Censure partielle de la loi Duplomb : trois questions qui se posent après la décision du Conseil constitutionnel

Les Sages estiment que la réintroduction de l'acétamipride est contraire à la Charte de l'environnement, un document de 2004 à valeur constitutionnelle.

Article rédigé par Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Une opposante à la loi Duplomb devant le Conseil constitutionnel, le 7 août 2025, à Paris. (THOMAS SAMSON / AFP)
Une opposante à la loi Duplomb devant le Conseil constitutionnel, le 7 août 2025, à Paris. (THOMAS SAMSON / AFP)

La décision a tout d'une déflagration, notamment dans le monde agricole. Le Conseil constitutionnel a censuré jeudi 7 août la réintroduction sous conditions de l'acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, interdit en France (sauf dérogations exceptionnelles) depuis 2018. C'était la disposition la plus contestée de la loi Duplomb, du nom du sénateur qui a porté le texte jusqu'à son adoption définitive par le Parlement, le 8 juillet. Franceinfo tente de répondre aux questions qui se posent après ce coup de théâtre.

Comment le Conseil constitutionnel justifie-t-il sa décision ?

Dans sa décision portant sur l'ensemble de la loi Duplomb, publiée sur son site jeudi, le Conseil constitutionnel fait référence à 42 reprises à la Charte de l'environnement. Ce texte intégré en 2005 au corpus constitutionnel français affirme dans ses deux premiers articles que "chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé" et que "toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement". "Le Conseil constitutionnel juge de façon constante que l'ensemble des droits et devoirs qu'elle [la charte] définit s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives", insistent les Sages dans leur communiqué de presse

Concrètement, le Conseil constitutionnel a estimé que "faute d'encadrement suffisant", la réintroduction de l'acétamipride, prévue dans l'article 2 du texte, était contraire à la Charte de l'environnement. Les dérogations contenues dans la loi Duplomb auraient été instaurées "pour toutes les filières agricoles, sans les limiter à celles pour lesquelles le législateur aurait identifié une menace particulière dont la gravité compromettrait la production", n'auraient pas été "accordées à titre transitoire pour une période déterminée", et auraient été "décidée[s] pour tous types d'usage et de traitement y compris ceux qui, recourant à la pulvérisation, présentent des risques élevés de dispersion des substances"

Est-il courant que les juges constitutionnels s'appuient sur la Charte de l'environnement ?

"C'est très rare", assure Bertrand-Léo Combrade, spécialiste en droit constitutionnel, alors que le texte est en vigueur depuis plus de vingt ans. "Le contentieux constitutionnel environnemental est assez 'discret' en ce sens", analyse auprès de franceinfo son confrère Thibaud Mulier. "On a une soixantaine de décisions en lien avec la Charte de l'environnement, alors qu'elle date de 2005. C'est peu."

De plus, la censure de ce fameux article 2 est seulement la 14e censure sur le fondement de la Charte, "dont 11 sur des articles formels ou procéduraux", précise Thibaud Mulier, qui y voit "une petite avancée".

Que va-t-il se passer désormais ?

Emmanuel Macron a déclaré jeudi avoir "pris note" de la décision du Conseil constitutionnel, précisant qu'il allait promulguer la loi Duplomb "dans les meilleurs délais". Le chef de l'Etat a techniquement un peu moins de quinze jours pour le faire. "Dans la publication au Journal officiel, explique Thibaud Mulier, il y aura une référence à la décision du Conseil constitutionnel qui précisera les motifs" pour lesquels l'article 2 n'y figure pas.

Mais les défenseurs de la loi Duplomb entendent bien remettre la réintroduction de l'acétamipride sur la table. Ils vont utiliser des "instruments politiques et non juridictionnels", estime Bertrand-Léo Combrade. "J'attends la promulgation sans délai de cette loi avant de reprendre le travail législatif dès la rentrée toujours dans cet objectif, désormais validé, de lever les contraintes qui pèsent sur l'agriculture et nos agriculteurs", a réagi auprès de France Télévisions Laurent Duplomb, le sénateur LR à l'origine de la proposition de loi. Interrogé par l'AFP, Jérôme Despey, vice-président de la FNSEA, appelle Emmanuel Macron et François Bayrou à "trouver un cadre législatif" pour concrétiser leurs promesses aux agriculteurs, en dénonçant un "manque de précisions" dans l'écriture de loi.

"On peut émettre l'hypothèse que si cet article était réécrit, avec plus d'encadrements, une telle dérogation pourrait s'envisager. Le Conseil constitutionnel précise bien 'en permettant de déroger dans de telles conditions'. On peut supposer que si ces conditions étaient revues, plus encadrées par le législateur, ça passerait", anticipe Thibaud Mulier. "Si le parlementaire suit cette ligne directrice, ça peut lui porter chance. Et si le Conseil constitutionnel dit 'non' une seconde fois, il accroit le risque d'être accusé de mener un 'gouvernement des juges'", développe Bertrand-Léo Combrade.

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