"Le système actuel ne marche pas, il faut le remplacer" : comment fonctionne le jugement majoritaire, cette méthode d'élection alternative ?

Article rédigé par franceinfo - Aglaée Marchand
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Temps de lecture : 7min
Le dépouillement d'une urne pour compter les votes lors d'une élection. (SEBASTIEN BOZON / AFP)
Le dépouillement d'une urne pour compter les votes lors d'une élection. (SEBASTIEN BOZON / AFP)

À Angers, le jugement majoritaire a été utilisé par la primaire de la gauche afin d’élire un candidat unique pour prétendre à la mairie en 2026. Une méthode de vote présentée par l’association Mieux Voter comme "la plus fiable pour mesurer l’opinion".

À Angers, la gauche sera menée aux municipales de 2026 par Romain Laveau, un candidat unique désigné au terme d'une primaire citoyenne reposant sur le jugement majoritaire. Les votants ont répondu, le 28 juin dernier, à la question suivante : "Comment évaluez-vous ces candidat·es pour porter l'alternative sociale, écologiste et progressiste à Angers et gagner les élections municipales ?" Pour chacun des cinq candidats, les adhérents du mouvement de gauche Demain Angers ont attribué une mention parmi les six proposées, comme une note, allant de "Excellent" à "Insuffisant(e)". Au terme de cette consultation, Romain Laveau s'est donc imposé, avec plus de 35% de "Excellent" et 19% de "Très bien".

Mais comment fonctionne ce jugement majoritaire, qui veut se poser en alternative au système électoral qu'on connaît aujourd'hui ?

Pallier les lacunes du système électoral actuel

Le jugement majoritaire repose sur l'évaluation de tous les prétendants à l’élection, à partir d'une échelle de valeur "située dans le langage commun", explique Rida Laraki, chercheur au CNRS qui a imaginé cette méthode avec Michel Balinksi. Plutôt que de voter pour un seul candidat, les votants ont à leur disposition six mentions, leur permettant d'exprimer leur appréciation des candidats en lice : "Excellent", "Très Bien", "Bien", "Assez bien", "Passable" et "Insuffisant(e)". Une même mention peut être utilisée pour plusieurs candidats. Une septième mention, "À rejeter", peut être sélectionnée en cas d'absence d'avis sur un candidat.

Dans un vote au scrutin uninominal, le vainqueur de l'élection est le candidat remportant le plus de voix. Avec le jugement majoritaire, le résultat dépend du principe de la médiane. Concrètement, il s'agit d'additionner le nombre de chaque mention obtenue par le candidat et d'observer la mention qui le fait basculer au-dessus de la barre des 50%. "Supposons que 51% des gens donnent la mention 'Très Bien' à un candidat et 49% lui donnent 'Passable'. La médiane, donc la mention majoritaire, ce serait 'Très Bien'. Même si 49 % des personnes ont rejeté le candidat. Si 51% lui donnent 'Très Bien', il a 'Très Bien'", décortique le chercheur.

Cette méthode de vote a été pensée comme une réponse aux lacunes du scrutin uninominal. Entre autres : "Le vote utile, le vote blanc et l’abstention", énumère Rida Laraki. "Le système actuel ne marche pas, il faut le remplacer", tranche-t-il. 

Avec ce système, Retailleau en tête pour 2027

L'association Mieux Voter a proposé une mise en application du jugement majoritaire des personnalités politiques qui pourraient prétendre à la présidence de la République en 2027, à partir d'un baromètre politique établi par l'institut Ipsos et la Tribune du Dimanche. Prenant uniquement en compte les mentions positives, le classement initial place Marine Le Pen, Edouard Philippe et Jordan Bardella sur les trois premières marches du podium.

