"Les élèves handicapés ne reçoivent pas la scolarisation qu'ils méritent" : où en est l'école inclusive, vingt ans après la loi de 2005 ?
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Un nombre record d'enfants en situation de handicap s'apprêtent à faire leur rentrée scolaire. Pourtant, l'Education nationale peine à s'adapter pour leur offrir des enseignements accessibles, laissant certaines familles sans solution.
"C'est un nombre record." Lundi 1er septembre, 520 600 enfants en situation de handicap feront leur rentrée dans un établissement scolaire, selon des données provisoires révélées à franceinfo par la ministre déléguée chargée de l'Autonomie et du Handicap, Charlotte Parmentier-Lecocq. L'an dernier, 519 000 élèves handicapés avaient été recensés dans les écoles, collèges et lycées de France, un niveau déjà historique, plus de trois fois plus élevé qu'il y a vingt ans.
Deux décennies après l'entrée en vigueur de la loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées, le ministère de l'Education nationale se réjouit du chemin parcouru depuis ce "tournant historique". "La loi a transformé nos écoles en des lieux plus ouverts et plus accessibles", affirmait la directrice générale de l'enseignement scolaire, Caroline Pascal, en janvier, devant le Sénat. Ce "texte fondamental" a érigé en principe l'inscription de chaque enfant dans son école de quartier et a poussé l'Etat à mieux répondre aux besoins particuliers des élèves handicapés, a-t-elle rappelé.
Si chacun s'accorde à saluer les avancées réalisées, certains espoirs demeurent déçus. "Malgré les promesses de 2005, le droit à la scolarisation pour tous n'est pas respecté", déplore le Collectif Handicaps, principal porte-voix des associations du secteur. "L'école inclusive, dans sa forme actuelle, reste un leurre", enfonce le Collectif Une seule école. Pour ce dernier, la loi "a déclamé une intention sans s'en donner les moyens, tout en maintenant en parallèle un système de ségrégation" de certains enfants hors de l'école ordinaire.
Un succès quantitatif "indéniable"
Que disent les chiffres ? En vingt ans, le nombre d'enfants en situation de handicap scolarisés à l'école, au collège et au lycée a bondi de 152 000 à 520 600. "Sur le plan quantitatif, la réussite est donc indéniable", a estimé en 2024 la Cour des comptes. "On croise aujourd'hui dans les écoles des enfants qui auparavant n'y avaient pas accès, et qui étaient relégués chez eux ou dans des établissements spécialisés, du fait de leur fauteuil ou de leur surdité", atteste Hugo Dupont, maître de conférences en sociologie à l'université de Poitiers (Vienne).
Ces chiffres ne témoignent pas pour autant d'un afflux d'enfants soudainement acceptés sur les bancs de l'école. "La plupart étaient déjà scolarisés, mais sans être considérés comme handicapés", remarque Hugo Dupont. En introduisant, dans son article L114, une nouvelle définition du handicap, la loi de 2005 a "élargi ce champ à de nombreux élèves souffrant de troubles cognitifs, psychiques ou du neurodéveloppement, comme les dyslexiques", illustre le chercheur. Autant de troubles invisibles, mais très répandus, qui touchent près des deux tiers des élèves aujourd'hui reconnus handicapés, selon l'Education nationale. Cette bascule a incité à changer de regard sur ces jeunes, souvent en difficulté, qui ont pu faire valoir de nouveaux droits (aides, aménagements, tiers temps, etc.).
Pour accompagner cette dynamique, l'Etat a multiplié les dispositifs à destination des élèves (unités localisées pour l'inclusion scolaire, unités d'enseignement élémentaire autisme...), ainsi qu'en soutien des professeurs (enseignants référents, équipes mobiles d'appui à la scolarisation...). Mais le principal effort s'est porté sur l'embauche massive d'accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). On en compte aujourd'hui 134 000, généralement des femmes employées à temps partiel, chargées d'épauler les enfants ayant des besoins éducatifs particuliers, selon le ministère.
L'inclusion "sous-traitée" aux AESH
D'abord réservés à une minorité d'élèves, les AESH accompagnent désormais plus de 60% des jeunes handicapés à l'école. Ce chiffre, encourageant à première vue, alarme de nombreux défenseurs de l'école inclusive. "Le recours à l'aide humaine est devenu au fil des années le principal moyen d'inclusion scolaire", s'inquiétait le sénateur LR Cédric Vial dans un rapport en 2023. Bien que rassurant pour les parents et les professeurs, "ce système atteint aujourd'hui ses limites", avec des "effets pervers" pour les élèves, qui deviennent dépendants de la présence ou de l'absence de leur AESH.
"La présence de l'AESH est parfois perçue comme une excuse pour que l'enseignant.e se décharge de ses propres obligations en matière d'adaptation pédagogique", abonde le Collectif Une seule école. Précaires et peu formées, les AESH "incarnent malgré elles une forme de sous-traitance de l'inclusion", souligne le groupe militant. Un constat partagé par le Collectif Handicaps, qui accuse l'Education nationale d'"oublier" ses propres devoirs.
"L'Education nationale est garante du droit à la scolarisation et ne doit pas se défausser de sa responsabilité de mettre en œuvre tous les moyens possibles pour rendre l'école accessible."
