Enquête franceinfo
"Moi quand je donne une garantie, c’est certifié" : dans les coulisses des arnaques aux faux placements

En France, 500 millions d'euros s'envolent chaque année vers l'étranger via des arnaques aux faux placements. Franceinfo a eu accès à des enregistrements de conversations entre escrocs et victimes, qui donnent une occasion unique de comprendre comment ces organisations criminelles opèrent.

Article rédigé par Aurélien Thirard
Radio France
Publié
Temps de lecture : 10min
Les escrocs qui agissent en véritables professionnels parviennent à leur soutirer 500 millions d'euros par an, rien qu'en France. (MATHIEU HERDUIN / MAXPPP)
Les escrocs qui agissent en véritables professionnels parviennent à leur soutirer 500 millions d'euros par an, rien qu'en France. (MATHIEU HERDUIN / MAXPPP)

Elles sont des dizaines, des centaines, des milliers. Mais on ne les entend jamais. Les victimes de fraudes aux faux placements ne font jamais parler d'elles, alors que les escrocs qui agissent en véritables professionnels parviennent à leur soutirer 500 millions d'euros par an, rien qu'en France. Aujourd'hui, certaines d'entre elles veulent briser l'omerta et témoignent pour que d'autres ne se fassent pas avoir par cette arnaque d'une redoutable efficacité.

Dans ce type d'escroqueries où les malfaiteurs tentent de convaincre les victimes de placer leur argent en leur promettant de bons rendements pour en réalité leur voler, le mode opératoire est toujours sensiblement le même. Les victimes – souvent des quinquagénaires - souhaitent investir des dizaines, parfois des centaines de milliers d'euros pour préparer leur retraite, souvent dans le secteur des énergies vertes, une manière de donner du sens à leur investissement. Pour cela elles fouillent sur Internet à la recherche du bon placement ou répondent à des publicités et c'est là que les escrocs entrent en action.

"Vous pouvez aller sur Internet, vous verrez qu'il n'y a aucun malentendu"

Valérie, 53 ans, l'une de ces victimes a permis à franceinfo de lever le voile sur le mode opératoire de ces organisations criminelles. Originaire de la région parisienne, elle a enregistré plusieurs conversations avec le groupe criminel qui lui a volé tout son argent. Pour elle, tout démarre en août 2023 quand son fils lui montre une publicité qu'il vient de voir sur Internet. Tous les deux regardent si les informations relayées dans la plaquette sont vraies et comme tout a l'air carré, ils remplissent une fiche. Les escrocs ne tardent pas à contacter Valérie qui se laisse convaincre. En quelques semaines, alors qu'elle pense investir dans les énergies vertes en Espagne, elle se fait dérober toutes ses économies : 170 000 euros.

Dès lors qu'elle se sait escroquée, elle tente de garder le lien avec ses arnaqueurs et enregistre ses conversations avec eux pour tenter de les identifier et de confier ces preuves à la justice. Dans un premier enregistrement, cette contrôleuse de gestion fait croire que ses parents souhaitent également investir. Un premier escroc lui répond du tac au tac et essaye de la persuader de faire signer ses parents au plus vite un nouveau placement.

Enregistrement d'une conversation téléphonique entre un escroc et Valérie, 53 ans

Voilà donc le mode opératoire : il s'agit de jouer sur l'appât du gain, presser la victime pour ne pas lui laisser le temps de réfléchir. Dans l'organisation criminelle, chacun a un rôle bien précis. D'après un spécialiste de ce type de fraudes contacté par franceinfo, il y a ceux qu'on appelle les "ouvreurs", soit les personnes chargées de prendre le premier contact avec la victime potentielle et en bout de chaîne les "closers", ceux qui prennent le relais et invitent les victimes à investir encore plus. Dans une affaire révélée ces dernières semaines par franceinfo, sept hommes, des ouvreurs, des "closers", et des intermédiaires, ont été arrêtés en France, en Espagne et en Israël. Suspectés d'appartenir à un vaste réseau criminel spécialisé en arnaques aux faux placements, ils sont soupçonnés d'avoir dérobé plus de 130 millions d'euros.

Dans l'affaire de Valérie, le deuxième enregistrement qu'elle a réalisé quelques semaines plus tard met en scène un "closer", un escroc chargé de la contacter pour lui faire croire qu'il va l'aider à retrouver ses économies si elle lui verse de l'argent. Il tente de montrer patte blanche : "Moi quand je donne une garantie, c’est certifié. Vous pouvez aller sur Internet, vous verrez qu'il n'y a aucun malentendu".

Enregistrement d'une conversation téléphonique entre un escroc et Valérie, 53 ans

Évidemment tout est faux, Valérie n'a pour l'instant pas retrouvé le moindre centime et elle tente désormais le tout pour le tout pour retrouver son argent. Un combat pour l'instant désespéré puisque depuis deux ans elle n'a eu que des déconvenues avec la justice. Elle a porté plainte très rapidement à l'automne 2023, mais sa plainte a été tout aussi rapidement classée sans suite. "J'ai eu la personne qui s'occupait de l'enquête au commissariat, pour lui ce n'était pas possible de trouver les personnes avec le peu de moyens qu'il avait", se souvient Valérie, mère de deux enfants. "Donc je fais partie de ceux que l'on met de côté. La justice ne m'a jamais aidé dans mes démarches, l'Etat ne fait rien", constate-t-elle, amer. "Le ressenti que j'ai eu, c'est que vraiment je n'étais pas prioritaire."

