Document franceinfo "Ça ne m’inquiète pas du tout" : ce que révèlent les échanges du Samu avec Estéban Vermeersch, mort après plusieurs appels

Article rédigé par Eloïse Bartoli
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
L'entrée du centre hospitalier du Mans, dans la Sarthe, en 2003. Estéban Vermeersch, 24 ans, y est mort le 30 janvier 2025. (ALAIN JOCARD / AFP)
L'entrée du centre hospitalier du Mans, dans la Sarthe, en 2003. Estéban Vermeersch, 24 ans, y est mort le 30 janvier 2025. (ALAIN JOCARD / AFP)

Franceinfo s'est procuré la retranscription des deux appels téléphoniques entre l'assistant de régulation médicale puis le médecin régulateur, la mère d'Estéban et le jeune homme, et en reproduit les passages clés.

Une agonie prise pour une douleur musculaire. Estéban Vermeersch, 24 ans, est mort fin janvier près du Mans (Sarthe) d'un arrêt cardiaque consécutif à un pneumothorax, malgré plusieurs appels au Samu. Alors qu'aucun secours ne s'est déplacé pour prendre en charge le jeune homme, sa famille a décidé de porter plainte dans les prochains jours pour "homicide involontaire", a appris franceinfo par la voix de son avocat lundi 25 août, confirmant une information de Ouest-France.

Franceinfo s'est procuré la retranscription audio, d'abord révélée par BFMTV, des deux appels téléphoniques entre l'assistant de régulation médicale (ARM) puis le médecin régulateur, Dorothée, la mère d'Estéban, et le jeune homme, et en reproduit ici les passages clés. Contacté lundi, l'hôpital du Mans ne fait pas de commentaires à ce stade sur les circonstances de la mort d'Estéban, mais fait savoir qu'"une analyse contradictoire est en cours".

Le premier appel est daté de la soirée du 28 janvier, à 22h32. L'appel se fait d'abord entre Dorothée et l'assistant de régulation médicale (ARM) et dure 3 minutes et 21 secondes, puis intervient le médecin régulateur (MRU), qui échange directement avec Estéban durant 3 minutes et 20 secondes.

Le médecin régulateur urgentiste (MRU) : "(...) Qu'est-ce qui vous arrive ?
Estéban : Euh, des douleurs au niveau de la poitrine et du dos.
MRU : Ou ça dans la poitrine ? A gauche, à droite ?
Estéban : A gauche !
MRU : Ça fait quoi comme douleur, ça brûle, ça serre, ça pique ?
Estéban : Euh, ça pique !
MRU : Quand vous prenez une grande respiration, ça fait quoi ? Ça augmente la douleur, ça la diminue ?
Estéban : Euh, ça augmente ! Je suis un peu entre deux, je ne remplis pas mes poumons à fond et je les vide pas non plus.
MRU : Ouais, quand vous bougez, quand vous vous mobilisez tout ça, ça [fait] mal ou pas ? Là vous êtes assis, debout, allongé ?
Estéban : Allongé.
MRU : OK. Allongé, ça vous fait mal ?
Estéban : Oui là, j'ai toujours mal !
MRU : OK. Si vous vous asseyez ? Asseyez-vous !
Estéban : Si j'arrive à me lever ! [douleur] Ça fait mal dès que j'essaie de me lever.
MRU : Ouais, dites-moi quand vous êtes assis ?
Estéban : Non non non non, ouais non j'y arrive pas !
MRU : Et tout à l'heure, quand vous étiez assis ou debout, vous aviez plus mal assis ou debout, moins mal ou pareil ?
Estéban : Euh en fait c'est plutôt le début de l'effort qui fait mal !
MRU : Ouais, mais allongé, debout ou assis, vous avez mal, c'est juste les mouvements entre chaque salve qui font mal surtout...
Esteban : Oui.
MRU : OK, vous avez des problèmes de santé ?
Estéban : Euh non, asthmatique.
MRU : OK, vous avez pris un médicament pour la douleur là ou pas ?
Estéban : Un Doliprane.
MRU : A quelle heure ?
Estéban : Euh, je l'ai pris vers quelle heure ? Vers 20 heures, 19 heures.
MRU : Est-ce que vous avez des médicaments type anti-inflammatoire, ibuprofène, kétoprofène ?
Estéban : Non.
MRU : Est-ce que vous avez codéine, tramadol ?
Estéban : On a du tramadol.

