant pas trop loin dans son soutien à la solution à deux Etats, par exemple, en raison du désaccord public", explique-t-il. Autre changement : l'alliance avec des partis arabes, comme celle nouée en 2021, fait à nouveau débat. "Certains dirigeants estiment que ce n'est plus possible en ce moment. Cela pose beaucoup de questions en termes de valeurs, mais aussi de stratégie politique car les Arabes israéliens représentent tout de même 20% de la population", rappelle le président de l'institut Mitvim.

"Nétanyahou sait se nourrir des traumatismes et de la peur"

S'il fallait désigner les figures ayant le plus profité politiquement du climat de guerre, Benyamin Nétanyahou arriverait "en tête", estime Mairav Zonszein, analyste pour l'ONG internationale Crisis Group. "La méfiance envers les Palestiniens, la prévention de la solution à deux Etats… Ce sont des choses sur lesquelles il a bâti toute sa carrière", rappelle-t-elle à franceinfo. En "empêchant tout horizon politique", la guerre "permet à la droite de se maintenir au pouvoir", décrit l'analyste. "[Benyamin] Nétanyahou sait se nourrir des traumatismes et de la peur que les Israéliens ressentent depuis le 7-Octobre, surtout que les discours extrémistes sur la force militaire et la colonisation sont devenus de plus en plus consensuels."

Paradoxalement, les ministres d'extrême droite Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir semblent avoir cassé leur dynamique électorale de 2022. "Ils sont allés trop loin sur la colonisation et se sont clairement opposés à un accord sur les otages, alors que c'est ce que la majorité réclame", pointe Mairav Zonszein. A en croire de récents sondages, les partis de ces deux ministres pourraient ne pas récolter assez de voix en 2026, et perdre la douzaine de sièges qu'ils occupent pour l'instant à la Knesset. 

Face au bloc gouvernemental, "l'opposition peine à s'imposer", souligne Mairav Zonszein. "Tous veulent remplacer Benyamin Nétanyahou, mais aucun n'est en mesure de le faire, ni de proposer une vision suffisamment différente, explique-t-elle. Au nom de la sécurité nationale, beaucoup ont, par exemple, soutenu les opérations militaires à Gaza, mais aussi au Liban, en Syrie ou contre l'Iran". Des opposants se préparent pourtant en vue des prochaines élections, comme l'ancien Premier ministre d'extrême droite Naftali Bennett ou encore le député de centre-droit Gadi Eizenkot. A gauche, Yaïr Golan "tente de réunir les partisans d'une solution à deux Etats, mais le camp de la paix est en morceaux", estime Mairav Zonszein.

L'ancien Premier ministre israélien Naftali Bennett, lors d'un rassemblement pour les otages du 7-Octobre à New York (Etats-Unis), le 7 avril 2024. (SOPA IMAGES/SIPA / SIPA)
L'ancien Premier ministre israélien Naftali Bennett, lors d'un rassemblement pour les otages du 7-Octobre à New York (Etats-Unis), le 7 avril 2024. (SOPA IMAGES/SIPA / SIPA)

Pour Benyamin Nétanyahou, les prochaines élections législatives représenteront en tout cas bien plus qu'un simple scrutin. "Sans immunité, il risque d'être finalement condamné pour corruption, rappelle Nimrod Goren. L'enjeu est donc très personnel pour lui." Dans un paysage politique très volatil, où les partis sont nombreux et souvent crédités de scores modestes, le Likoud surnage avec 25% des intentions de vote selon les sondages. Un avantage loin d'être suffisant pour l'actuel Premier ministre, qui devra continuer à pactiser pour rester au pouvoir – et loin de la case prison.

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