Pistes peu explorées, suspects négligés, gendarme trop bavard... Au procès de Cédric Jubillar, la défense étrille le directeur d'enquête
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Les avocats de l'accusé de 38 ans se sont montrés particulièrement offensifs mercredi face à l'officier de gendarmerie, s'attachant à mettre en lumière ce qu'ils considèrent comme des manquements des enquêteurs.
Un feu roulant de questions, de critiques et, même, d'accusations. Quand le major Bernard Lorvellec quitte la salle d'audience du tribunal d'Albi à 20h15, mercredi 24 septembre, il paraît exsangue. Le directeur d'enquête vient de subir pendant trois longues heures les assauts de la défense de Cédric Jubillar, jugé pour meurtre sur conjoint.
Cet officier expérimenté – trente et une années de service dans la gendarmerie – était pourtant arrivé d'un pas décidé face à la cour d'assises du Tarn, en tout début d'après-midi. Il savait que sa déposition était particulièrement attendue : c'est lui qui a dirigé les colossales investigations liées à la disparition de Delphine Jubillar-Aussaguel, la nuit du 15 au 16 décembre 2020.
Silhouette imposante, d'un ton clair, il a minutieusement détaillé l'enquête, deux heures durant, avec un fil conducteur : expliquer comment les gendarmes sont arrivés à la conclusion que l'infirmière de 33 ans était forcément décédée et que Cédric Jubillar était son meurtrier.
Des hypothèses évacuées
Au fil des semaines et des recherches infructueuses, les gendarmes ont refermé toutes les autres pistes, les unes après les autres. La mère de famille serait-elle partie de son plein gré ? Pas sans sa voiture, ses papiers, sa carte bleue, ni ses lunettes de vue. Un suicide ? Elle est certes lassée de son quotidien de "Bidochon" dans une maison qu'elle qualifie de "taudis", mais "une toute nouvelle vie" s'offre alors à elle, puisqu'elle est très amoureuse de son amant et envisage même de s'installer avec lui.
A-t-elle été victime d'un rôdeur ? Les enquêteurs vérifient les déplacements de toutes les personnes inscrites au Fichier des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais) qui habitent dans la région. Leurs lignes téléphoniques sont exploitées. "Aucun lien n'est établi", assure le major Bernard Lorvellec. De toute façon, il semble hautement improbable qu'elle soit sortie seule le soir, en pleine nuit d'hiver : ses collègues et amis affirment tous "qu'elle a une peur terrible du noir", explique le directeur d'enquête à la barre.
"Pendant que les autres hypothèses se referment, celle de Cédric Jubillar prend de l'ampleur."
Bernard Lorvellec, directeur d'enquêteface à la cour d'assises du Tarn
Louis, le fils du couple, assure avoir vu "une scène de lutte et d'empoignade" le soir des faits. Des voisines disent avoir entendu "très distinctement les cris d'une femme". Et puis il y a le téléphone de l'accusé, mis hors tension "de manière exceptionnelle" dans la soirée du 15 et jusqu’à environ 4 heures le 16.
Son comportement est étrange, incohérent. "Qu'est-ce que je vais faire maintenant qu'elle n'est plus là ?", demande-t-il aux gendarmes alors qu'il vient tout juste de constater la disparition de son épouse. Sans compter les multiples menaces de mort qu'il avait proférées devant témoins. A sa mère, quinze jours avant, il déclarait : "J'te jure maman, je vais la tuer, je vais l'enterrer et personne ne la retrouvera."
"Objectivement, l’ensemble de ces éléments tend à démontrer la participation de Cédric Jubillar", termine Bernard Lorvellec. Qui conclut avec une pensée pour la victime : "Cette maman radieuse, pleine de vie et pleine de projets, avait des opportunités qui s'offraient à elle : il n'en sera rien." L'émotion saisit la salle d'audience. Son exposé fait mouche.
La défense sort les griffes
Et puis, après les questions de la cour, des avocats généraux et des parties civiles, la défense prend le relais. Il est 17h19, le major à la barre présente des signes de fatigue. Pas Emmanuelle Franck, ni Alexandre Martin, les avocats de Cédric Jubillar. Micro à la main, ils reprennent chaque élément de l'enquête, dans un ping-pong de questions/réponses effréné.
Les lunettes de la victime, retrouvées cassées dans le salon du couple ? La monture était déjà abîmée, de l'aveu même du jeune Louis. Le stationnement inhabituel du véhicule de Delphine, dont les enquêteurs suggèrent qu'il a été déplacé la nuit de la disparition ? Un faux problème : il lui arrivait de se garer dans ce sens, affirme leur client. Les cris entendus par les voisines ? Ils ont été montés en épingle à la deuxième déposition : dans la première, la mère et la fille auraient affirmé ne pas avoir été "particulièrement apeurées", paraphrase Alexandre Martin.
