Couvre-feu à Nîmes : cette mesure, déjà imposée dans d'autres villes l'été, est-elle efficace contre la délinquance des mineurs ?
La municipalité du Gard restreint la circulation nocturne des moins de 16 ans depuis lundi, en réaction à des violences liées au trafic de drogues. Une mesure vers laquelle se tournent de plus en plus de communes.
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Le sujet revient sur la table chaque été ou presque. Alors qu'un épisode de violences urbaines, sur fond de lutte contre le trafic de drogue, secoue plusieurs villes françaises dont Nîmes (Gard), la municipalité Les Républicains de la ville a décidé d'instaurer un couvre-feu pour les mineurs de moins de 16 ans, en vigueur depuis le lundi 21 juillet dans six quartiers paupérisés. Ils n'auront pas le droit d'y circuler seuls entre 21 heures et 6 heures, pendant 15 jours renouvelables. D'autres villes, de toutes couleurs politiques, ont mis en place des mesures similaires, comme Béziers (Hérault), Triel-sur-Seine (Yvelines) ou Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Si certaines communes y ont recours de façon ponctuelle, d'autres décrètent des couvre-feux depuis des années, comme Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes), qui limite la circulation des moins de 13 ans entre avril et octobre depuis 2004.
Cette décision de renvoyer au bercail les plus jeunes la nuit porte-t-elle ses fruits ? Sollicité par franceinfo, le ministère de l'Intérieur n'a pas répondu sur ce point. Son service statistique ne s'est jamais penché sur l'efficacité de cette mesure, décidée localement par les municipalités ou les préfectures. Pas plus qu'un organisme indépendant. "En France, aucun dispositif public de sécurité ne fait l'objet d'une évaluation", souligne plus largement Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS spécialisé dans les questions de sécurité et de délinquance, auprès de franceinfo. Il faut donc se tourner vers la littérature scientifique anglo-saxonne. Selon le College of Policing, l'organisme de recherches de la police britannique, les études menées aux Etats-Unis n'ont démontré aucun effet statistiquement significatif des couvre-feux sur la criminalité.
Un recours de plus en plus courant
Malgré ce manque de résultats probants, cet outil est de plus en plus utilisé depuis les années 2000 en France, y compris par des maires de gauche, rappelle Sebastian Roché. Le maire socialiste de Saint-Ouen, Karim Bouamrane, soutient ainsi sur BFMTV que "le couvre-feu est un soutien légal aux familles. Les mamans et les papas disent 'monsieur le maire, merci, on soutient totalement cette décision'."
"Les élus locaux sont confrontés à des phénomènes sur lesquels ils n'ont pas de prise. Pour montrer qu'il y a un pilote dans le cockpit, ils doivent envoyer des signaux politiques en ce sens."
Sebastian Roché, directeur de recherches au CNRSà franceinfo
Les communes actionnent notamment ce levier pour lutter contre le trafic de drogue, qui touche désormais les villes moyennes. A Carpentras (Vaucluse), depuis avril dernier, les policiers municipaux sillonnent les rues à la nuit tombée à la recherche de jeunes de moins de 16 ans non accompagnés. Ils cherchent des "choufs", ces guetteurs payés par les trafiquants pour donner l'alerte.
La plupart du temps, les couvre-feux ne visent cependant que les moins de 13 ans, alors qu'ils ne représentent que près de 10% des mineurs délinquants, selon les chiffres du ministère de la Justice pour 2022. A Nîmes, où la mesure concerne les moins de 16 ans, "le couvre-feu vise à protéger les mineurs qui n'ont rien à voir avec le trafic [de drogue] mais aussi ceux, parfois âgés de 12 ou 13 ans, qui sont utilisés par les narcotrafiquants", explique à l'AFP l'adjoint au maire en charge de la sécurité, Richard Schieven.
A Limoges (Haute-Vienne), le couvre-feu imposé aux moins de 13 ans durant toutes les vacances scolaires n'a pas empêché la tenue de violents affrontements entre jeunes et forces de l'ordre ces derniers jours. "Le bilan, pour le moment, il n'est pas bon. On a eu des manifestations de jeunes, personne n'a pu les intercepter et les arrêter, le couvre-feu n'a servi à rien. Si on n'a pas la police pour le faire respecter en face, c'est inutile", a estimé Émile Roger Lombertie, le maire LR de la ville, sur BFMTV.
