"J'étais dans la transgression permanente" : à son procès, Joël Le Scouarnec reconnaît certains viols qu'il niait et un cas de soumission chimique

Article rédigé par Violaine Jaussent - envoyée spéciale à Vannes (Morbihan)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Joël Le Scouarnec face à la cour criminelle du Morbihan, lors de son interrogatoire, le 4 mars 2025. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)
Joël Le Scouarnec face à la cour criminelle du Morbihan, lors de son interrogatoire, le 4 mars 2025. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)

L'accusé, jugé pour des viols et agressions sexuelles commis pendant des décennies sur près de 300 patients, la plupart mineurs, a longuement été interrogé, mardi, sur les faits consignés dans ses journaux intimes.

"On ne peut pas exclure que je n'aie pas commis plus que ce que j'ai écrit." Joël Le Scouarnec le dit d'abord à demi-mot : désormais, il n'exclut pas que certaines agressions sexuelles, dont il est accusé, aient été en réalité des viols. "Quand j'ai dit 'J'ai mis mon doigt sur, ou mon doigt dans', pour moi je disais que ce n'était pas un viol. C'en était un", a précisé l'ex-chirurgien à son procès, lors de son interrogatoire sur les faits, mardi 4 mars. Jusqu'ici, il niait les pénétrations digitales, qui étaient, selon ses propres termes, "des excès de langage".

La présidente de la cour criminelle du Morbihan écarquille les yeux face à ce revirement. "Qu'est-ce qui vous a fait évoluer ?" "J'ai dit à un moment donné, plus de mensonges", commence par répondre Joël Le Scouarnec, qui fait référence à ses déclarations de la veille. L'accusé met aussi en avant le "temps" qui passe et lui a "permis de réfléchir". "A l'époque, je n'acceptais pas qu'on puisse penser que j'avais commis des viols sur des filles impubères, explique-t-il d'un ton toujours égal. Car dans le mot 'viol', il y a le mot 'violence'. Je ne pouvais pas admettre que j'avais commis des choses violentes."

"J'avais l'impossibilité de penser que j'avais pu commettre un acte qui est un viol."

Joël Le Scouarnec

à l'audience

La présidente Aude Buresi rebondit : "Est-ce qu'il y a des faits que vous continuez à contester ?" Joël Le Scouarnec cherche la réponse : "Il y a sûrement des situations où c'était authentiquement un geste médical, il en existe encore."

Si l'accusé ne reconnaît toujours pas l'intégralité des faits pour lesquels il comparaît depuis le 24 février, il concède, pour la première fois, avoir eu recours à la soumission chimique sur l'une de ses victimes féminines. "Elle était profondément endormie à cause d'un produit anesthésiant, mais ça ne s'est produit qu'une seule fois", assure l'ex-chirurgien. Alors qu'il a de nombreux trous de mémoire depuis le début de son interrogatoire, Joël Le Scouarnec souligne : "Et je m'en souviens très bien."

Des violences sexuelles consignées dans des "écrits"

Encouragé par la présidente de la cour criminelle, l'accusé revient aussi sur son mode opératoire. "Je faisais la visite avec une infirmière et quand elle avait regagné son poste, si j'avais vu qu'un enfant était seul dans sa chambre, j'y retournais", déclare-t-il, en précisant "provoquer les opportunités" pour commettre des violences sexuelles. "Mes agressions étaient extrêmement furtives, affirme-t-il encore. Le seul contact me suffisait."

La magistrate insiste : les victimes ne se sont-elles jamais manifestées pendant ces actes ? "J'ai pu entendre, effectivement, des enfants qui ont pu me dire 'Ça fait mal'", concède l'accusé. "Vous en faisiez quoi ?", s'enquiert la présidente Aude Buresi. "J'arrêtais", assure Joël Le Scouarnec. Et d'ajouter : "Ce qui m'excitait, c'était de le faire, je l'avais fait et ensuite, je le rapportais dans mes écrits." Car Joël Le Scouarnec consignait scrupuleusement, dans ses journaux intimes, les noms des victimes, associés à une litanie de récits de sévices.