L'ambiance se tend. Le major n'articule parfois pas assez, ne se positionne pas bien devant le micro : la présidente l'incite à faire un effort. A sa droite, Emmanuelle Franck embraye sur les autres suspects potentiels et s'étonne que les alibis de plusieurs de ces hommes, figurant au Fichier des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, n'aient pas été vérifiés. "C'est du pur déclaratif !", tance l'avocate.
Des pistes de délinquants sexuels trop peu étudiées, selon la défense
Bernard Lorvellec assure au contraire qu'il y a eu des vérifications téléphoniques pour "chacune de ces personnes et aucune ne déclenche de relais à Cagnac-les-Mines le soir de la disparition". Mais Emmanuelle Franck ne voit aucun procès-verbal faisant état de ces "vérifications élémentaires". "S'il y a vérification, il y a un PV !", lance-t-elle, agacée.
Elle prend l'exemple d'un criminel, condamné pour viols avec actes de torture et de barbarie : sa victime suppliciée avait été retrouvée "attachée dans les bois", relate-t-elle. La caravane de cet homme se situe à environ un quart d'heure de voiture du domicile des époux Jubillar. Il a affirmé aux enquêteurs qu'il dormait chez sa femme cette nuit-là. Mais l'intéressée n'a pas été interrogée, relève l'avocate.
Emmanuelle Franck aborde ensuite le cas d'un autre homme, lui aussi inscrit au Fijais : il était en procédure pour des faits d'inceste au moment de la disparition de Delphine Jubillar. Il a également été entendu par les enquêteurs, d'autant qu'il connaissait la disparue, qu'il aurait draguée à plusieurs reprises. Mais "pile-poil" la nuit des faits, son téléphone s'est avéré ne pas être géolocalisable. Il aurait changé de carte SIM, ce qui n'a, semble-t-il, pas été relevé par les enquêteurs. Des prélèvements effectués dans son véhicule n'ont par ailleurs jamais été envoyés au laboratoire pour être analysés.
L'avocate, inarrêtable, s'étonne également que le directeur d'enquête ne se soit pas penché sur le fait que Delphine Jubillar-Aussaguel aurait pu rencontrer d'autres hommes que son amant, d'autant qu'elle a loué un véhicule pour se rendre dans la commune de Lisle-sur-Tarn afin de rejoindre, selon elle, un certain Clément.
Des fuites de l'enquête pointées du doigt
Il est plus de 19 heures quand la défense abat une autre carte, et pas des moindres : Emmanuelle Franck révèle que le livret de famille des Jubillar a été retrouvé sur la voie publique, en juillet 2021, plus de six mois après la disparition. Le major confirme. "Apparemment, ça ne vous a jamais intéressé de savoir qui a retrouvé ce livret ? Ni dans quel état il est ? Ni qui l'a touché ? Ni comment il atterrit sur un trottoir d'Albi en bon état ?", s'étrangle l'avocate. A la barre, le major semble décontenancé, peine à apporter une réponse cohérente.
Les accusations se poursuivent et glissent sur un autre terrain : l'avocate affirme, extraits d'écoutes téléphoniques à l'appui, qu'un enquêteur aurait parlé à des proches de Delphine Jubillar-Aussaguel, en donnant son avis sur la culpabilité de l'accusé. "C'est à 90% Cédric", aurait ainsi soufflé le gendarme, assurant faire tout son possible pour les "10%" restants, qui permettraient de l'envoyer aux assises. Embarrassé, Bernard Lorvellec assure que l'intéressé a été éjecté de l'enquête.
"Eh bien, on va parler de vous, monsieur Lorvellec, ce n'est pas beaucoup mieux", achève l'avocate. Elle suspecte le directeur d'enquête de s'être rapproché du journal Le Parisien pour divulguer des informations sur le dossier, en particulier au moment des audiences de remise en liberté de Cédric Jubillar. "A chaque audience, un article abominable" paraissait sur son client.
Combatif, mais visiblement mal à l'aise, le directeur d'enquête se défend : "Je suis assujetti au secret d'instruction, donc assujetti à des poursuites pénales. Je n'ai aucun contact avec Le Parisien, c'est bien au-dessus de mon pouvoir." L'audience se termine enfin, dans ce climat de vive tension. Le tandem de défense sort, assailli de caméras. Des points ont incontestablement été marqués du côté de l'accusé.
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