Reportage "L'ensemble de l'écosystème s'est écroulé" : comment Mayotte tente de reconstruire (aussi) sa biodiversité, six mois après le cyclone Chido

Article rédigé par Robin Prudent - envoyé spécial à Mayotte
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Nassim Soiyffoudine et Alicia Sedani à Mayotte, le 27 mai 2025. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)
Nassim Soiyffoudine et Alicia Sedani à Mayotte, le 27 mai 2025. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Les associations environnementales de l'île sont à pied d'œuvre pour nettoyer et reboiser les espaces naturels. Mais l'arrivée de la saison sèche et le risque d'une nouvelle crise de l'eau et d'incendies massifs inquiètent les habitants.

L'équipe avance à petits pas entre les hautes herbes et les lianes qui bordent le cours d'eau de la Gouloué, à Mayotte. En tête, Djalalidine ouvre la voie à la machette, suivi par Alicia, qui tient fermement sa bêche. Derrière, Nassim porte une caisse remplie de jeunes pousses. Leur mission du jour : planter de nouveaux arbres, près de six mois après le passage dévastateur de Chido qui a détruit une bonne partie de la forêt environnante.

"On plante un arbre tous les mètres, en essayant de varier les espèces", décrit Alicia Sedani, chargée de projet au sein de l'association des Naturalistes de Mayotte. "Cela va protéger le cours d'eau, limiter l'érosion et faire de l'ombre pour favoriser la biodiversité", explique la jeune femme. L'équipe s'exécute, à quelques pas du tronc mort d'un grand manguier déraciné par le cyclone. Dans quelques années, un nouvel arbre prendra sa place pour faire revivre l'écosystème.

"Tous les arbres sont à terre"

Alors que la saison des pluies s'achève à Mayotte en cette fin mai, la nature semble avoir déjà retrouvé sa luxuriante santé d'antan. Au bord des routes, une végétation dense et verte s'épanouit à nouveau. Mais les apparences sont trompeuses. "C'est une végétation temporaire, elle va disparaître très bientôt avec la saison sèche", prévient Manrifa Moustoifa Ali, responsable de l'antenne océan Indien du Comité français de l'union internationale pour la conservation de la nature (UICN). 

"Depuis le cyclone, l'ensemble de l'écosystème s'est écroulé. Tout a été balayé, détruit."

Manrifa Moustoifa Ali, responsable de l’antenne Océan Indien de l'UICN

à franceinfo

En parcourant l'île, dans les mois qui ont suivi Chido, les spécialistes ont pu faire le terrible état des lieux de la biodiversité mahoraise. "L'ensemble de l'île a été très fortement touché, on a des zones dans lesquelles tous les arbres sont à terre. Du côté marin, il y a une accentuation du blanchiment des coraux et un envasement du lagon beaucoup plus important que d'habitude", complète Manrifa Moustoifa Ali. Les animaux sont aussi touchés, à l'image des makis, les lémuriens emblématiques de l'île dont les populations sont dispersées dans les villes, faute d'habitat naturel. "Pour les oiseaux, quasiment l'ensemble des nids ont été détruits", conclut le spécialiste.

L'appel des associations

Devant l'hécatombe, les associations et les ONG environnementales se sont regroupées pour tirer la sonnette d'alarme. "Les premières analyses, croisant observations de terrain et données satellitaires, confirment une perte de canopée massive et des zones entières défoliées avec de nombreux arbres déracinés", écrivent-elles dans un rapport publié en mai. "Cette situation crée un risque immédiat d'invasions biologiques, de déstabilisation des sols et d'appropriations illégales." 

Un forêt sur Grande-Terre, à Mayotte, le 26 mai 2025. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)
Un forêt sur Grande-Terre, à Mayotte, le 26 mai 2025. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Elles demandent aux autorités d'inclure la forêt dans les principaux documents politiques et stratégiques de la reconstruction, d'agir sur le terrain et de mobiliser la société. Et glissent au passage : "Nous insistons sur le fait qu'il serait bon que les associations mahoraises soient reçues et davantage écoutées tant au niveau des instances locales que des instances nationales lors [des] visites dans l'île."