Des maires partagés sur l'utilité de la mesure
A Viry-Châtillon (Essonne), où un couvre-feu est instauré l'été depuis sept ans pour les moins de 13 ans, de 22 heures à 6 heures, le maire reconnaît ne pas avoir de chiffres concernant les faits délictueux commis par cette classe d'âge dans les rues de sa commune. Jean-Marie Vilain (divers droite) présente cette mesure comme un outil de protection. "Ce que je ne comprends pas, c'est qu'un jeune de 13 ans soit tout seul dans la rue aussi tard que ça. C'est juste un rappel au bon sens que je voulais faire", argumente l'élu sur franceinfo, rappelant qu'il n'y a "pas de punition, pas d'amende" pour faire respecter cet arrêté.
A Cagnes-sur-Mer, qui pratique le couvre-feu depuis vingt ans pour les moins de 13 ans, les parents risquent bel et bien une amende. Mais le maire Louis Nègre (LR) met lui aussi en avant "la protection de l'enfance" : "Dans des zones urbaines denses, il est possible de faire des mauvaises rencontres, être entraîné dans la délinquance à un jeune âge", observe-t-il auprès de France 3 Paca. Depuis 2004, seuls trois mineurs ont été interpellés la nuit dans le cadre de cet arrêté, selon nos confrères. Preuve de l'efficacité du dispositif, d'après la municipalité, qui affirme n'avoir retrouvé aucun jeune de moins de 13 ans dans les zones concernées depuis 2010.
"Il y a beaucoup de jeunes à Cagnes ?", ironise le maire de Charleville-Mezières (Ardennes) auprès de franceinfo. Boris Ravignon (LR), visé par un tir de mortier d'artifice mercredi alors qu'il intervenait avec ses équipes pour interdire l'accès à un café supposé être un point de deal, s'est refusé à mettre en place un couvre-feu dans sa ville après des échauffourées. "Il faut être capable d'assurer derrière, sinon vous ruinez vous-même votre autorité, c'est encore plus terrible pour la crédibilité", pointe-t-il, expliquant ne pas vouloir détourner de leur activité habituelle les policiers de cette ville de 46 000 habitants.
"La nuit, j'ai deux équipages de police municipale et un ou deux équipages de police nationale, on n'a pas non plus un luxe de moyens."
Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézièresà franceinfo
L'élu met aussi en avant des problèmes de "logistique", comme le fait que les policiers municipaux ne peuvent pas contraindre un individu à décliner son identité et doivent l'emmener au commissariat s'il refuse de le faire. Pour Boris Ravignon, si le couvre-feu fait "partie de l'arsenal dont les maires disposent", "le problème, en amont, est celui de la responsabilité parentale. C'est la mère des batailles".Un avis partagé par le maire de Triel-sur-Seine (Yvelines), Cédric Aoun. Lui a, en revanche, mis en place jusqu'à fin octobre un couvre-feu pour tous les mineurs dans certaines rues de la ville, entre 23 heures et 5 heures du matin. Il a assuré à l'AFP que cet arrêté permettait aux parents de "reprendre le contrôle" et aux policiers municipaux qui patrouillent la nuit de "vérifier que les parents sont bien au courant que leurs enfants sont dehors".
Du côté de l'Association des maires de France (AMF), il semble y avoir autant d'avis sur la question que d'édiles concernés. Mais le manque de ressources de certains élus face aux violences urbaines fait consensus. "Je suis obligé de constater que les difficultés financières rencontrées par un certain nombre de collectivités les amènent malheureusement parfois à alléger leur dispositif de prévention", déplorait lundi sur franceinfo Philippe Laurent, vice-président de l'AMF et maire UDI de Sceaux (Hauts-de-Seine). Pour Jean-Marc Vayssouze-Faure, président de l'AMF Occitanie et et ancien maire socialiste de Cahors (Lot), le couvre-feu s'apparente à "un pansement sur une jambe de bois". En réalité, estimait-il en avril sur franceinfo, "pour régler les incivilités chez les mineurs qui progressent, il faut des mesures de fond en terme éducatif, d'accompagnement social".
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