"Scatologique, fétichiste, pédophile"

Pendant vingt-sept ans, Joël Le Scouarnec a écrit tous les jours, sauf entre juillet 1993 et mai 1996. Une interruption qu'il n'explique pas. "Je n'ai aucun souvenir de ça", répète-t-il, face à l'insistance de la cour sur ce point. A partir de 1990, il tape ses textes à l'ordinateur, jusqu'à la perquisition des gendarmes à son domicile de Jonzac, le 2 mai 2017. Il les stocke sur deux disques durs externes, dissimulés à la hâte sous un matelas, qui finiront par être retrouvés par les enquêteurs. Des textes manuscrits, 70 poupées, des perruques et des accessoires de nature sexuelle sont aussi saisis.

L'exploitation de son matériel informatique révèle de très nombreuses images pornographiques et pédopornographiques, mais également des vidéos de scènes très violentes, ou encore des clichés de son entourage. Il y a aussi ses propres photomontages, qui le mettent en scène, nu, avec son sexe et ceux d'enfants disposés sur la même page, y compris en gros plan. Certains sont projetés à l'audience, sur les écrans. Quand la vulve d'une petite fille photographiée en 1988 apparaît, alors qu'il s'agit d'une victime oubliée, pas dans la procédure, la présidente en profite pour l'interroger : "Vous êtes allé jusqu'ou après avec votre main ?" "Ah je ne sais plus, je ne me rappelle pas." "Vous pouvez faire un effort de mémoire ?", insiste-t-elle. Joël Le Scouarnec répond par la négative. "Est-ce que quelque chose aurait pu retenir de mettre votre main sur son sexe ?" "Je suis incapable de vous dire."

"Tout en fumant ma cigarette du matin, j'ai réfléchi au fait que je suis un grand pervers. Je suis à la fois exhibitionniste, voyeur, sadique, masochiste, scatologique, fétichiste, pédophile", écrit-il un jour, se disant "très heureux" de sa condition, rappelle la présidente Aude Buresi. "Est-ce que vous pouvez parler de vos paraphilies ?", lui demande-t-elle. Joël Le Scouarnec s'exécute. Il assume la plupart de ses déviances sexuelles, comme la zoophilie, qui apparaît dans ses carnets entre 1998 et 2015, ainsi que sur 8 429 photos.

"J'étais dans la transgression permanente, je ne m'interdisais rien (...) Si l'occasion m'était donnée de faire ci ou faire ça, j'y cédais."

Joël Le Scouarnec

à l'audience

La cour criminelle du Morbihan cherche à comprendre. "Jouissiez-vous de la souffrance de l'autre ?", demande la présidente. "Absolument pas", répond l'accusé, jamais troublé par l'émotion. "Dans quel état d'esprit vous étiez ?" "Je suis incapable de l'expliquer."

"La seule personne qui peut vous donner les explications, c'est moi"

Joël Le Scouarnec reconnaît avoir "écrit les pires atrocités sans pour autant les penser", lancé dans "une espèce de surenchère dans l'expression écrite de [s]es fantasmes". A la présidente Aude Buresi qui cherche à savoir quels passages sont concernés, l'accusé répond que ce sont les phrases écrites au conditionnel. En revanche, les passages écrits "au présent" pouvaient relever d'actes "purement médicaux mais que je fantasmais, ou des actes que j'ai accomplis réellement", précise-t-il. Une fois de plus, il promet de les reconnaître. "La seule personne qui peut vous donner les explications, c'est moi", souligne-t-il.

Une façon de conserver son emprise sur les victimes, comme le lui signifie la présidente de la cour criminelle. Joël Le Scouarnec choisit alors de s'adresser à elles : "Si je suis ici aujourd'hui, ce n'est pas uniquement parce que la justice doit prévoir une sanction, c'est aussi pour entendre chacune de ces personnes, sa parole." Mais dans l'amphithéâtre réservé aux parties civiles, dans le bâtiment situé à quelques mètres du tribunal judiciaire, des dizaines de fauteuils sont vides : certaines ont quitté les lieux à l'évocation du contenu insoutenable des journaux intimes, à l'issue d'une longue journée d'audience. Qui n'a toutefois pas permis de terminer l'interrogatoire de l'accusé : il doit se poursuivre mercredi à partir de 13 heures.

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