Vagues de chaleur, mauvais apprentissage de la natation... Comment expliquer la hausse du nombre de noyades en France cet été ?

Article rédigé par Florence Morel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Un maître-nageur au stade nautique Maurice Thorez de Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 12 août 2025. (FLORENCE MOREL / FRANCEINFO)
Un maître-nageur au stade nautique Maurice Thorez de Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 12 août 2025. (FLORENCE MOREL / FRANCEINFO)

En 2025, le nombre de noyades a augmenté par rapport à 2024. La faute à une météo très chaude et ensoleillée, et à des baignades non surveillées, pointent les autorités. Mais cette hausse pose aussi la question des lacunes de l'apprentissage de la natation.

Illiam prend une grande inspiration, ferme les yeux et file sous l'eau, sa petite tête enserrée dans son bonnet orange. Ces gestes, répétés consciencieusement à chaque fois qu'il plonge dans le bassin du stade nautique Maurice-Thorez, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le garçon de 6 ans et demi ne les a pas toujours effectués avec le sourire. L'an passé, il est tombé à l'eau et a paniqué, au point de ne plus se sentir très à l'aise dans cet élément. Pour qu'il ne se laisse pas submerger par la peur, sa mère l'a inscrit à ce stage intensif de natation, proposé gratuitement aux enfants dans plusieurs communes du département

"J'ai inscrit mon fils à ces stages, car il ne savait pas nager. La noyade est dans le top 3 de mes angoisses", confie Mélodie, la maman, qui a aussi une petite fille de 3 ans et demi. "L'objectif est que les enfants sachent se sauver et adopter les bons gestes, qu'ils parviennent à revenir sur un bord s'ils tombent à l'eau", explique Benoît Montagna, directeur de la structureLe besoin est pressant. Entre le 1er juin et 13 août, 1 013 personnes ont été victimes de noyade, dont 268 se sont avérées mortelles, selon le dernier bulletin de Santé publique France, publié vendredi 22 août. Soit une augmentation de 14% par rapport à l'année 2024.

Des conditions météo propices à la baignade

Comment expliquer cette hausse ? Tout d'abord, par les conditions météorologiques très propices à la baignade, avec deux vagues de chaleur, dont une particulièrement longue et précoce, entre le 19 juin et le 6 juillet, et des températures ayant dépassé 35°C sur une large partie du territoire. "On observe aussi des pics lors des ponts, comme ceux du 14 juillet et du 15 août, en raison de l’afflux de personnes vers des zones de baignade pour se rafraîchir lorsqu’il fait chaud", explique Agnès Verrier, chargée de projet à la direction de la prévention chez Santé publique France. "Mais il faut que la baignade se fasse en toute sécurité." A savoir : choisir les zones surveillées, bannir les zones de baignades interdites, ne pas quitter les enfants des yeux quand ils sont au bord de l'eau, se baigner avec eux et rentrer progressivement dans l'eau quand il fait très chaud, afin d'éviter un choc thermique.

Les noyades mortelles ont particulièrement augmenté chez les plus jeunes, précisait Santé publique France dans son précédent bulletin, le 1er août. Ainsi, entre le 1er juin et le 13 août, 37 enfants et adolescents âgés entre 6 et 17 ans sont morts en 2025, contre 28 l'année précédente. La plupart de ces décès ont lieu dans des lieux de baignade non surveillée par des maîtres-nageurs agréés : 43% ont eu lieu dans des cours d'eau et 22% dans des piscines privées familiales. La noyade est d'ailleurs la première cause de mortalité par accident de la vie courante chez les moins de 25 ans, selon l'agence de santé publique.

Lundi 4 août, deux enfants de 6 et 8 ans ont été retrouvés morts dans la piscine d'un particulier à Antibes (Alpes-Maritimes). Trois jours plus tard, un garçon de 5 ans a été retrouvé au bord d'un lac à Roquebrune-sur-Argens (Var). Le 13 août, les secours ont retrouvé le corps inanimé d'un bambin de 4 ans dans la piscine d'un camping en Gironde, en compagnie de son frère de 9 ans, mais sans adulte pour les encadrer. "Quand on est dans une piscine surveillée par des maîtres-nageurs sauveteurs, le risque de noyade est vraiment infime, assure Axel Lamotte, membre du comité directeur de la Fédération française des maîtres-nageurs sauveteurs. Il arrive que des gens fassent des malaises, mais ils sont secourus dans les meilleurs délais."

"La noyade se fait souvent à bas bruit. Personne ne crie en secouant les bras."

Axel Lamotte, membre du comité directeur de la Fédération française des maîtres-nageurs sauveteurs

à franceinfo

Chez les tout-petits, les noyades mortelles s'expliquent fréquemment par un défaut de surveillance des parents. "Il ne faut pas quitter les enfants des yeux quand on est au bord de l'eau", assène Agnès Verrier, de Santé publique France. "Chez les adultes, les noyades surviennent plutôt en mer. Certaines personnes ont l'habitude de nager et sous-estiment une fatigue qui peut être fatale", pointe-t-elle.

