Prix Nobel de la paix : "Le comité peut rajouter quelques noms s'il veut, ce qui lui donne toute liberté", pointe l'autrice Christine Kerdellant, qui estime que Donald Trump ne l'aura "sûrement pas cette année"
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Invitée de "La Matinale" du vendredi 10 octobre, quelques heures avant la remise du Prix Nobel de la paix, Christine Kerdellant, autrice du livre "Prix Nobel : le prestige et l'imposture", revient notamment sur la probabilité que le président américain le décroche.
La remise du Prix Nobel de paix 2025 se déroule ce vendredi 10 octobre, un jour après l'annonce du succès du plan de paix proposé par Donald Trump pour mettre fin à la guerre à Gaza, et dont Israël et le Hamas ont accepté la première phase. Le président américain, qui milite pour obtenir la récompense prestigieuse, est-il légitime ? Sur la forme, "sûrement pas cette année", et sur le fond, "ce serait quelque part un scandale", estime dan "La Matinale" du 10 octobre l'écrivaine Christine Kerdellant, qui a consacré un livre à l'institution des Nobel et son fonctionnement, Prix Nobel : le prestige et l'imposture.
Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.
Brigitte Boucher : Le Prix Nobel de la paix va être désigné aujourd'hui, à 11h. Ironie du sort, depuis 1946, jamais le nombre de conflits armés impliquant au moins un État n'a été aussi élevé qu'en 2024. Il y a peut-être un conflit en moins avec cet accord de paix qui a été signé à Gaza, le plan Trump, qui a été accepté par le Hamas. Justement, c'est la grande question qui se pose. Est-ce que Donald Trump peut prétendre à ce Prix Nobel de la paix, lui qui en rêve ?
Christine Kerdellant : Sûrement pas cette année, pour des raisons de forme et des raisons de fond. Les raisons de forme, c'est que normalement, les candidatures sont closes le 31 janvier de chaque année. Les jurés du Nobel, le comité Nobel de la paix, interrogent des personnalités dans le monde. Il y a eu 338 réponses. Ce sont des professeurs de droit, ce sont des chefs d'État, ce sont d'anciens lauréats, c'est tout un panel qui donne des noms. Ensuite, le comité lui-même peut rajouter quelques noms s'il veut, ce qui lui donne toute liberté, parce qu'il n'est pas du tout obligé d'écouter, même si 100 personnes ont voté pour Donald Trump, il n'est pas du tout obligé de le décerner à Donald Trump pour autant. Ça, c'est donc le 31 janvier, deadline pour la remise des noms. L'accord à Gaza, il n'était pas du tout prêt, donc pour l'année prochaine, il peut avoir ses chances. Ça, c'est sur la forme. Sur le fond, ce serait quelque part un scandale. Parce que Donald Trump a déclenché une guerre commerciale avec ses droits de douane, avec la plupart des pays du monde, ce qui fait que la croissance va baisser et que la pauvreté va augmenter dans beaucoup de pays du tiers-monde. En Afrique, il a enlevé certaines aides. Vous vous rappelez, avec Elon Musk, ils ont coupé l'argent distribué par les agences. Il veut s'emparer du Groenland pour les États-Unis, il prône que le Canada devienne le 51e État américain.
C'est-à-dire qu'il faut aussi voir sur le plan intérieur ce que fait Donald Trump ? Cela compte aussi pour le Nobel ?
Oui, c'est-à-dire, qu'effectivement, ce qu'il a fait avec les immigrants peut avoir une influence négative. Dans l'histoire, très souvent, des prix Nobel ont été décernés pour une action précise. Par exemple, Kissinger et le Duc Tho en 1973 pour les accords de Paris qui mettaient fin à la guerre du Vietnam. Les Nobel ont oublié tout ce que Kissinger avait pu faire de négatif. Il avait encouragé aussi cette guerre. Il avait rasé Hanoï, il avait poussé à ce que toutes les positions s'extrémisent dans cette guerre. Et puis, il a quand même mis en place des régimes en Amérique du Sud, enfin, fait tomber un certain nombre de régimes et mis en place, par exemple, le général Pinochet, fait tomber Salvador Allende. Enfin, c'était un pur scandale que Kissinger puisse avoir un prix Nobel. Il y a Yasser Arafat, pareil. Il l'avait eu en 1994 avec Shimon Peres et Yitzhak Rabin. Effectivement, il avait du sang sur les mains. Ce qui est paradoxal, c'est que dans les consignes données par Alfred Nobel dans son testament, il demandait que le prix soit remis à quelqu'un qui a œuvré pour le rapprochement des peuples et que ce soit un bienfaiteur de l'humanité, quelque part. Est-ce qu'on peut dire qu'Yasser Arafat ou Kissinger étaient des bienfaiteurs de l'humanité ? Le rapprochement des peuples.
