Procès de Joël Le Scouarnec : pourquoi la justice a-t-elle décidé d'ouvrir une enquête préliminaire à la recherche d'éventuelles autres victimes ?
La justice a ouvert une nouvelle enquête pour identifier d'autres victimes du pédocriminel Joël Le Scouarnec. Actuellement jugé à Vannes pour des viols et agressions sexuelles sur 299 patients, l'ancien chirurgien a pour la première fois, jeudi, reconnu les faits dans leur intégralité.
Nouveau rebondissement dans le plus grand dossier de pédocriminalité de l'histoire judiciaire française. Jugé à Vannes (Morbihan) pour violences sexuelles sur 299 patients, l'ancien chirurgien Joël Le Scouarnec fait l'objet d'une nouvelle enquête préliminaire visant à identifier d'éventuelles autres victimes, a annoncé le parquet général de Rennes jeudi 20 mars. Ces investigations, menées par le parquet de Lorient, concernent "des victimes éventuellement non identifiées ou nouvellement déclarées" d'"agressions sexuelles et viols" perpétrés par l'ex-chirurgien viscéral, selon la même source, qui précise : "En dépit des investigations menées, de la forte médiatisation de l'affaire, des réunions et des communications organisées, il reste toujours possible [..] que certaines victimes n'aient pu, encore, être identifiées". Comment l'institution judiciaire en est-elle arrivée à un tel constat ?
Des possibles "ratés" dans l'étude des carnets
L'ancien médecin, déjà condamné en 2020 à 15 ans de réclusion pour violences sexuelles sur quatre enfants, est jugé depuis le 24 février par la cour criminelle du Morbihan, pour viols et agressions sexuelles aggravés sur 299 patients, pour la plupart mineurs. Des faits qu'il a reconnus pour la première fois dans leur intégralité jeudi lors d'une audience à huis clos, a fait savoir son avocat à "ici Breizh Izel".(Nouvelle fenêtre. Les victimes ont été identifiées par le biais de "carnets" dans lesquels Joël le Scouarnec décrit avec minutie les sévices sexuels infligés aux enfants de son entourage et à ses patients. Ces fichiers ont permis aux enquêteurs d'identifier et d'interroger au total 332 victimes, dont certaines pour des faits prescrits.
Mais certaines personnes apparaissant dans les carnets n'ont pas fait l'objet de recherches de la part des enquêteurs, selon un arrêt de la cour d'appel de Rennes rendu en décembre 2022 et consulté par l'AFP. Ainsi, sous le récit du viol de P., 9 ans, ou A., 13 ans, la cour mentionne qu'"aucune investigation n'a été réalisée pour (les) identifier", comme pour des dizaines de victimes d'agressions sexuelles. "Que ce soit par manque de moyens ou par volonté de boucler l'enquête, beaucoup de victimes ont été laissées de côté par les enquêteurs", assure auprès de l'AFP le journaliste Hugo Lemonier, auteur du livre Piégés, qui revient sur l'affaire.
Auditionné par la cour criminelle le 28 février, le directeur d'enquête a été interrogé sur des possibles manquements. La présidente de la cour, Aude Buresi, avait notamment fait valoir des "ratés" de l'enquête : des victimes confondues avec leur homonyme, des erreurs sur les noms, des confusions entre deux victimes. Les enquêteurs n'auraient également pas décelé certains crimes malgré la description des violences faite dans les carnets, selon la présidente de la cour. Le gendarme de la section de recherches de Poitiers avait cependant assuré que ses enquêteurs avaient "recensé la majorité des victimes dans (les) écrits" de l'accusé.
Par ailleurs, "certaines [victimes potentielles] n'ont pu, encore, être identifiées, auditionnées, ont refusé de l'être, ne se sont pas manifestées, soit à l'étranger ou dans une autre situation d'empêchement", a expliqué le parquet général de Rennes.