Ces associations sont déjà mobilisées sur le terrain, avec des actions organisées partout sur l'archipel. Les Naturalistes de Mayotte ont ainsi commencé à planter 4 000 arbres. L'initiative, lancée avant le passage du cyclone, a été permise par l'émission "Aux arbres citoyens !" diffusée par France Télévisions. "Ce projet a encore plus d'importance après Chido parce que l'écosystème est plus dégradé", note Alicia Sedani en creusant la terre. Les ravages du cyclone ont également lancé une nouvelle dynamique dans la population. "Les appels à bénévoles marchent très bien", se félicite-t-elle.

Toute l'île mobilisée

Cette large mobilisation s'est concrétisée, mardi 27 mai, autour de la retenue collinaire de Combani, dans le centre de Grande-Terre. Ce jour-là, l'association Nayma a rassemblé plusieurs dizaines d'habitants pour nettoyer les dégâts infligés à ce château d'eau naturel de Mayotte, qui subit une crise aiguë de la ressource depuis plusieurs années. "L'opération consiste à couper les troncs d'arbres fragilisés au bord du lac, sortir les branches de l'eau, les remonter, les trier et les déposer au bord du chemin", explique l'encadrant technique, Mchindra Moussa, devant une assemblée attentive. "Le syndicat des eaux nous a appelés pour que les arbres ne bloquent pas les canalisations", complète-t-il, en listant les personnes présentes.

Le long du lac, des tas de branchages ont déjà été mis de côté ces dernières semaines, mais l'opération est loin d'être terminée. Armés de machettes, de tronçonneuses et de débroussailleuses, les jeunes en insertion se mettent au travail sous un soleil de plomb. "Depuis Chido, les rivières ne sont plus pareilles, il y a beaucoup de déchets. C'est important, c'est l'eau qu'on boit", note l'une des participantes. Comme beaucoup autour d'elle, la jeune femme possède une carte de séjour qui arrive bientôt à expiration et a bien des difficultés à trouver une formation d'agent territorial spécialisé des écoles maternelles malgré son bac passé l'année dernière.

Des habitantes de Mayotte mobilisées sur la réserve collinaire de Combani, à Mayotte, le 27 mai 2025. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)
Des habitantes de Mayotte mobilisées sur la réserve collinaire de Combani, à Mayotte, le 27 mai 2025. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

La plupart ont entendu parler du chantier sur internet. "C'est pour faire quelque chose, apprendre", explique une autre jeune femme, le visage couvert de m'dzinzano, un masque de beauté typique de l'île. "On a déjà ramassé des bouteilles et des canettes partout dans Mayotte", renchérit une autre. Des actions indispensables alors que l'île croule toujours sous les déchets. "Cela permet de préparer les actions de restauration, car nos déchêts dégradent les espaces naturels et sont nuisibles pour la biodiversité", assure Amélie Fauché, chargée de communication à Mayotte nature environnement.

Le risque d'embrasement

Une course contre la montre est engagée. Alors que la saison sèche arrive à Mayotte, l'état de la biodiversité et des réserves d'eau vont être scrutés à la loupe. "La bonne gestion des eaux de ruissellement et d'infiltration est très liée à la qualité du couvert naturel et constitue donc un enjeu majeur pour l'alimentation en eau de la population mahoraise", notent les associations dans leur rapport. L'enjeu est de taille, alors que des coupures d'eau sont toujours en place sur l'île et que la chaleur s'annonce encore plus insupportable cette année, en l'absence de végétation.

La menace vient aussi de l'activité humaine et notamment de la culture sur brûlis, pratiquée encore par certains à Mayotte malgré son interdiction formelle. "C'est une peste sur le territoire", souffle Manrifa Moustoifa Ali, qui craint que les incendies se multiplient dans les semaines à venir pour agrandir les surfaces agricoles en grignotant les forêts rasées par le cyclone. Il alerte : "Il suffit d'une petite allumette pour embraser l'île."

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