Meurtre d'Agathe Hilairet : pourquoi le suspect est-il sorti de prison en 2024 malgré son profil dangereux ?

En février 2004, Didier Laroche avait écopé d'une peine de trente ans de réclusion criminelle, avec une période de sûreté de vingt ans, pour viol avec arme en récidive et agression sexuelle.

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Des gendarmes prenant part aux recherches au moment de la disparition d'Agathe Hilairet, le 13 avril 2025, à Vivonne (Vienne). (PHILIPPE LOPEZ / AFP)
Des gendarmes prenant part aux recherches au moment de la disparition d'Agathe Hilairet, le 13 avril 2025, à Vivonne (Vienne). (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

Son casier judiciaire était déjà particulièrement lourd. Après deux jours de garde à vue, Didier Laroche, suspecté du meurtre d'Agathe Hilairet, a été présenté, vendredi 12 septembre, à un juge d'instruction qui l'a mis en examen pour meurtre et enlèvement ou séquestration. Cet ouvrier agricole de 59 ans a reconnu avoir porté deux coups à la frêle joggeuse de 28 ans, ayant entraîné sa mort, "mais sans intention de la donner", a précisé son avocat, Aurélien Bourdier.

Une trace de l'ADN de la victime a été retrouvée dans le véhicule du mis en cause qui réside à Vivonne (Vienne), une commune située à 20 kilomètres au sud de Poitiers, d'où la jeune femme était partie courir, le 10 avril dernier au matin. Son corps avait été retrouvé le 4 mai, dans un sous-bois de la commune, "après près de trois semaines de recherches intensives", a rappelé la procureure de la République de Poitiers vendredi.

Depuis, il aura fallu la mobilisation de 17 enquêteurs de la section de recherches de Poitiers "entièrement dédiés à la vérification de l'ensemble des signalements et témoignages recueillis depuis le lancement des investigations" pour finalement permettre de concentrer les recherches sur cet homme inscrit au fichier des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais) après deux condamnations par le passé. 

Un passé judiciaire extrêmement chargé 

En février 1994, la cour d'assises du Puy-de-Dôme avait condamné Didier Laroche à douze ans de réclusion criminelle pour des faits de viol, sous la menace d'une arme, commis en 1992 sur une femme qui faisait son jogging. Il avait été libéré en 2000. Puis, en avril 2003, il était repassé devant la même cour d'assises, où il a été reconnu coupable d'avoir violé, armé d'un couteau, une jeune femme de 24 ans, en octobre 2001, après l'avoir suivie chez elle, dans une maison isolée d'une commune du Puy-de-Dôme.

Il était également poursuivi pour avoir agressé sexuellement, lors d'une permission de sortie durant sa première période de détention, une mère de famille qui faisait son footing en octobre 1999 dans ce même département. "[Didier] Laroche est un homme dangereux, violent, incapable de résister à ses envies : il recommencera", prédisait alors l'avocat général Eric Mathais dans son réquisitoire. "Les victimes ont été agressées dans leur vie quotidienne, dans des endroits où elles se sentaient en sécurité : cela aurait pu arriver à n'importe qui", avait-il ajouté.

A l'issue de ce procès, les jurés avaient suivi les réquisitions du procureur, condamnant Didier Laroche à une peine de trente ans de réclusion criminelle, avec une période de sûreté de vingt ans. Cette peine avait été confirmée en appel en février 2004 devant la cour d'assises de Haute-Loire. 

Une période de sûreté respectée

La période de sûreté, qui ne peut être ordonnée que pour les délits et crimes graves, est un délai minimal durant lequel la personne condamnée doit rester en prison, sans aménagement de peine possible. Didier Laroche "est sans doute allé au-delà", observe une source judiciaire, contactée par France Télévisions, puisqu'il a été libéré en avril 2024 sur décision du tribunal d'application des peines de Bastia. Il a donc passé au moins vingt ans en détention à l'issue de cette deuxième condamnation aux assises. Et probablement davantage, si l'on tient compte de son passage en détention provisoire dans l'attente de son procès. 

A partir d'avril 2024, il a bénéficié d'un aménagement de peine via un placement en extérieur dans le département de la Vienne. Il s'agit d'un régime de détention en milieu ouvert, qui vise à la réinsertion dans un cadre défini par le juge, et sous le contrôle d'un Service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip). Le condamné est confié à une association en charge de son hébergement, partenaire du ministère de la Justice, qui l'accompagne pour l'aider à accéder au logement, retrouver un emploi et renouer des liens sociaux avec ses proches.

Lors de cette période de placement à l'extérieur, le condamné "a toujours le statut de détenu", souligne Céline Bertetto, magistrate et présidente de l'Association nationale des juges d'application des peines. S'il prend la fuite, il est ainsi immédiatement remis en détention.

"L'évaluation de la dangerosité n'est pas une science exacte"

Parmi les obligations qui incombaient à Didier Laroche figurait aussi une injonction de soins, c'est-à-dire l'obligation de s'entretenir régulièrement avec un psychiatre. "C'est une mesure que l'on impose aux agresseurs sexuels récidivistes", précise Céline Bertetto. En plus de cette obligation thérapeutique, "un médecin qui est désigné par le procureur doit rencontrer le condamné tous les trois mois", poursuit-elle. Le praticien doit théoriquement rendre des comptes réguliers de ses échanges avec le condamné au juge d'application des peines. Dans le cadre de sa surveillance judiciaire, le suspect de 59 ans avait également interdiction de rentrer en contact avec les victimes, interdiction de détenir une arme et obligation de travailler.

Pour mettre en place l'ensemble de ces injonctions, Didier Laroche est forcément passé par le Centre national d'évaluation des personnes détenues (CNE), estime la magistrate Céline Bertetto. Il s'agit d'un quartier de détention dans lequel une équipe pluridisciplinaire doit évaluer la personnalité d'un prisonnier et son degré de dangerosité lorsqu'il effectue une demande d'aménagement de peine. "Toutes les six semaines, cinquante détenus y transitent pour y effectuer leur évaluation. Ils y sont écoutés et surveillés en permanence. Le premier CNE a vu le jour à Fresnes, puis d'autres ont été créés devant l'afflux : à Lille-Sequedin, au centre pénitentiaire du sud francilien et à Aix-Luynes", détaillait en 2023 Mari Goiecoechea, contrôleuse des lieux de privation de liberté, interrogée par Télérama

L'évaluation de ces experts et les nombreuses mesures de réinsertion auxquelles était soumis Didier Laroche n'ont vraisemblablement pas empêché un nouveau passage à l'acte, même si le quinquagénaire reste présumé innocent. "On ne pourra jamais mettre un policier 24 heures sur 24 derrière chaque détenu remis en liberté", fait valoir la source judiciaire interrogée par France Télévisions, assurant toutefois que la justice "fait le maximum avec les délinquants sexuels condamnés à de longues peines pour faire en sorte que ça ne recommence pas. Mais l'évaluation de la dangerosité d'un homme n'est pas une science exacte".

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