Enquête Scandale des eaux en bouteille : comment Nestlé va tenter d'empêcher l'arrêt de la commercialisation du Perrier

Radio France
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Bouteille de Perrier (FRED TANNEAU / AFP)
Bouteille de Perrier (FRED TANNEAU / AFP)

L'association de consommateur UFC-Que Choisir saisit mercredi le juge des référés afin de réclamer le rappel de toutes les bouteilles Perrier ainsi que le retrait du label "eau minérale naturelle".

C'est une première. Mercredi 24 septembre au matin, à Nanterre, la multinationale suisse Nestlé devra s'expliquer devant la justice après les révélations de la cellule investigation de Radio France et du Monde, en janvier 2024, sur la pollution des sources et l'usage de filtres interdits, employés pour décontaminer une eau censée être naturellement pure.

Près de deux ans après nos premières révélations, l'UFC-Que Choisir demande au juge des référés le retrait temporaire de toutes les bouteilles de Perrier actuellement commercialisées, leur rappel, et la suspension de l'appellation "eau minérale naturelle" pour sa célèbre eau gazeuse tant que la préfecture du Gard ne se sera pas prononcée sur la nouvelle demande d'autorisation d'exploiter, déposée le 4 juillet dernier. Une procédure en référé, qui ne donne pas lieu à un jugement au fond, mais qui permettrait à l'association d'obtenir rapidement des mesures conservatoires et provisoires. Selon l'avocat de l'association, Alexis Macchetto, les consommateurs sont en effet confrontés à "une fraude massive mais également à de possibles risques sanitaires."

Une eau impure à la source

La cellule investigation de Radio France, qui a eu accès aux conclusions en défense de Nestlé, révèle les arguments de la multinationale pour tenter de sauver la marque Perrier. L'entreprise y affirme que l'eau de Perrier est toujours "pure à la source", comme l'impose la réglementation sur les eaux minérales naturelles.

Or, de multiples expertises officielles contredisent cette affirmation. Ainsi, dès le mois d'octobre 2023, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) évoquait une "contamination régulière des eaux brutes" et un "niveau de confiance insuffisant" dans la qualité sanitaire des produits. Elle estimait alors que les contaminations bactériologiques détectées sur les sites de production d'eau minérale naturelle du groupe Nestlé "ne devraient plus conduire à la production d'eaux embouteillées".

Plus récemment, en avril 2025, des hydrogéologues agréés par le ministère de la Santé et missionnés par l'agence régionale de santé d'Occitanie sur le site de production de Perrier, dans le Gard, ont rendu un avis tranché. Selon eux, l'intégralité des puits toujours exploités par le groupe Nestlé sur le site de Vergèze (Perrier) ont perdu leur pureté originelle.

Selon l’étude des hydrogéologues, l’intégralité des puits toujours exploités sur le site de Vergèze par Nestlé ont perdu leur pureté originelle. (DR)
Selon l’étude des hydrogéologues, l’intégralité des puits toujours exploités sur le site de Vergèze par Nestlé ont perdu leur pureté originelle. (DR)

Leur conclusion est très claire. Les hydrogéologues soulignent une "vulnérabilité avérée" des captages, avec des contaminations microbiologiques "régulièrement détectées" sur les dix années de données qu'ils indiquent avoir examinées.

La bataille des microfiltres

Autre sujet sensible : la présence de dispositifs de microfiltration dans l'usine. Dans son mémoire en défense, Nestlé assure que ces dispositifs n'ont "en aucun cas pour objet de corriger une insuffisance de qualité initiale". En effet, l'eau minérale naturelle devant être naturellement pure, la réglementation exclut tout traitement de désinfection.

