Frappes israéliennes sur Gaza : libération des otages, survie politique en jeu... Pourquoi Benyamin Nétanyahou a relancé l'offensive militaire

L'armée israélienne a repris dans la nuit de lundi à mardi sa campagne de bombardements sur la bande de Gaza, après presque deux mois de trêve. Selon la Défense civile dans la bande de Gaza, 436 personnes ont été tuées en 48 heures.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, lors d'une conférence de presse à Jérusalem, le 25 mai 2021. (ALEX BRANDON / AFP)
Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, lors d'une conférence de presse à Jérusalem, le 25 mai 2021. (ALEX BRANDON / AFP)

L'une des journées les plus meurtrières depuis le début de la guerre. Les nouveaux bombardements sur la bande de Gaza, menés dans la nuit du lundi 17 au mardi 18 mars, ont fait au moins 436 morts en 48 heures, selon un bilan de la Défense civile dans la bande de Gaza communiqué mercredi. Le ministère de la Santé du Hamas avait initialement donné un bilan de 970 morts, qui a été retiré par un responsable du ministère invoquant une "erreur technique", selon l'AFP.

Plusieurs éléments expliquent pourquoi le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a décidé de ces frappes d'une intensité inédite depuis l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, le 19 janvier.

Une attaque menée face au refus du "Hamas de libérer les otages"

Ces frappes, décidées par Benyamin Nétanyahou et son ministre de la Défense, Israël Katz, ont été présentées comme un retour à deux objectifs fondamentaux d'Israël : atteindre le Hamas et accélérer le retour des otages toujours détenus dans l'enclave palestinienne. Les tirs font "suite au refus répété du Hamas de libérer nos otages ainsi qu'à son rejet de toutes les propositions qu'il a reçues de l'envoyé présidentiel américain Steve Witkoff et des médiateurs", a déclaré le gouvernement israélien, ajoutant qu'ils n'étaient "que le début". "Désormais", les négociations sur la libération des otages encore retenus à Gaza "ne se dérouleront que sous le feu", a prévenu le chef du gouvernement de l'Etat hébreu, estimant que la pression militaire était "indispensable" pour assurer leur retour.

Sur les 251 personnes enlevées lors de l'attaque sans précédent du Hamas le 7 octobre 2023 en Israël, qui a déclenché la guerre, il reste 58 otages retenus à Gaza, dont 34 ont été déclarés morts par l'armée israélienne. Des proches des otages estiment pourtant que le Premier ministre, en donnant son feu vert à l'opération nocturne dans la bande de Gaza, a "sacrifié" les captifs qui ont peut-être été aussi victimes des bombardements.

L'attaque massive déclenchée lundi soir visait également des chefs du Hamas. Quatre dirigeants du groupe islamiste au pouvoir à Gaza ont été tués, parmi lesquels le chef du gouvernement de l'enclave, Essam al-Dalis, selon le mouvement. Le porte-parole de la branche armée du groupe Jihad islamique figure aussi parmi les victimes, d'après les deux mouvements alliés.

Une deuxième phase du cessez-le-feu qui patine

Les frappes sont intervenues alors que les discussions entre Israéliens et Palestiniens sur la poursuite de la trêve étaient au point mort. La deuxième phase actée dans l'accord entré en vigueur le 19 janvier prévoyait la libération des derniers otages et le retrait total des troupes israéliennes. Réticent, Israël souhaitait en retour une "démilitarisation totale" de l'enclave palestinienne, selon une feuille de route du gouvernement israélien présentée le 22 février. Une perspective que rejetait le Hamas. Les Etats-Unis et Israël ont alors voulu prolonger la première étape et libérer davantage d'otages. "Israël a accepté les propositions de l'émissaire américain Steve Witkoff pour une prolongation du cessez-le-feu, mais le Hamas les a rejetées deux fois", a ainsi argué mardi Gideon Saar, le ministre des Affaires étrangères israélien, assurant que son pays n'avait "d'autre choix que de reprendre les opérations militaires". 

"A partir du moment où le Hamas n'a pas l'intention de désarmer, que pour Israël c'est inconcevable que le Hamas survive militairement et politiquement dans l'enclave, et que les négociations pour la deuxième phase étaient dans une impasse, ça ne pouvait déboucher que sur une reprise de la guerre", analyse David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), dans Le Parisien.

D'après des médias israéliens, Benyamin Nétanyahou a donc élaboré un système de pression baptisé "plan enfer", comprenant le blocage de l'aide humanitaire à Gaza, la coupure de l'électricité et le déplacement des habitants du nord vers le sud, tout en n'excluant pas une reprise de la guerre comme mesure ultime si le Hamas ne cédait pas.

Benyamin Nétanyahou en pleine crise de légitimité en Israël

La décision de frapper massivement Gaza intervient alors que la situation politique est pour le moins tendue en Israël. Benyamin Nétanyahou refuse jusqu'à présent de créer une commission d'enquête sur le 7-Octobre, qui pourrait être dommageable pour son gouvernement, et plusieurs de ses proches sont visés par une enquête du Shin Bet, la sécurité intérieure, soupçonnés "d'espionnage et de divulgation de secrets d'Etat". Il a pourtant annoncé dimanche son intention de relever de son poste le patron du Shin Bet, Ronen Bar, affirmant ne plus lui accorder sa confiance. Un bras de fer s'est alors ouvert avec la procureure générale, qui est également conseillère juridique du gouvernement, Gali Baharav-Miara. La magistrate a informé le Premier ministre que sa décision ne pouvait pas être prise par lui dans les circonstances actuelles sans "suivre les règles fixées par le gouvernement sur ce sujet".

Le gouvernement israélien doit également faire passer son budget avant la fin du mois pour éviter la convocation d'élections anticipées, rapporte The Times of Israël. Il cherche donc à regagner le soutien de la droite de la droite. Une opération visiblement couronnée de succès : l'ancien ministre de la Sécurité nationale et actuel chef du parti d'extrême droite Force juive, Itamar Ben Gvir, a réintégré la coalition gouvernementale après la reprise des combats. Il avait quitté le cabinet lors de la signature de l'accord de cessez-le-feu en janvier.

"On peut soutenir, sur le plan militaire, que le Hamas n'a pas été détruit et qu'il est en train de se reconstituer, mais il est impossible de dissocier cela des événements politiques", analyse Chuck Freilich, ancien conseiller adjoint à la sécurité nationale d'Israël, pour le Washington Post. "Je pense que personne ne peut ignorer le moment choisi", poursuit-il. Benyamin Nétanyahou "est obsédé par sa survie politique. Elle précède toute autre considération", acquiesce Frédérique Schillo, historienne spécialiste d'Israël, dans les colonnes du Nouvel Obs.

Mardi soir, plusieurs milliers de manifestants se sont de nouveau rassemblés à Jérusalem contre leur Premier ministre, l'accusant de dérives anti-démocratiques et de poursuivre la guerre contre le Hamas sans considération pour les otages encore détenus. Ce rassemblement était le plus important dans la capitale depuis plusieurs mois. En réponse, le Premier ministre a assuré que le feu vert à l'opération n'était pas motivé par "des considérations politiques".

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