Info franceinfo L’Assurance maladie visée par une gigantesque fraude à la prothèse auditive, pour un préjudice de plus de sept millions d’euros

Trois personnes, considérées comme des complices du réseau, ont été arrêtées et déférées, en décembre dernier.

Article rédigé par Aurélien Thirard
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le logo d'une caisse primaire de l'Assurance maladie, le 20 juin 2007, à Lyon. (FRED DUFOUR / ARCHIVES)
Le logo d'une caisse primaire de l'Assurance maladie, le 20 juin 2007, à Lyon. (FRED DUFOUR / ARCHIVES)

Un réseau soupçonné d'être à l'origine, dans toute la France, d'une gigantesque fraude à la prothèse auditive et aux frais d'optiques a été démantelé, ces derniers mois, par la police judiciaire, selon les informations de franceinfo, jeudi 6 février, de sources concordantes, confirmées par le parquet de Bobigny.

L'enquête a été menée par le groupe interministériel de recherches (GIR) de Seine-Saint-Denis, avec le service départemental de la police judiciaire de Seine-Saint-Denis. 75 Caisses primaires d'Assurance maladie (CPAM) et 54 mutuelles ont été visées, pour un préjudice évalué à plus de sept millions d'euros. Trois personnes, considérées comme des complices du réseau, ont été arrêtées et déférées en décembre dernier. Elles seront jugées en 2026 pour "escroquerie en bande organisée", "blanchiment en bande organisée" et "abus de biens sociaux". Cette femme d'environ 50 ans et ces deux hommes de 25 et 30 ans sauront dans un mois quand aura lieu leur procès.

Un chef de réseau installé aux Émirats arabes unis

Selon les informations de franceinfo, le mode opératoire ressemble de près à celui des narcotrafiquants : un chef de réseau installé aux Émirats arabes unis qui donne ses ordres à de petites mains, ces dernières étant recrutées parfois sur les réseaux sociaux. Là, il ne s'agissait pas d'importer et de vendre de la drogue mais bien de faire des fausses factures. Le chef de réseau, âgé de presque 40 ans et installé aux Émirats arabes unis depuis 2020, est soupçonné d'avoir dirigé un système de fraude complexe, en multipliant les fausses factures et les surfacturations pour soutirer à l'Assurance maladie des remboursements indus de matériel auditif ou de lunettes de vue hors de prix.

Scénario type : un patient vient dans un centre de santé pour un simple problème d'audition. Muni d'une ordonnance de son médecin, il présente sa carte Vitale. Autant de données qui vont servir au fraudeur pour facturer une prothèse auditive à plusieurs milliers d'euros, du matériel qui n'a en fait jamais été commandé. Cette équipe chevronnée de fraudeurs a pu détourner à son profit un dispositif mis en place par l'Etat le 1er janvier 2020 : la Sécurité sociale rembourse, en effet, à 100% les dispositifs de prothèses auditives. La mesure a été portée par Emmanuel Macron.

Ce remboursement à 100% se faisant dans un premier temps instantanément, les fraudeurs en ont profité. Ils ont réussi à voler plus de sept millions d'euros. "Le premier coupable dans cette histoire c'est quand même l'Assurance maladie, qui n'a fait aucune vérification préalable. C'est d'une naïveté incroyable", observe un expert de l'Assurance maladie spécialisé dans la détection de ce type de fraudes. Une partie de la somme détournée a pu être saisie, près de 900 000 euros en tout, sous forme de comptes bancaires, de cryptomonnaies, de biens immobiliers, de matériel médical et de produits de luxe.

"Un combat pied à pied" contre les fraudeurs

"C'est un combat pied à pied" contre les fraudeurs, affirme de son côté Marc Scholler, le responsable antifraude de l'Assurance maladie. "Les fraudeurs font évoluer leur mode opératoire assez rapidement", constate-t-il. "Ce sont des fraudes qui peuvent, très rapidement, se déployer sur le territoire national". Les fraudeurs se sont notamment servis de sociétés dites "éphémères" en plus des trois centres de santé qui avaient pignon sur rue : une fois les fausses factures envoyées au nom de cette société de santé, le fraudeur en utilisait une autre, et ainsi de suite. Appuyés par la police judiciaire de Seine-Saint-Denis, les enquêteurs du GIR de Seine-Saint-Denis ont finalement perquisitionné les trois centres de santé gérés par les trois suspects depuis arrêtés. Ces trois centres de santé sont, depuis, fermés.

Plus l'enquête avançait, plus les policiers se sont rendu compte de l'étendue de la fraude : outre les CPAM, 54 mutuelles ont aussi été visées. En huit mois seulement, ces escrocs ont réussi à accumuler 700 000 euros au préjudice de ces mutuelles. Pour lutter contre ces arnaques d'un nouveau genre, Marc Scholler, responsable antifraude à l'Assurance maladie, explique que l'organisme s'est adapté : "On déploie, depuis quelques mois, des enquêteurs judiciaires, dotés de pouvoirs d'enquêteurs dans l'espace numérique, sous couverture. Ils peuvent identifier ce qu'on ne pouvait pas faire avant".

Sur les trois premiers trimestres de 2024, l'Assurance maladie assure avoir évité 55 millions d'euros de fraude en matière d'audioprothèse, grâce aux nouvelles procédures de contrôle. 1 300 dossiers ont été traités. "On a évité plus de fraudes qu'on en a subies", insiste Marc Scholler. Il n'empêche, dans cette affaire, selon nos informations, le chef de réseau reste dans la nature et activement recherché. Il a réussi à blanchir et à investir une partie de l'argent détourné dans l'immobilier aux Émirats arabes unis.

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