En incorporant les nuances d'adhésion ou de rejet exprimées, Mieux Voter propose une évaluation au jugement majoritaire qui remet complètement en cause le classement initial. Dans ce cas de figure, Bruno Retailleau prend la tête du classement, suivi par Edouard Philippe et David Lisnard, qui ne figurait qu'à la 21e place du classement par mentions positives. Marine Le Pen, quant à elle, dégringole à la 15e place. Pour ce qui est de Jean-Luc Mélenchon et d'Éric Zemmour, respectivement 14e et 15e au classement par approbation, ils chutent aux deux dernières places du classement par jugement majoritaire, rejoignant les 20e et 21e places.

Les résultats d'un sondage en se basant sur le jugement majoritaire, une évaluation faite par l'association Mieux Voter. (MIEUX VOTER)
Les résultats d'un sondage en se basant sur le jugement majoritaire, une évaluation faite par l'association Mieux Voter. (MIEUX VOTER)

De quoi accréditer les critiques à l'égard de ce système de vote, qui l'accusent de privilégier des candidats plus nuancés. Des attaques repoussées par Rida Laraki, qui dénonce des candidats "qui n'ont pas beaucoup étudié la question mathématique et confondent moyenne et médiane", rappelant "qu'avec la mention majoritaire et la médiane, si la majorité aime un candidat, même si les autres le détestent, il peut être élu". Permettre aux votants de donner leur avis sur tous les candidats, y compris s'ils décident "de rejeter tout le monde", aboutirait "à augmenter la participation et à rendre les électeurs plus enclins à s'exprimer et à voter", complète-t-il.

Une méthode déjà utilisée

Ce mode de scrutin est parfois utilisé dans certaines instances politiques françaises : pour la Primaire populaire de 2022 à gauche, la Convention citoyenne pour le climat, l'évaluation des budgets participatifs municipaux à Paris ou encore La République en Marche en interne pour ses statuts en 2019. En 2022, la Primaire populaire pensée pour donner naissance à une candidature commune à gauche aurait justement pu ouvrir la voie à un recours plus systématique au jugement majoritaire. La participation à cette primaire (environ 400 000 votants) est, pour Rida Laraki, la preuve "que les électeurs ont largement apprécié utiliser le jugement majoritaire et pouvoir s'exprimer de cette manière". Christiane Taubira était arrivée en tête, avec la mention "Bien +", devant Yannick Jadot (Assez bien +) et Jean-Luc Mélenchon (Assez bien -). 

Des détracteurs de tous bords politiques étaient pourtant rapidement montés au créneau, taclant un système "ridicule", à l'instar de Pierre-Henri Dumont, le secrétaire général adjoint des Républicains, sur X (ex-Twitter), ou affirmant qu'"une note n’est pas un vote", selon François Hollande. Le chercheur balaie de la main ces objections qui traduiraient "le refus des hommes politiques en place de voir le système changer" et "la peur d'être noté", ou pire "d'être élu avec la mention "Insuffisant" ou "Passable" seulement".

Malgré ces critiques, plusieurs voix à gauche plaident pour un nouveau recours au jugement majoritaire pour une éventuelle primaire commune pour la présidentielle de 2027. La députée ex-LFI Clémentine Autain a avancé l'idée d'y recourir, dans la Tribune Dimanche, afin de "combler les effets pervers d'une primaire classique, qui a tendance à accentuer les clivages plutôt que de valoriser la cohérence d'ensemble". Pour Rida Laraki, c'est en sensibilisant les électeurs au jugement majoritaire que le système parviendra à s'imposer à l'échelle nationale.

"Une fois que les gens s'habituent à utiliser une méthode de vote, qu'ils l'utilisent pour le maire par exemple, et qu'ils voient qu'elle donne les résultats qu'ils pensent être les bons dans les problèmes de leur vie quotidienne, alors petit à petit, ils vont dire : on veut ce système."

Rida Laraki, chercheur au CNRS

à franceinfo

Ce mode de scrutin sera-t-il un jour adopté pour l'élection présidentielle ? Le chercheur, en tout cas, veut y croire : "Je suis certain que si les électeurs le veulent, alors un jour, ça va marcher, parce que les élus devront s'y plier. Dans 20 ans, c'est tout à fait possible."

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