Extrait de la directive européenne relative à l’exploitation et à la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles. (DR)
Extrait de la directive européenne relative à l’exploitation et à la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles. (DR)

Néanmoins, cette position est difficilement conciliable avec les constats dressés par les autorités sanitaires, notamment l’Agence régionale de santé (ARS) d’Occitanie qui relevait dans un rapport, en août 2024, une "qualité d’eau brute insuffisante" et des contaminations "inacceptables" pour une eau minérale naturelle. Dans un courrier de mise en demeure adressé au directeur de l’usine de Vergèze, que la cellule investigation de Radio France a pu consulter, le préfet du Gard, Jérôme Bonet, écrit d’ailleurs sans ambiguïté : "La pureté originelle de la ressource n’a pas été préservée", estimant par conséquent que l’eau mise sur le marché est "non conforme en tant qu’eau minérale naturelle".

Pour sa défense, Nestlé avance que des filtres litigieux ont été, à la demande du préfet du Gard, remplacés par une autre technologie : "L’action de l’UFC-Que Choisir n’a aujourd’hui plus rien à voir avec son assignation : celle-ci concernait la technologie de microfiltration à 0,2 µm alors que le débat porte désormais sur une autre technologie dite à 0,45 µm". Mais pour Me Alexis Macchetto, avocat de l’UFC-Que Choisir : "Nestlé essaie de détourner l’attention : le problème ne tient pas à la taille des filtres, mais à leur usage. Ils servent à désinfecter une eau brute polluée, ce qui est strictement interdit. Résultat : les consommateurs achètent aujourd’hui des bouteilles de Perrier présentées comme des eaux minérales naturelles, alors qu’elles ne répondent plus à cette définition. L’entreprise n’a jamais prouvé que ces traitements étaient conformes à la réglementation, et n’a d’ailleurs jamais obtenu l’autorisation préfectorale pour les mettre en œuvre."

Des risques sanitaires connus

Parmi les autres arguments avancés par Nestlé pour tenter d'éviter l'arrêt au moins temporaire de la commercialisation de la marque Perrier, le groupe soutient également que l'UFC-Que Choisir ne dispose d'"aucune preuve ni d'aucun élément concret pour étayer" un risque de "dommage imminent pour les consommateurs". Pourtant, plusieurs éléments dévoilés par la cellule investigation de Radio France attestent bel et bien de l'existence d'un risque sanitaire. Ainsi, dès juillet 2022, dans un rapport confidentiel remis au gouvernement, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) écrivait qu'il "ne serait pas prudent de conclure à la parfaite maîtrise du risque sanitaire".

Début 2023, le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon lui-même, recommandait déjà de suspendre l'exploitation des forages, "en raison de risques sanitaires et réglementaires". D'après les informations de la cellule investigation de Radio France, cette préconisation avait alors été reprise et soutenue par le ministère de la Santé auprès du cabinet de la Première ministre d'alors, Elisabeth Borne.

Extraits de la note adressée au cabinet d’Elisabeth Borne. (DR)
Extraits de la note adressée au cabinet d’Elisabeth Borne. (DR)

Pour sa défense, Nestlé affirme également qu'"aucune administration spécialisée ou autorité n'a jamais considéré qu'il existait le moindre risque avec les produits Perrier ni, a fortiori, qu'il faudrait arrêter la commercialisation des produits Perrier, comme l'UFC-Que choisir le réclame aujourd'hui". Là encore, cet argument est contredit par plusieurs documents officiels. Ainsi, l’ARS Occitanie pointait dans son rapport d’août 2024, dévoilé par la cellule investigation de Radio France et Le Monde "le caractère envisageable d'un arrêt de la production" de Perrier, invitant même la société Nestlé Waters à "s'interroger stratégiquement sur un autre usage alimentaire possible", dans des "conditions qui apporteraient des garanties de sécurité sanitaire supplémentaires indispensables". 