L'hypothèse de récits de violences parfois incomplets ou inexacts dans les carnets
L'exhaustivité et la véracité des faits rapportés dans ces carnets saisis par les enquêteurs sont également questionnées. Presque deux années, de fin 1994 à début 1996, manquent dans ces documents. Or, l'accusé a admis lui-même avoir fait des victimes durant cette période, rapporte France 3 Bretagne.
Francesca Satta, avocate de certaines parties civiles, estime ainsi qu'une des clientes qu'elle représente au procès de Vannes "aurait pu être une cliente oubliée". Décrite dans les carnets comme l'objet d'un regard accompagné de pensées pédophiles, elle n'a pas été contactée par les enquêteurs. Au fil d'un long travail de mémoire, elle parvient à retrouver le souvenir d'un viol et va porter plainte à la gendarmerie. Le 7 mars, Joël Le Scouarnec a reconnu le viol de cette dernière, lorsqu'elle avait 9 ans. "Il faut que chaque regard décrit dans les carnets – j'en dénombre une cinquantaine – soit l'objet d'une investigation plus poussée", exige l'avocate.
Sur la question des qualifications, le parquet de Lorient a par ailleurs ouvert cette nouvelle enquête préliminaire pour "agressions sexuelles et viols, sachant que [ces qualifications] seront affinées selon chaque situation au vu des éléments établis", a précisé le parquet général de Rennes.
Une investigation au-delà des carnets jugée nécessaire par les parties civiles
Des voix s'élèvent également pour dénoncer l'absence d'investigations plus larges. Aux yeux de Céline Astolfe, l'avocate de la Fondation pour l'enfance, partie civile au procès, "c'est comme si l'accusé lui-même avait fixé le périmètre de l'enquête". "Submergés et aveuglés par ses écrits", les enquêteurs en ont oublié selon elle "les réflexes évidents, basiques d'une investigation". "Il est vraisemblable que nous n'ayons pas une liste exhaustive des victimes", estime-t-elle. "D'abord parce qu'on s'est limité aux carnets, parce qu'on n'a pas interrogé non plus la Sécurité sociale" afin d'avoir la liste intégrale des patients de l'ex-chirurgien, déplore l'avocate. "Il n'est pas exclu qu'une action en responsabilité de l'Etat pour dysfonctionnement de la justice soit portée", fait-elle valoir.
Interrogée par franceinfo jeudi, l'avocate de certaines parties civiles, Francesca Satta, se dit "très contente" de l'ouverture de l'enquête préliminaire "parce qu'il y a effectivement des victimes qui ne sont pas uniquement centrées sur les carnets, qui existent en dehors, et qui ont toutes leur place au sein d'un procès à l'encontre de Jöel Le Scouarnec". Elle précise par ailleurs avoir été contactée, ces derniers jours, par des nouvelles personnes, "environ une dizaine", qui se présentent à elle pour lui demander d'intervenir "soit parce qu'elles se souviennent, soit parce qu'elles désirent avoir des précisions".
Contacté par l'AFP, Thibaut Kurzawa, l'un des avocats de l'ex-chirurgien viscéral, assure que les avocats "ne s'opposer[ont] pas à ce que Joël Le Scouarnec soit entendu pour cette nouvelle enquête".
Si vous êtes un enfant en danger ou un adulte témoin d'une situation où un enfant est victime de violences sexuelles, physiques ou psychologiques, ou si vous souhaitez demander conseil, il existe un numéro national d’accueil téléphonique, confidentiel et gratuit : le 119 (ouvert 24h/24, 7j/7, numéro non visible sur les factures de téléphone, possibilité d'envoyer un message écrit au 119 via le formulaire à remplir en ligne ou d'entrer en relation via un tchat en ligne : allo119.gouv.fr ). Pour les personnes sourdes et malentendantes, un dispositif spécifique est disponible sur le site allo 119.
Si vous êtes victime de violences sexistes et sexuelles, vous pouvez appeler le 3919. Le numéro est gratuit, anonyme, ouvert 24h/24 et 7j/7, accessible aux personnes sourdes et malentendantes.
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