"Barack Obama, ce n'est pas un malentendu, mais c'est une aberration"
C'est ce qu'on avait dit pour Barack Obama.
Alors, Barack Obama, il l'a eu sur un... Ce n'est pas un malentendu, ce n'est pas un accident, mais c'est une aberration.
Lui-même disait avoir été surpris.
Lui-même a dit qu'il a été le premier surpris et qu'il ne comprenait pas. En fait, c'est très facile à expliquer. C'est que le président du comité Nobel, qui était Thorbjorn Jagland, donc un Norvégien, venait d'être nommé secrétaire général du conseil de l'Europe. Il prenait ses fonctions au 1er octobre et il rêvait de faire venir Obama en Europe et d'être pris en photo avec lui, tout simplement. Donc il a convaincu ses quatre co-jurés du comité Nobel que ce serait une très belle chose pour la Norvège que de faire venir Obama et de lui décerner le Prix Nobel de la paix, au nom de la nouvelle ambiance qu'il mettait dans les relations internationales. Mais il venait d'arriver. Il avait été élu en 2008. Il venait d'arriver en 2009. Il avait envoyé des soldats supplémentaires. Au contraire, il avait même envoyé des soldats supplémentaires en Afghanistan. Donc, il n'y avait aucune raison de lui donner le Prix Nobel de la paix.
Anthony Bellanger : Ce que vous dites justifie presque ce que dit Donald Trump depuis le début. C'est que, pour le coup, on a vraiment donné le prix Nobel à quelqu'un qui n'avait rien fait et qui, en plus, quelques années plus tard, a fait la guerre en Libye et a fini avec le régime libyen. On a compté plusieurs milliers de morts et ensuite on a vu une déstabilisation de la région entière. Donc, vous donnez presque raison à Donald Trump, à 10 ans de distance.
Oui, je pense qu'il ne le mérite pas pour autant. Mais c'est vrai que Barack Obama ne le méritait absolument pas. Il a été nommé parce que, comme je vous disais, ça a arrangé le président du comité Nobel, et puis parce que c'était le premier président noir, quelque part.
On a vu que pour les Nobel, d'une manière générale, le scandale n'est pas totalement absent de la nomination. Que quelquefois, cela correspond à des choses toutes petites, comme par exemple cet homme qui voulait prendre des photos avec Barack Obama. Il y a quelques années de ça, un scandale absolument épouvantable qui a abouti à la démission de l'ensemble de l'académie, des membres de l'académie, notamment du prix Nobel de littérature. Est-ce que vous pouvez nous raconter cette histoire incroyable, qui implique un Français d'ailleurs ?
Effectivement. Un Français qui s'appelle Jean-Claude Arnault, qui se disait même de la famille de Bernard Arnault, alors que ce n'est absolument pas le cas. Il essayait d'en profiter. Un mythomane total qui vivait en Suède depuis des années et qui était marié avec une jurée, c'est-à-dire une académicienne suédoise, qui faisait partie du jury du Nobel. Et il avait des informations qu'il donnait à la presse. Il se considérait lui-même comme un juré. Il utilisait l'appartement à Paris de l'Académie suédoise. Il avait mis son nom sur la porte, carrément, alors qu'il n'avait aucun droit à cela. Et puis, il avait été accusé aussi de harcèlement sexuel sur des jeunes autrices, car il considérait qu'il avait une telle influence par rapport au jury du prix Nobel de littérature qu'il en profitait pour abuser sexuellement un certain nombre de jeunes femmes.
Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.
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