Cambriolage au Louvre : comment des bijoux d'une telle valeur historique peuvent-ils être écoulés ?
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Huit pièces d'une valeur patrimoniale inestimable ont été dérobés dimanche dans le plus célèbre musée du monde.
Un collier composé de huit saphirs de Ceylan et de 631 diamants, un autre serti de 32 émeraudes et 1 138 diamants, un diadème comptant au total 212 perles et 1 998 diamants... Les huit bijoux dérobés dans la galerie d'Apollon du musée du Louvre, lors d'un casse spectaculaire, dimanche 19 octobre, sont d'une "valeur patrimoniale inestimable", comme l'a souligné le ministère de la Culture. Alors que plusieurs dizaines d'enquêteurs sont aux trousses des quatre hommes repartis avec ce butin historique, une question de taille se pose : comment ces pièces peuvent-elles être revendues par leurs voleurs ?
Selon nos informations, les enquêteurs de la Brigade de répression du banditisme (BRB), appuyés par ceux de l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), travaillent sur deux pistes, plutôt au sein de la criminalité organisée : celle d'un commanditaire souhaitant récupérer ces bijoux et celle d'individus voulant obtenir "des pierres précieuses pour pratiquer des opérations de blanchiment", comme l'a relevé la procureure de Paris, Laure Beccuau.
La piste d'"un collectionneur dérangé" ?
Dans la première hypothèse, il pourrait s'agir d'"un collectionneur dérangé, passionné de l'époque napoléonienne", suggère le général de gendarmerie Jacques Morel, référent sécurité de l'Union française de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie. L'ancien patron de la section de recherches de Versailles n'exclut pas non plus une "commande qui viendrait de l'étranger pour exiger ensuite une rançon dans le cadre d'une négociation avec la France".
Reste que la piste de l'ingérence étrangère n'est pas privilégiée à ce stade, a fait savoir le parquet de Paris. Le mode opératoire, toutefois, interroge. "Ils n'ont même pas prêté un regard aux autres vitrines, qui contiennent, elles aussi, des bijoux d'une valeur inestimable", glisse une source policière à franceinfo, supposant que les voleurs savaient ce qu'ils venaient chercher dans cette galerie.
Pour les spécialistes, la revente en l'état de ces bijoux semble toutefois peu probable. "Ces bijoux sont très identifiables, catalogués, photographiés et doivent figurer sur l'ensemble des bases de données policières d'objets volés", souligne Laure Assumpçao, avocate du cabinet UGGC, en charge du département droit de l'art et trafic de biens culturels, jugeant "fantaisiste" l'hypothèse d'un commanditaire collectionneur un peu fou. Si ce casse est particulièrement spectaculaire en raison de sa cible, "le vol dans les musées et châteaux est quelque chose d'assez commun, notamment en province, et ce sont généralement les bijoux qui sont dérobés, car leur transformation permet de dissimuler l'origine frauduleuse", ajoute-t-elle.
Des bijoux qui risquent d'être dépecés
C'est ce qui est redouté dans cette affaire : que les bijoux soient dépecés pour être plus facilement écoulés. Les morceaux d'or peuvent par exemple être fondus pour obtenir des lingots, indétectables. "Ils peuvent être revendus au marché noir", observe une source policière. D'autant que l'or, valeur refuge par excellence, est actuellement au plus haut, à plus de 3 500 euros l'once (une trentaine de 30 grammes). Dans l'affaire du vol des pépites d'or au Museum d'histoire naturelle de Paris, la suspecte arrêtée en Espagne fin septembre a tenté de se débarrasser de près d'un kilo de morceaux d'or fondu au moment de son interpellation. Où sont passés les cinq autres kilos dérobés ? L'enquête se poursuit.
Quant aux pierres précieuses, perles et diamants, elles peuvent être extraites pour être revendues au détail. "Le seul moyen d'écouler, de 'blanchir la pièce', serait de dépecer les objets, de les dessertir, de retailler les diamants", s'inquiète Alexandre Giquello, président de la salle des ventes Drouot et commissaire-priseur, auprès de France Télévisions.
"Mais là, ça nécessite des complicités qui vont hésiter à se mêler à cette opération", estime Alexandre Giquello. "Il faudrait être fou pour se mêler à ça", abonde un diamantaire belge auprès du Parisien. "Même une petite main comme moi saurait reconnaître les pierres volées au Louvre, tellement c'est différent de ce qu'on voit circuler d'habitude. Ça ne peut pas finir ici, c'est trop gros pour nous", abonde un de ses collègues.
La Belgique est un point de chute d'objets d'art volés, car le recel y est prescrit au bout de cinq ans. Mais les auteurs du cambriolage du Louvre n'appartiennent peut-être pas au marché du vol d'objets d'art, tels que des tableaux, "plus sophistiqué", selon l'avocate Laure Assumpçao. "Ce type d'activité criminelle n'est plus forcément le fait d'auteurs spécialisés dans le vol et trafics des biens culturels, et leur écoulement", confirme l'agence de police européenne Europol.
L'Etat peut les revendiquer "sans limite de temps"
"Le préjudice a été estimé par la conservatrice du Louvre à 88 millions d'euros", a annoncé sur RTL, mardi, la procureure Laure Beccuau, précisant que les malfaiteurs "ne gagneront pas" cette somme "s'ils avaient la très mauvaise idée de fondre ces bijoux". Si l'objectif final est avant tout financier dans cette affaire, force est de constater que les bijoux démontés "perdent beaucoup de valeur", en raison du nombre d'"intermédiaires" entre le receleur, le spécialiste qui démonte et retaille, ou le revendeur, confirme le général de gendarmerie Jacques Morel. "Au final, un bijou ne vaut plus que 20 à 25% de sa valeur", calcule-t-il. Si l'ancien enquêteur fait confiance à la BRB pour retrouver les auteurs, il se montre plus sceptique sur le fait de remettre la main sur les joyaux, dépecés ou non, comme s'y est engagé Emmanuel Macron.
"Dans toutes les affaires un peu spectaculaires du milieu de la bijouterie, les auteurs sont toujours arrêtés. Mais les bijoux ont souvent déjà disparu car c'est une matière très chaude qui passe rapidement de main en main."
Le général de gendarmerie Jacques Morelà franceinfo
S'ils sont interpellés, les auteurs encourent quinze ans de réclusion pour vol en bande organisé. Quant aux bijoux, s'ils réapparaissent, l'Etat français pourra toujours les revendiquer "sans limite de temps", rappelle l'avocate Laure Assumpçao. A titre d'exemple, "il arrive que des objets d'église disparus pendant la Révolution française réapparaissent sur le marché 200 ans plus tard. Dès que l'Etat peut démontrer qu'ils appartenaient aux biens du domaine public, il peut en revendiquer la propriété", explique-t-elle. Il en va de même pour les bijoux exposés au Louvre, "pièces imprescriptibles et inaliénables".
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