"Je culpabilisais quand j'entrais dans le commissariat en me disant 'Ben j'ai gagné dans ma vie 170  000 euros, tu as déjà de la chance de les avoir gagnés, sauf que maintenant tu les as perdus' et en effet j'ai tout perdu."

Valérie, victime d'une arnaque aux faux placements

à franceinfo

Comme Valérie, en plus d'avoir été escroquées, les victimes font face à un procès en naïveté. C'est même une double peine, puisqu'elles sont d'abord victimes d'escrocs et ensuite d'une justice qui n'agit pas. C'est du moins ce qu'elles assurent toutes. "J'ai été escroqué de près de 150 000 euros en décembre 2022 et depuis je ne sais pas comment l'enquête avance", témoigne par exemple à franceinfo Julien, un entrepreneur.

"Ma vie a basculé du jour au lendemain et tous mes projets ont été anéantis"

D'autres ont carrément perdu tout espoir : les policiers "ont pris le dossier, ils l'ont mis dans un coin. Ma plainte a été classée sans suite, qu'est-ce que voulez que je fasse maintenant ? Il n'y a rien à faire. C'est foutu et j'en ai pour 100 000 euros", se lamente Patrick, un retraité. "Toutes les portes sont fermées", abonde de son côté Aurore* (prénom d'emprunt), 52 ans, qui a perdu 750 000 euros, soit l'intégralité de son héritage. "Ma vie a complètement basculé du jour au lendemain et tous mes projets ont été anéantis", assure-t-elle.

Face à ces accusations graves, d'une justice qui ne ferait rien, les nombreux procureurs que franceinfo a sollicités ont à peu près tous la même réponse. Certains mettent en cause la "naïveté" des victimes : "les escroqueries aux faux placements financiers sont facilitées par la naïveté des victimes qui croient à des revenus mirifiques et transfèrent des sommes importantes sans la moindre garantie", assure par exemple Dominique Puechmaille, la procureure de Clermont-Ferrand. "Je ne sais pas comment on peut rationnellement verser 15 000 euros par virement à un inconnu" sur Internet, appuie son collègue procureur de Narbonne, Eric Camous.

Et tous ces magistrats le reconnaissent, les plaintes pour escroqueries aux faux investissements font rarement l'objet d'enquêtes poussées. "C'est une question de priorisation, quand les victimes disent qu'il y a beaucoup de classements sans suite de leurs plaintes, elles n'ont pas tort", reconnaît Olivier Caracotch, le procureur de Dijon, "mais cela ne veut pas dire que ces procédures ne sont pas prises en compte ou prises à la légère", relativise-t-il. "Ce n'est pas un scoop que les forces de sécurité intérieure – la police au premier chef — croulent sous les procédures", lance pour sa part Jean-Baptiste Bladier le procureur de Meaux.

"Les perspectives d'élucidation restent difficiles"

Si une très grande majorité de ces plaintes sont classées sans suite c'est à cause de la complexité des enquêtes, comme l'explique Ingrid Görgen, la procureure de Cambrai : "La localisation fréquente des auteurs à l'étranger et l'utilisation de moyens astucieux pour dissimuler leur réelle identité, rendent les investigations complexes (…) les perspectives d'élucidation restent donc difficiles".

En la matière, le parquet de Paris ne fait pas exception. Pour ce type bien précis d'escroquerie, le plus gros parquet de France classe 85% de ces plaintes. L'un des enjeux principaux, ce sont en fait les effectifs d'enquêteurs –trop peu nombreux — mis à disposition pour de telles affaires. "Le nombre d'enquêteurs dédiés aux affaires financières baisse d'année en année, il y a une question de formation aussi. Les personnes qui arrivent dans les commissariats en région parisienne ne sont pas nécessairement formées sur ces contentieux, il y a un gros turn-over et il est vrai que ça n'est pas en faveur du traitement de ce type d'escroqueries", admet Alexandre Le Bideau, substitut du procureur à la section financière du parquet de Paris.

"Il faut faire un procès aux banques"

Finalement, dans bien des cas, le seul espoir pour les victimes c'est de demander des comptes à leurs banques. Toutes les victimes avec qui franceinfo a pu échanger assurent que pas une fois leurs banques ont tenté de les dissuader, d'effectuer un contrôle. "Pour parler très clairement, il faut faire un procès aux banques qui ont, malgré tout un tas de signaux d'alerte, autorisé les victimes à faire des virements à l'étranger, parfois plusieurs dizaines de virements qui dépassent très largement d'ailleurs leurs habitudes", plaide Gabriel Dumenil avocat qui accompagne de nombreuses victimes d'escroqueries. "Les banques ne font absolument rien, pas une alerte !", assure-t-il. "Ce n'est pas normal et ça doit être sanctionné devant la justice civile".

Aujourd'hui, il n'existe pas de statistiques pour savoir si les banques sont effectivement condamnées à rembourser leurs clients devant la justice civile. Contactée par franceinfo, la Fédération bancaire française se justifie. "Les banques travaillent de concert avec leurs clients pour que ceux-ci puissent mettre en place des mesures de sécurité adéquates (…) Pour lutter contre ces fraudes qui se multiplient ces dernières années, les banques françaises ont déployé des dispositifs de sécurité renforcée pour authentifier leurs clients (…) en outre, la profession a lancé en 2023 une vaste campagne de sensibilisation sur les paiements".

Malgré tout, de récentes condamnations montrent la responsabilité des banques. À Nanterre, une banque en ligne bien connue a été condamnée en décembre 2022 à payer 35 460 euros à une victime d'escroquerie aux faux placements. Une autre banque française a été condamnée en juin 2024 par la cour d'appel de Pau à payer 1 440 000 euros.

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