"Si vous voulez nager sur une longue distance, privilégiez le long de la plage, à 5 mètres du bord, il est inutile d'aller jusqu'à la bouée", conseille Axel Lamotte. Durant les périodes de fortes chaleurs, l'agence de santé publique rappelle qu'il vaut mieux éviter l'alcool et les gros repas avant de faire trempette et privilégier les baignades matinales ou en fin d'après-midi, quand le thermomètre redescend.

L'apprentissage de la natation en question

La météo et les comportements à risques sont, à juste titre, pointés du doigt par les autorités. Mais cette hausse du nombre de noyades pose aussi la question de l'apprentissage de la natation, en particulier à l'école. "Permettre à chacun de pouvoir nager en sécurité dès le plus jeune âge est une des priorités de l'enseignement d'éducation physique et sportive", assurait une note du ministère de l'Education nationale datée de 2022. En pratique, de nombreux élèves arrivent au collège sans leur attestation scolaire du "savoir-nager en sécurité" (ASNS). Ce test permet notamment d'évaluer si l'élève parvient à se déplacer sur le ventre et sur le dos sur une distance de 20 mètres et à faire du surplace pendant 15 secondes dans l'eau.

Seuls deux tiers (66,3%) des élèves entraient au collège avec ce test en poche, selon une enquête menée en 2023 par la direction générale de l'enseignement scolaire, avec des résultats très différents selon les établissements. Hors zones d'éducation prioritaire, 29,7% des élèves arrivaient en 6e sans savoir nager, contre 49,7% de ceux scolarisés en zone prioritaire (REP) et 60,4% dans les zones encore plus défavorisées (REP+), recouvrant les quartiers qui concentrent les difficultés sociales. Par ailleurs, "ce test a été conçu pour nager en sécurité dans des bassins surveillés", pointe Serge Durali, enseignant à l'université Sorbonne Paris-Nord et membre de l'association pour l'enseignement de l'EPS (AE-EPS). Or "le milieu naturel fatigue plus avec le courant, les vagues, la température plus fraîche, la fatigue ou les crampes qui ne sont pas faciles à gérer quand on est dans l'eau", explique-t-il.

"Il manque plus de 2 000 piscines en France"

Pour éviter de nouveaux drames, les professeurs d'EPS demandent plus de moyens pour assurer à tous les élèves un minimum de cours de natation, ce qui est loin d'être le cas. Dans une enquête du syndicat Snep-FSU publiée en juin, "près de 700 collèges, soit 13 % [du total], n'ont pas accès à une piscine", ce qui représente "environ 450 000 élèves". "Aujourd'hui, on a beau dire que la natation est une priorité nationale, mais rien n'est fait pour que les élèves puissent savoir nager", déplore Coralie Benech, professeur d'EPS et cosecrétaire générale du Snep-FSU. Les deux années de crise sanitaire ont certes éloigné les élèves des bassins, mais le syndicat de professeurs d'EPS pointe surtout ce manque criant d'infrastructures. Un constat partagé par la Fédération française de natation, selon qui "il manque plus de 2 000 piscines en France pour arriver à donner accès au plus grand nombre et ainsi diminuer drastiquement les noyades", affirmait son président, Gilles Sézionale, en novembre 2024.

Et quand les apprentis nageurs peuvent plonger, ils le font parfois dans des bassins "vieillissants". Début août, les champions olympiques Florent Manaudou et Alain Bernard ont lancé un appel pour un "plan piscine". "Les piscines françaises ont une moyenne d'âge de 40 ans et 40 % des centres aquatiques ont été construits avant 1975", ont écrit les nageurs dans une tribune publiée dans Le Parisien. Ce sont des bassins "nécessitant d'être rénovés", poursuivent-ils, plaidant pour que l'Etat aide les collectivités à "engager des travaux importants de rénovation" et à construire de nouveaux bassins "sobres en énergie et tournés vers l'apprentissage de la natation".

Ils proposent également que sur les "75 millions d'euros d'excédents" générés par les Jeux olympiques de Paris, "une partie de cette somme [soit] affectée à la lutte contre les noyades et à l'apprentissage de la natation". Encore faut-il avoir des maîtres-nageurs en nombre suffisant pour dispenser ces cours. Avec 12 000 professionnels répartis sur le territoire toute l'année, "il en manque 5 000" pour répondre aux besoins, alerte Axel Lamotte. "Avec le réchauffement climatique, des années comme celles-ci se répéteront. Il faut absolument donner des cours de natation gratuitement au plus grand nombre", plaide-t-il.

Un an après les JO, et moins d'un mois après les performances des nageurs tricolores aux Mondiaux de Singapour, les priorités politiques semblent avoir vogué vers d'autres horizons. Dans un contexte de fort déficit du budget de la France, une coupe de 18% est envisagée dans celui du ministère des Sports pour l'année 2026. "Quand on investit un euro dans le sport, on fait économiser 13 euros de dépenses publiques", tentait de défendre Marie Barsacq, la ministre des Sports, sur France 2 fin juillet, évoquant notamment le rôle du sport-santé comme "outil de prévention" qui permet de "réduire les dépenses des entreprises et de la caisse d'Assurance-maladie". Ces arguments suffiront-ils pour maintenir le budget de son ministère à flots ?

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