"Madoff des livres manuscrits" : ouverture du procès lundi de la société Aristophil, derrière une escroquerie inédite de près d'un milliard d'euros

La société Aristophil proposait d'investir dans des manuscrits de grands auteurs avec des taux d'intérêt très attractifs. L'affaire, jugée au tribunal correctionnel de Paris, rappelle le fonctionnement de l'escroquerie de l'homme d'affaires américain Bernard Madoff.

Article rédigé par franceinfo
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Gérard Lhéritier, le fondateur d’Aristophil, le 22 septembre 2014 à Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes). (FRANCK FERNANDES / MAXPPP)
Gérard Lhéritier, le fondateur d’Aristophil, le 22 septembre 2014 à Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes). (FRANCK FERNANDES / MAXPPP)

Les chiffres donnent le tournis : au moins 6 000 victimes, près d’un milliard d’euros de préjudice. Cette escroquerie inédite est jugée à partir du lundi 8 septembre (et pour quatre semaines) devant le tribunal correctionnel de Paris, appelée l’affaire Aristophil. Cette société proposait d’investir dans des manuscrits de grands auteurs, avec des taux d’intérêt très avantageux. Près de 9% par an, une promesse très alléchante, et quand on a des courtiers rodés et convaincants, difficile de ne pas se laisser tenter.

C’est comme cela qu’au début des années 2010 Jean-Marie Lecomte a été piégé. Il a aujourd’hui 81 ans et préside l’Adilema, l’une des associations de victimes qui représente 600 parties civiles. "Le but, c'était de mettre les gens confiance pour pouvoir les escroquer, leur retirer le maximum d'argent, raconte-t-il. Moi, j'ai investi dans des grands auteurs français, Raymond Queneau, Charles Baudelaire, Napoléon, Victor Hugo... J'ai ressenti que je m'étais fait avoir, mais je ne connaissais pas encore l'énormité de l'astuce !"

Une entreprise avec 60 salariés et un réseau de courtiers

Une astuce, ou plutôt une escroquerie, pour des victimes qui, en moyenne, ont mis 80 000 euros de leur poche, certaines ont investi près d’un million d’euros. Mais Aristophil était une vraie entreprise et pas du tout une coquille vide. Avec une soixantaine de salariés, un réseau de courtiers et surtout un catalogue, réel, de 130 000 manuscrits originaux, certains exposés dans une sorte de musée dans Paris, avec des parrains de renom comme Patrick Poivre d’Arvor. Aristophil a eu le premier Manifeste du surréalisme d’André Breton, Les Cent Vingt Journées de Sodome écrits par le marquis de Sade dans sa prison de la Bastille, entre autres.

Le fondateur d’Aristophil, Gérard Lhéritier, 77 ans aujourd’hui, avait acheté ces écrits et proposait aux investisseurs d’en être propriétaires, via des systèmes de lots et d’indivisions. Des investisseurs qui pouvaient revendre leurs parts à Aristophil au bout de cinq ans.

"C'était du vent"

Sauf que le coût de ces manuscrits était, pour beaucoup, largement surestimé. Aristophil assurait que ces écrits, d’intérêts forcément très variables, allaient prendre de la valeur, 10% par an, d’où cette promesse de taux d’intérêt importants. Par exemple, un manuscrit d’Albert Einstein avait été acheté initialement 600 000 euros et réestimé plusieurs dizaines de millions d’euros. Mais tout cela était artificiel, comme l’explique Philippe Julien, avocat de plusieurs centaines de victimes. "C'était du vent. Ça a été démontré, puisqu'on a revendu, sur une période de six ans, les 130 000 manuscrits, et vous avez à la fin une cagnotte, qui représente 7 % à 8 % du montant global qui avait été investi par les investisseurs", explique-t-il.

"Un écart de plus de 90% entre la valeur d'investissement et le prix de revente. C'est la démonstration que derrière la pyramide de manuscrits se cachait une pyramide de Ponzi."

Philippe Julien, avocat de plusieurs centaines de victimes

à franceinfo

Pyramide de Ponzi ou encore "escroquerie à la Madoff" : les derniers investisseurs payent pour les premiers. Une bulle spéculative jusqu’à la faillite. Le stock d’Aristophil a été revendu aux enchères pendant six ans pour indemniser au mieux les victimes. Une escroquerie, d’après l’accusation, entretenue avec l’aide de plusieurs complices : un libraire, un comptable, un notaire, un professeur de droit...

Sept personnes en tout sont renvoyées devant le tribunal. Le premier d’entre eux, le patron d’Aristophil, Gérard Lhéritier, mis en examen il y a dix ans déjà, est un personnage haut en couleur. Pour la petite histoire, il avait gagné, en 2012 à l’EuroMillions, près de 170 millions d’euros.

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