Des contaminations persistantes

La multinationale affirme aussi que "de janvier à avril 2025, aucune bactérie pathogène n'a été identifiée, confortant la sécurité sanitaire et la pureté des eaux concernées". Un fait contredit - là encore - par un épisode difficile à ignorer : au printemps dernier, la cellule investigation de RF avait en effet révélé que près de 300 000 bouteilles de Perrier ont dû être détruites, après une contamination de ces dernières par des bactéries pathogènes de l'intestin.

Pour Nestlé, la destruction des lots de bouteilles contaminées à la suite de tests menés dans l'usine serait la preuve que "les contrôles fonctionnent". Une interprétation pour le moins optimiste, la réglementation exigeant une pureté originelle de la ressource, et non la mise au rebut répétée et répétitive de lots impropres à la consommation.  

Autre point central de la défense de Nestlé : l'entreprise affirme avoir retiré de ses usines dès le mois d'août 2023 des filtres à charbon et des lampes UV pour les remplacer par un système de microfiltration, présenté comme une solution conforme. Mais cette version ne résiste pas à l'examen des faits. Comme le prouve un rapport d'inspection de l'usine Perrier, mené en novembre 2022, consulté par la cellule investigation de Radio France : la microfiltration était en effet déjà en place, en complément des autres traitements. Dès 2022, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) soulignait d’ailleurs que la microfiltration pouvait constituer une simple "fausse sécurisation" de la ressource, le retrait des autres filtres étant "de nature à engendrer un risque sanitaire".

Et ce, alors que, selon l'avocat de l'UFC-Que Choisir : "au début du mois de juillet dernier, Nestlé a remplacé, sans y être d'ailleurs autorisée par une décision préfectorale, la microfiltration à 0,2 µm par celle à 0,45 µm, la sécurisation de la qualité des eaux recherchée au nom de la "sécurité alimentaire" s'est naturellement encore dégradée".

Une communication sous la contrainte

En mai dernier, à la suite de la mise en demeure de la préfecture du Gard, Nestlé a été contrainte de lancer une campagne d'information auprès des consommateurs, pour informer les consommateurs de la non-conformité de ses produits. Un "plan d’information" élaboré avec la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ayant abouti à la publication de messages dans la presse nationale et dans plus de 6000 points de vente, précisant que les bouteilles de Perrier "comportent la dénomination Eau minérale naturelle alors qu’elles sont susceptibles de ne pas en constituer."

Extrait de la lettre de Jérôme Bonet (en photo), préfet du Gard, adressée au directeur du site Perrier de Vergèze. (MIKAEL ANISSET / MAXPPP)
Extrait de la lettre de Jérôme Bonet (en photo), préfet du Gard, adressée au directeur du site Perrier de Vergèze. (MIKAEL ANISSET / MAXPPP)

Cette décision a quoi qu'il en soit contraint l'entreprise à mettre en place, sous le pilotage de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), une campagne d'information auprès des consommateurs : des messages publiés dans la presse nationale et affichés dans plus de 6 000 points de vente, précisant que les bouteilles de Perrier "comportent la dénomination 'eau minérale naturelle' alors qu'elles sont susceptibles de ne pas en contenir."

Capture d’écran de la page d’accueil du site de Perrier. (DR)
Capture d’écran de la page d’accueil du site de Perrier. (DR)

Selon Nestlé, "les consommateurs sont ainsi pleinement informés de la situation." Mais pour l’avocat de l’UFC-Que Choisir, "cette communication est plutôt un aveu, et elle ne permet pas de garantir que chaque consommateur ait été réellement informé de la tromperie mise en place, alors que 78 millions de bouteilles sont actuellement en circulation".

"Tout semble indiquer que les eaux exploitées à Vergèze sont polluées, et que le système de filtration en place ne garantit pas l’innocuité des produits, poursuit Me Alexis Macchetto. L’existence d’un risque sanitaire a été souligné par de nombreuses administrations. Nous ne devons pas attendre une affaire Perrier comparable à celle survenue en Espagne en 2016, où plus de 4 000 personnes avaient été rendues malades par une eau en bouteille contaminée."


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