Crise climatique : pourquoi l'objectif de limiter la hausse des températures sous le seuil des +1,5°C nous donne des sueurs froides
Près de dix ans après la signature de l'accord de Paris, l'objectif initial acté dans ce texte nous glisse entre les doigts, estiment des scientifiques. Ils appellent à accélérer la baisse des émissions de gaz à effet de serre.
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Certains spécialistes aiment comparer le réchauffement climatique à de la fièvre. Si vous avez 37,5°C, vous allez bien. A 39°C, vous êtes malade. Si, sur le papier, 1,5°C ne semble pas faire une énorme différence, les conséquences d'une telle hausse s'avèrent déjà énormes pour nos organismes, comme pour notre atmosphère.
Depuis que l'humanité a entamé sa révolution industrielle, à la fin du XIXe siècle, les émissions de gaz à effet de serre issues de la combustion des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) ont fait bondir la température de notre planète. En 2024, la moyenne globale, calculée à partir des valeurs recensées partout dans le monde pendant une année, fait état d'une augmentation de plus de 1,5°C par rapport au temps des corsages et chapeaux haut de forme. Alors que 73 départements français sont en vigilance orange canicule, que les effets du dérèglement climatique perturbent la Coupe du monde des clubs aux Etats-Unis et que les habitants de Pékin suffoquent sous 40°C, franceinfo vous dit tout sur ce seuil aussi symbolique que scientifique de 1,5°C, capital pour la santé de la planète bleue.
D'où vient ce seuil ?
Tout commence avec la signature de l'accord de Paris, en décembre 2015. A la toute fin de la COP21, les pays du monde entier se mettent d'accord sur un objectif commun : "Conten[ir] l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels" et "poursuiv[re] l'action" en vue de limiter cette hausse "à 1,5°C". Ce seuil n'est pas choisi au hasard. Il est "entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques", continue le texte. En d'autres termes : jusqu'à ces niveaux de réchauffement, la science s'accorde à dire que l'humanité sera capable de s'adapter à la fonte des glaces, aux tempêtes ou encore aux sécheresses et canicules provoquées à travers le globe par la hausse des températures.
Pour les pays les plus exposés aux catastrophes liées au climat – et notamment les petits Etats insulaires menacés de disparition par la montée des eaux – ce chiffre se révèle un outil de communication à la hauteur du péril qui les guette : jusqu'à 1,5°C de réchauffement par rapport à l'ère préindustrielle, "ils resteront en vie". A 2°C ? Ils périront. Alors que les négociations portaient depuis plus de dix ans sur l'introduction d'un seuil fixé à +2°C, cette coalition de pays obtient, à la surprise générale, l'introduction de l'objectif de +1,5°C dans le texte final de l'accord de Paris.
Trois ans plus tard, en 2018, un rapport spécial du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) assoit la légitimité scientifique de ce seuil dont il détaille la faisabilité. Car limiter la hausse à +1,5°C par rapport à l'ère préindustrielle reste un objectif qualifié d'"ambitieux", qui appelle des politiques drastiques de réduction des gaz à effet de serre.
Où en sommes-nous en 2025 ?
Dix ans après, l'objectif initial nous glisse entre les doigts. Tout a commencé par des dépassements ponctuels, observés par les agences chargées de relever les températures à travers le globe, à grand renfort de satellites. Des "écarts" d'un jour, d'une semaine, d'un mois, etc. Depuis juillet 2023, seuls deux mois n'ont pas dépassé ou égalé le seuil des 1,5°C de réchauffement par rapport à l'ère préindustrielle, selon l'observatoire européen Copernicus. Juillet 2024 l'a frôlé (avec +1,48°C), tout comme mai 2025 (+1,4°C). Finalement, 2024 a décroché le titre peu glorieux de première année calendaire au-dessus du seuil fatidique.
Heureusement, il ne suffit pas de passer une ou deux années au-delà de cette limite pour enterrer l'ambition de l'accord de Paris. "Le seuil de 1,5 °C concerne le réchauffement à long terme, typiquement évalué sur vingt ans, et non le réchauffement annuel", rappelle l'Organisation météorologique internationale (OMM). "Cependant, chaque année où l'on atteint ou dépasse une température annuelle de +1,5°C rend plus difficile le respect du seuil à long terme, ce qui renforce l'urgence de limiter le réchauffement autant que possible."