MRU : Ouais, vous allez pouvoir prendre un tramadol, maintenant, d'accord ? Là je pense que c'est une douleur musculaire. Vraiment typiquement les douleurs qui augmentent quand vous respirez profondément, qui vous gênent pour vous mobiliser, ça fait très douleur musculaire ! Donc vous prenez un tramadol en plus et puis faudra appeler votre médecin traitant pour prendre rendez-vous, d'accord ? 
Estéban : J'ai aussi eu un craquement quand j'étais assis ! Au niveau du bas du ventre ou du dos, je sais plus, et puis après j'ai eu mal vers... euh... les lombaires.
MRU : OK bon bah c'est vraiment, je pense, une douleur musculaire, ça m'inquiète pas du tout en tout cas !
Estéban : OK.
MRU : Voilà, bon courage monsieur.
Estéban : Merci, au revoir.
MRU : Au revoir."

Dans les heures suivantes, l'état d'Estéban s'est considérablement dégradé. La mère du jeune homme, Dorothée, rappelle donc une seconde fois le Centre 15 du Mans dans l'après-midi du 29 janvier, à 14h43. Un échange entre deux praticiens se déroule en amont, puis la mère de famille tombe sur l'assistant de régulation médicale. Le tout dure 2 minutes et 20 secondes, puis un nouvel échange se tient entre un médecin régulateur et Estéban, d'une durée de 3 minutes et 35 secondes.

ARM 1 : "(...) J'ai sa mère en ligne qui me dit qu'il présente une douleur thoracique à gauche irradiant dans le dos et l'épaule qu'il décrit, lui, à type de compression, il est extrêmement somnolent très pâle et il y a 15 minutes, il a fait un malaise avec une chute sans perte de connaissance, mais probablement un bon TC [traumatisme crânien].
ARM 2 : Alors chute avec TC.
ARM 1 : Voilà, vomissement marron depuis hier, antécédent d'asthme pour ce jeune.
ARM 2 : D'accord depuis hier, c'est bien une douleur thoracique irradiant dans l'épaule, c'est bien ça ?
ARM 1 : Ouais, irradiant dos et épaule, il décrit ça à type de compression.
ARM 2 : Ok bon bah, je vais prendre la maman et je vais lui passer le médecin du coup vu que tu m'as tout donné. (...)"


La discussion a lieu à présent entre le médecin régulateur et Estéban Vermeersch.

MRU : "Oui, bonjour c'est le médecin du Samu. Alors votre mère m'a expliqué, vous avez une douleur au niveau de la poitrine c'est depuis hier, c'est ça ?
Esteban : Oui.
MRU : Ça a commencé d'un seul coup ?

(...)
MRU : Non. Est-ce que vous toussez ?
Estéban : Ah juste avant de vomir, oui.
MRU : Donc vous avez vomi ?
Estéban : Oui.
MRU : Une seule fois, plusieurs fois ?
Estéban : Plusieurs fois (une quinzaine au moins).
MRU : Ah oui quinze fois ! Euh et ça c'est depuis hier ?
Estéban : Oui.
MRU : Oui d'accord ! Ça vous gêne pour respirer ?
Estéban : Oui j'ai l'impression que je peux pas respirer.
MRU : Au max, oui, il y a des douleurs ailleurs ? Par exemple dans les jambes, dans les mollets ?
Estéban : J'ai plus de force pour me lever !
MRU : Vous vous êtes pas levé du tout ?
Estéban : Non.

(...)
MRU : OK, euh donc on a dit au niveau des problèmes, c'est l'asthme. Bon, en tout cas la douleur ça va plutôt être... Enfin, ça pas l'air d'être quelque chose de cardiaque, ça évoque plutôt quelque chose de musculaire. Maintenant la douleur est quand même importante et vous avez l'air d'être assez fatigué. Ce que je vous propose, c'est d'être examiné sur les urgences de Mamers [dans la commune où réside la famille, dans la Sarthe] Vous êtes juste à côté. Vous pouvez me repasser votre mère ?
Mère d'Estéban : Oui, allô ?
MRU : Oui, je vous laisse l'emmener aux urgences de Mamers pour qu'il puisse être examiné ?
Mère d'Estéban : D'accord, je fais ça !
MRU : Je les préviens que vous allez vous y présenter, si vous avez une difficulté d'ici votre arrivée aux urgences de Mamers, vous me rappelez au 15.
Mère d'Estéban : D'accord, bah je vous remercie.
MRU : Pas de soucis, bon courage à vous
Mère d'Estéban : Au revoir, bonne journée.
MRU : Au revoir."

Lorsque sa mère tente d'installer le jeune homme dans sa voiture pour se rendre aux urgences, en suivant les recommandations du médecin régulateur, Estéban s'effondre dans ses bras. Il est en arrêt cardiorespiratoire. La voisine prend alors le relais et appelle le Samu une troisième et dernière fois à 15h24, tandis que Dorothée effectue un massage cardiaque sur son fils. Les pompiers se rendent sur place et poursuivent les gestes de secours, avant de le transporter au centre hospitalier du Mans. Le jeune homme mourra le lendemain, le 30 janvier. 

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