Indemnisation des victimes, nouvelle structure d'écoute, examen de conscience... Quelles suites aux accusations de violences sexuelles visant l'abbé Pierre ?

Alors que neuf nouveaux témoignages accusant le fondateur d'Emmaüs ont été révélés lundi, les prochains mois seront déterminants pour les dizaines de victimes qui espèrent des réponses, et pourraient être indemnisées.

Article rédigé par Eloïse Bartoli
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des employés municipaux déboulonnent une statue de l'abbé Pierre, à Norges-la-Ville, en Côte-d'Or, le 17 septembre 2024. (JEFF PACHOUD / AFP)
Des employés municipaux déboulonnent une statue de l'abbé Pierre, à Norges-la-Ville, en Côte-d'Or, le 17 septembre 2024. (JEFF PACHOUD / AFP)

Dans son courrier adressé aux victimes de l'abbé Pierre, le mouvement Emmaüs promet un soutien de chaque instant. "Nous vous confirmons notre présence à vos côtés", peut-on lire. Cet engagement répond à de nouveaux témoignages, rendus publics lundi 13 janvier et venus s'ajouter aux premières révélations des violences sexuelles imputées au prêtre et fondateur d'Emmaüs, en juillet puis en septembre 2024.

Dans le détail, le dernier rapport du cabinet spécialisé Egaé, mandaté par Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé-Pierre, met au jour neuf autres faits de violences sexuelles, dont un viol sur mineur et un cas d'inceste, portant à 33 le nombre de victimes dont les propos ont pu être corroborés.

L'Eglise demande l'ouverture d'une enquête

Le président de la Conférence des évêques de France (CEF) Eric de Moulins Beaufort a annoncé vendredi sur RMC qu'il avait "saisi la justice" mardi pour lui demander d'ouvrir une enquête sur l'abbé Pierre. "J'ai écrit un signalement au Procureur de Paris pour lui demander de réfléchir à ouvrir une enquête sur l'abbé Pierre" afin de "pouvoir enquêter sur d'éventuels autres victimes ou éventuels complices" ou sur des "non-dénonciations", a-t-il ajouté, en redisant son "horreur" après les nouvelles révélations de violences sexuelles. Contacté par franceinfo mardi, le parquet de Paris avait dans un premier temps répondu ne pas avoir été saisi des différents faits imputés à l'abbé Pierre.

Le religieux étant mort, les actions au pénal contre lui sont par ailleurs irrecevables, car éteintes. Les faits sont également, pour la plupart, prescrits. Alors que plusieurs alertes semblent avoir été ignorées au sein des structures fondées par l'abbé Pierre, des poursuites pour "non-dénonciation" restent possibles, mais complexes.

Les victimes peuvent cependant engager une action en responsabilité civile, destinée à réparer un dommage. "Les actions contre sa succession et contre des structures pour lesquelles il travaillait sont possibles", expliquait à franceinfo Benjamin Moron-Puech, professeur de droit, en septembre. Selon lui, les motifs invoqués pourraient être la "faute pour négligence en raison de l'inaction" et la "responsabilité du fait d'autrui".

Des pistes pour l'indemnisation des victimes

Au sein d'Emmaüs France, la possibilité d'indemniser des victimes, parfois lourdement traumatisées et marquées par des années de silence, est considérée. "Cela fait 70 ans que l'on dit qu'on est les héritiers [de l'abbé Pierre]. En tant qu'héritiers, on a pu profiter de tout ce que l'icône nous apportait. Il n'y a pas de raison que l'on n'assume pas aussi le passif de cette personne", martèle son délégué général, Tarek Daher, dans les colonnes du Parisien. Pour ce faire, l'organisme caritatif envisage de se rapprocher de la commission reconnaissance et réparation (CRR), détaille-t-il.

Née sous l'impulsion de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) après la publication du rapport choc de la commission Sauvé sur la pédocriminalité dans l'Église, la CRR traite les violences sexuelles commises par les membres de congrégations religieuses sur des victimes, aussi bien majeures que mineures au moment des faits. L'Instance nationale indépendante de reconnaissance et réparation (Inirr), créée quant à elle par la Conférence des évêques de France, s'est par ailleurs dite "prête", en septembre dernier, à prendre en charge les victimes de l'abbé Pierre qui étaient mineures au moment des faits, conformément à sa lettre de mission, avec une indemnisation pouvant aller jusqu'à 60 000 euros.

Comprendre les mécanismes du silence

Les structures héritières de l'abbé Pierre ne feront pas non plus l'économie d'un examen de conscience. La fondation a annoncé la mise en place, à partir de février, d'une commission d'étude sur les violences commises par l'ancienne personnalité préférée des Français. Elle sera présidée par la sociologue Céline Béraud, directrice d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), dans le cadre d'une convention de recherche avec l'établissement. Le but sera notamment "de saisir et d'analyser les mécanismes qui ont permis de produire du silence durant plusieurs décennies autour de ces faits très graves et conduit à ce que le prêtre ne soit condamné ni en interne par l'Eglise ni dénoncé à la justice civile", expliquait la chercheuse, citée par Emmaüs, lors de sa nomination en octobre.

Dans le même temps, la fondation Abbé-Pierre s'évertue à gommer les hommages rendus au prêtre dans ses différentes structures et a annoncé avoir lancé des démarches pour changer de nom. "Il s'agit d'une procédure juridique lourde" et longue à mettre en place, prévient cependant la direction. Le lieu de mémoire dédié à l'abbé Pierre à Esteville (Seine-Maritime) a quant à lui définitivement fermé ses portes, et les neuf salariés que comptait la structure ont été licenciés par une lettre reçue fin décembre, relate "ici Normandie".

Une nouvelle structure pour recueillir la parole des victimes

Le recueil des témoignages des victimes de l'abbé Pierre va également devoir se poursuivre dans les prochains mois. Lors de la publication de son dernier rapport, lundi, le cabinet Egaé, spécialisé dans la prévention des violences notamment sexistes et sexuelles, a fait savoir que sa mission prendrait fin le 31 janvier. "Un nouveau dispositif va prendre le relais, avec une page sur les trois sites de nos organisations et des professionnels pour accueillir cette parole", a promis le délégué général d'Emmaüs France, Tarek Daher. "Il sera probablement géré par France Victimes, qui travaille déjà avec l'Église", a-t-il poursuivi.

Contactée, la fédération d'associations France Victimes confirme à franceinfo que des discussions sont en cours sur la question. La messagerie téléphonique et l'adresse mail mises en place depuis juillet par le cabinet Egaé pour écouter les victimes de l'abbé Pierre ne devraient pas tout à fait disparaître, mais renverront les personnes vers la nouvelle structure, selon les informations de franceinfo.

La tâche s'annonce immense pour les successeurs au cabinet Egaé. Dans un communiqué publié lundi, la Conférence des évêques de France dit s'attendre, après "cette troisième série de témoignages", à la découverte de nombreuses autres victimes. Dans son ultime rapport, Egaé souligne pour sa part que les récits récoltés en six mois "ne permettent absolument pas de dresser un état des lieux exhaustif des comportements de l'abbé Pierre."

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