Collectif Handicapsdans son bilan sur les 20 ans de la loi handicap
La loi de 2005 avait ouvert la porte à une politique d'inclusion fondée sur deux piliers : la compensation et l'accessibilité. Le recours à des aides humaines s'inscrit dans la logique de la compensation, comme toute mesure individuelle permettant d'apporter plus d'équité entre les élèves. L'accessibilité, elle, suppose des réformes plus structurelles permettant à chacun d'accéder aux savoirs, aussi bien physiquement (bâtiments et transports scolaires accessibles) que sur le plan pédagogique (supports de cours et méthodes n'excluant personne). "Force est de constater qu'un déséquilibre s'est installé au détriment du volet accessibilité", déploraient les députés Servane Hugues (Renaissance) et Alexandre Portier (LR) dans un rapport de 2023.
Des enseignants peu formés et "démunis"
De fait, l'école s'est davantage préoccupée d'intégration, en aidant certains élèves à se conformer au moule scolaire, que d'inclusion, en adaptant le moule pour tous. "C'est déjà une première victoire, mais l'école reste un parcours d'obstacles pour les élèves handicapés", résume le sociologue Hugo Dupont.
"En recourant aux AESH, on ne retire pas les obstacles qui barrent la route des élèves. On leur fait juste la courte échelle."
Hugo Dupont, sociologue spécialiste du handicap et de l'écoleà franceinfo
Président de la Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap (Fnaseph), Nicolas Eglin appelle à un rééquilibrage en faveur de l'accessibilité universelle. "Si l'aide humaine était en partie réorientée vers les enseignants, avec des personnes-ressources pour les accompagner vers des classes et des enseignements accessibles, nombre d'élèves n'auraient plus besoin d'AESH", défend-il. Un exemple : un simple changement de police de caractère dans un texte peut "résoudre une partie des besoins particuliers des élèves", sans "porter aucun préjudice aux autres", avance la directrice générale de l'enseignement scolaire, Caroline Pascal.
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Des efforts ont d'ores et déjà été initiés en matière de formation du personnel éducatif. Depuis 2021, le cursus initial des futurs professeurs inclut un module obligatoire "école inclusive" de 25 heures, tandis que l'offre de formation continue, qui reste facultative, s'est élargie. De plus en plus de professionnels se spécialisent dans l'accueil des élèves handicapés. "Pour une majorité de personnels, la scolarisation des enfants handicapé.es n'est plus remise en question : elle est devenue une évidence, un droit fondamental", salue le Collectif Une seule école.
Mais le chemin est encore long. Faute d'incitation, de temps ou de remplaçant, seuls 20% des enseignants affirment avoir déjà reçu une formation sur le sujet, selon un sondage de l'Ifop de 2024. Dès lors, les élèves en situation de handicap "ne reçoivent pas la scolarisation qu'ils méritent", tandis que les professionnels, "démunis", "font face, souvent seuls, à une charge de plus en plus lourde", selon le principal syndicat du primaire, le SnuIPP-FSU. "Sans accompagnement, le risque est que les équipes se découragent et freinent ainsi la dynamique de l'école inclusive", reconnaît le Collectif Handicaps.
En institution, des temps de classe réduits
Et les familles dans tout ça ? La scolarisation de leur enfant relève presque toujours d'un "parcours du combattant", souligne la Cour des comptes. "Contraintes de devenir expertes malgré elles", elles doivent affronter des démarches complexes et coûteuses, génératrices d'inégalités, selon le Collectif Une seule école. "La réussite d'un.e élève en situation de handicap dépend aujourd'hui encore fortement du capital culturel et économique de ses parents, ainsi que de leur capacité à s'impliquer et à lutter dans un système qui les contraint à tout porter", déplore-t-il.
A diagnostic équivalent, les enfants des milieux populaires sont sur-représentés dans les institutions spécialisées, comme les instituts médico-éducatifs (IME). A la rentrée 2023, 66 000 enfants, soit plus d'un élève sur dix en France, étaient scolarisés exclusivement au sein d'un établissement médico-social. Dans le champ du handicap mental, une enquête menée par l'Unapei auprès d'établissements de son réseau a révélé, lundi, que 80% des enfants de ces structures y reçoivent moins de 12 heures d'enseignement par semaine, et parfois aucune. La situation affecte particulièrement les enfants atteints de polyhandicap, qui présentent d'importantes déficiences cognitives et motrices. Une faible proportion d'entre eux sont reconnus comme élèves, faisant du polyhandicap le "grand oublié de l'école inclusive", selon le rapport de l'Assemblée nationale.
Vingt ans après la loi sur le handicap, malgré des progrès notables, les élèves en situation de handicap continuent de souffrir de parcours scolaires jalonnés de ruptures. Leur scolarité s'achève souvent avant le lycée, où on ne les retrouve presque plus que dans les filières professionnelles. "Des générations d'enfants continuent à être sacrifiées, conclut Nicolas Eglin, président de la Fnaseph. Beaucoup de ministres nous ont dit que l'école inclusive était une priorité de formation, mais l'accent reste toujours mis sur la formation en français et en maths. Tout est une question de priorités."
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