Ainsi, pour le climatologue Peter Thorne de l'université de Maynooth (Irlande), la situation de ces derniers mois "est tout à fait conforme au fait que nous soyons proches de dépasser 1,5°C sur le long terme à la fin des années 2020 ou au début des années 2030", a-t-il déclaré à l'AFP en mai, en marge de la publication d'un rapport de l'OMM faisant état de prévisions peu réjouissantes. Pour l'agence de l'ONU, il y a de grandes chances (70% plus précisément) pour que ce seuil soit dépassé à court terme, non plus sur une année isolée, mais sur toute la période 2025-2029.
Que se passe-t-il quand on dépasse le seuil ?
Une hausse de 1,5°C de la température moyenne par rapport à la fin du XIXe siècle ne se manifeste pas d'une manière uniforme à travers le globe. D'ailleurs, certaines régions se réchauffent plus vite, comme les pôles et les zones continentales. La constante ? Au fur et à mesure que la température moyenne augmente, le pénible vire au dangereux et le dangereux bascule dans le létal. Depuis qu'est apparu l'objectif de l'accord de Paris, les climatologues expliquent ainsi que les conséquences de la hausse des températures ne se présentent pas sous la forme d'une rupture, mais comme "un continuum". "Pour éviter les catastrophes, +1,5°C, c'est mieux que +1,9°C, qui est mieux que 2°C, etc.", résumait en 2021 Christophe Cassou, du CNRS. "Chaque augmentation intensifiera des risques multiples et simultanés", expliquait en 2023 le Giec.
Selon un rapport d'experts publié en 2020 par la Commission européenne, dans un climat stabilisé à +1,5°C, environ 30 000 personnes mourront chaque année sur le continent, en raison de la chaleur, contre 2 750 ces dernières années. Une étude parue en 2017 assurait qu'à chaque hausse d'un degré, les rendements mondiaux de blé perdraient 6%. Pour le maïs, ce chiffre grimperait à 7,4%.
"Une canicule comme celle que la France a connue en juin 2019 a actuellement une chance sur 50 par an de se produire. A 1,5°C, ce sera 1 chance sur 10. A 2°C, une chance sur 4.", expliquait la géographe Magali Reghezza-Zitt en 2023 dans un document publié sur le site de l'Ecole normale supérieure de Lyon. Et la banquise de l'Arctique ? Il est déjà trop tard pour empêcher qu'elle ne disparaisse totalement en été, "mais nous pouvons encore sauver d'autres écosystèmes et d'autres piliers de notre climat", assure la glaciologue Heïdi Sevestre. A une condition : contenir la hausse des températures.
Que fait-on pour rectifier cette trajectoire ?
Pour y parvenir, les Etats sont invités à mettre en place des politiques de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Bien que l'ambition de 1,5°C date de la COP21, ce n'est qu'à la COP28, en 2023, que les pays du monde ont acté la nécessité pour y parvenir de "s'éloigner des énergies fossiles". Cette année-là, un rapport de l'Agence internationale de l'énergie confirmait que le développement du pétrole et du gaz est incompatible avec l'objectif de Paris.
Or, sur la dernière décennie, soit le temps écoulé depuis la signature de l'accord de Paris, les émissions de gaz à effet de serre issus des activités humaines qui reposent sur la combustion d'énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) ont atteint de nouveaux plafonds. Elles s'établissent autour de 53 milliards de tonnes équivalent CO2, selon les données publiées par la Commission européenne à partir de la base de données scientifiques Edgar.
A la COP30 prévue fin novembre, à Belém, au Brésil, "l'accent devrait porter sur les endroits et la manière de combler les écarts inévitables entre les ambitions politiques affichées par les pays et ce qui est nécessaire pour maintenir l'objectif de 1,5°C à portée de main", prévient le think tank E3G dans un billet de blog. En octobre 2024, le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) estimait que "sans action immédiate, le monde dépassera probablement bientôt 1,5°C de réchauffement et pourrait même atteindre une augmentation catastrophique de 2,6 à 3,1°C par rapport aux niveaux préindustriels d’ici la fin du siècle".
Depuis le XIXe siècle, la température moyenne de la Terre s'est réchauffée de 1,1°C. Les scientifiques ont établi avec certitude que cette hausse est due aux activités humaines, consommatrices d'énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). Ce réchauffement, inédit par sa rapidité, menace l'avenir de nos sociétés et la biodiversité. Mais des solutions – énergies renouvelables, sobriété, diminution de la consommation de viande – existent. Découvrez nos réponses à vos questions sur la crise climatique.
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