Plus de 60 000 morts liées à la chaleur en Europe en 2024 : "Ça devient un problème de santé publique", souligne Kévin Jean, épidémiologiste
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Invité du "11h/13h" mardi 23 septembre, l'épidémiologiste Kévin Jean commente les chiffres d'une étude sur les effets meurtriers de la chaleur, qui a tué plus de 60 000 personnes en Europe en 2024.
Près de 60 000 personnes sont mortes en Europe de causes en lien avec la chaleur, sur fond de réchauffement climatique, en 2024. Des chiffres édifiants, révélés ce lundi 22 septembre par une étude, qui viennent corroborer les constats alarmants de nombreux experts et de Santé publique France. Invité de Lucie Chaumette dans le "11h/13h" du mardi 23 septembre, l'épidémiologiste Kévin Jean commente ces données, rappelant que les canicules ne sont pas à prendre à la légère et que l'adaptation des villes et des logements s'impose.
Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.
Lucie Chaumette : Vous êtes épidémiologiste. Près de 60 000 morts en Europe en lien avec la chaleur sur fond de réchauffement climatique. On parle aujourd'hui d'un problème de santé publique, c'est ça qu'il faut dire ?
Kévin Jean : Oui, ça devient un problème de santé publique. Il faut changer cette vision qu'on a des canicules, qui sont quelque chose qui vient nous embêter pendant les vacances, qui nous empêche de sortir ou de suivre le programme. Non, des canicules, c'est quelque chose qui tue et qui tue de plus en plus.
Et comment on explique justement que ça tue, particulièrement dans ces moments de canicule ? Qu'est-ce qui se passe dans nos corps ? Pourquoi ça provoque la mort ?
Quand il fait chaud, très chaud, notre corps fait deux choses principalement. La première chose, c'est qu'il va commencer à pomper le sang pour l'envoyer vers la surface de la peau, histoire de rafraîchir, de sortir, d'évacuer de la chaleur interne vers l'extérieur. Ça fatigue beaucoup le cœur. C'est une grande demande cardiaque. Il va falloir ensuite oxygéner le cœur. C'est une demande respiratoire également. Et le deuxième mécanisme pour baisser la température, c'est la transpiration. La transpiration, quand elle s'évacue, elle emporte de la chaleur avec elle. Ça, ça va diminuer le volume circulant. Il y a des risques de déshydratation si on ne boit pas assez. Mais surtout, avec le volume circulant qui diminue, le sang devient plus visqueux, plus dur à pomper là aussi. Si on veut se représenter les choses, en fait, c'est un peu comme un ordinateur quand il surchauffe. L'ordinateur, quand il fait trop chaud, au bout d'un moment, il va commencer à ralentir un petit peu. Il fonctionne moins bien, vous allez l'entendre ventiler, il va faire du bruit. Enfin, il va ventiler beaucoup. Et puis, si ça continue de chauffer, il va commencer parfois à avoir des black-out. Donc ça, on connaît, ce sont des malaises, des coups de chaleur chez les êtres humains. Et puis, si ça continue, l'ordinateur va finir par lâcher. On ne sait pas trop ce qu'il lâche, c'est le premier composant le plus fragilisé qui va lâcher. Et pour les êtres humains, c'est la même chose. Si on a des pathologies chroniques existantes, des pathologies cardiaques ou respiratoires, c'est ça qui va malheureusement lâcher en premier.
C'est quand même assez fou aujourd'hui de se dire qu'il y a près de 63 000 personnes qui sont décédées en Europe en 2024 à cause, en partie, de la chaleur dans un contexte de réchauffement climatique dont on connaît les conséquences aussi sur la question des canicules. Ca veut notamment dire que ces chiffres-là, il y a un risque qu'ils soient toujours plus importants au fil des années qui passent, qu'on ait toujours plus de morts en lien avec la chaleur chaque été ?
C'est indéniable. Si on ne fait rien pour l'adaptation face aux changements climatiques, et pour l'instant, on n'a pas entamé ce virage en France, on gère les canicules comme on gère une crise, mais on n'a pas entamé le volet de l'adaptation de nos bâtiments, de l'architecture de nos villes. Tant que ce sera le cas et tant qu'on émettra des gaz à effet de serre, alors oui, le problème va empirer, on aura des canicules plus fréquentes, plus intenses, plus longues, c'est quelque chose d'inévitable. Encore une fois, tant qu'on n'a pas, d'une part, agi sur la source du problème, les émissions de gaz à effet de serre, et d'autre part, tant qu'on n'a pas mis en place de vraies solutions d'adaptation.
"Les économies faites sur la rénovation thermique du logement, on va les repayer en frais de santé pour la société"
Sur la question de l'adaptation, parce que les émissions de gaz à effet de serre, c'est très clair, il faut les baisser. La question des moyens d'y arriver et des secteurs visés, ce sont des décisions politiques. La question de l'adaptation pour ne pas gérer ça comme des crises, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'il faut un plan sur plusieurs années pour faire face à des moments de canicule, par exemple, ou de façon générale à des moments où la température est plus importante qu'il y a quelques années ?
De manière générale, il faut penser les deux de manière conjointe, l'adaptation et l'atténuation. La plupart des solutions permettent de viser ces deux objectifs. Il ne faut pas penser l'un sans l'autre. L'atténuation, ça veut dire quoi ? Ça signifie repenser nos villes. Les verdissements, on sait que les espaces verts atténuent l'effet d'îlots de chaleur urbains. Il faut des plans de rénovation thermique des logements pour plus de confort thermique.
MaPrimeRénov, par exemple, qui est un peu branlante depuis quelques mois, ce n'est pas une bonne nouvelle...
Ce n'est pas une bonne nouvelle et on sait que les économies faites sur la rénovation thermique du logement, quelque part, on va les repayer en frais de santé pour la société, que ce soit pendant les hivers froids qui causent des maladies ou que ce soit pendant les étés trop chauds où on a ce phénomène de bouilloire thermique.
On a la question des villes. Est-ce qu'il y a aussi une question d'aménagement du temps des uns et des autres dans des moments de forte chaleur ? Par exemple, on dit souvent qu'on ne fait pas son footing, mais est-ce qu'il faut repenser le travail, la mobilité dans ces moments-là spécifiquement pour éviter de nous fragiliser, de fragiliser nos corps ?
C'est vrai qu'il y a des choses à faire à l'échelle collective dans l'organisation de nos sociétés. Sur le temps, effectivement, on sait que sur certaines tâches professionnelles ou certains métiers, il va falloir repenser les calendriers. Ça pose de grands problèmes dans certains secteurs. Si on pense à l'agriculture, à la viticulture, ce sont des périodes, les canicules, où on a des tâches agricoles qui sont les plus essentielles, en s'évadant, évidemment, aux moissons également. Donc il va falloir repenser ça. Mais là aussi, on a un potentiel de changement, de décalage des horaires, par exemple, qui est assez limité. On ne pourra pas décaler à mesure que le climat va se réchauffer. Et d'autre part, il faut bien avoir conscience aussi que là, on transfère des risques sur d'autres risques. Des risques de travail de nuit, des impacts sur les vies de famille. Donc on a ce travail collectivement à effectuer et à repenser à une échelle collective.
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