: Reportage "Un service public qui ferme ne rouvre jamais" : dans le Jura, élus et habitants mobilisés face à la possible disparition de la ligne historique des Hirondelles
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Cette ligne de train centenaire, qui dessert le territoire montagneux et isolé du Haut-Jura, attire les touristes mais joue avant tout un rôle social et pratique pour les habitants et les étudiants du coin. La SNCF demande 90 millions d'euros de travaux à la région, qui en appelle à l'Etat.
Pour certains, elle tire son nom de la forme des nombreux viaducs. D'autres citent un conte local qui veut que les habitants confondaient les ouvriers attelés à construire le chemin de fer, à flanc de montagne, avec les oiseaux migrateurs. C'est à peu près la version de notre guide, Sylvie, qui raconte en cette mi-mai l'histoire de la mythique ligne des Hirondelles à des touristes, à mesure que le petit train serpente doucement à travers le Jura, ses plaines, ses forêts de sapins, ses monts et ses vaches montbéliardes, dont le lait sert à fabriquer les fameux fromages de la région.
Avec le temps et les histoires qui se transmettent, la légende de cette ligne de train centenaire, qui relie Dole à Saint-Claude, a fait du chemin. Aujourd'hui, le tronçon de 73 kilomètres qui dessert neuf gares à travers le territoire montagneux du Haut-Jura, entre Andelot et Saint-Claude, est désormais menacé de suspension d'ici 2026. La petite ligne TER n'a pas été refaite depuis plus d'un demi-siècle et elle nécessite aujourd'hui 90 millions d'euros de travaux pour rénover une partie des voies vétustes, ainsi que les 36 tunnels et les 22 viaducs sur lesquels circule le train, selon la SNCF.
La Région Bourgogne-Franche-Comté, dirigée par le Parti socialiste (PS), est l'unique gestionnaire de l'entretien de la ligne et elle se dit incapable de financer seule de tels investissements. Elle a d'ailleurs lancé une pétition pour appeler à la mobilisation et en appelle à l'Etat pour rénover cette ligne de desserte fine qui fait partie du patrimoine de ce territoire.
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"La disparition de cette ligne aurait des conséquences pour toutes les localités desservies. Ce serait enclencher une spirale de déclin pour toute la population", alerte Patrick Réal, vice-président de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut) de la région et ardent défenseur du train. L'association organise, samedi 31 mai, une manifestation pour le "maintien et la modernisation" de la ligne. "Elle joue avant tout un rôle d'irrigation du territoire en zone rurale, mais elle permet aussi de pouvoir rejoindre Paris, voire d'y faire l'aller-retour, même si l'offre s'est progressivement dégradée. Et c'est aussi une ligne touristique dont la notoriété, en France et à l'étranger, n'est plus à démontrer."
L'hiver, et surtout l'été, elle attire de nombreux touristes curieux de découvrir ce tronçon à voie unique où les vues panoramiques font le bonheur des photographes. De Champagnole à Saint-Claude, en passant par Morbier et Morez, la ligne, qui transportait autrefois des marchandises, raconte aussi l'histoire d'une vallée industrielle qui s'est développée avec le train.
"Le vendredi et le dimanche soir, la ligne est remplie de jeunes"
Mais la ligne des Hirondelles joue avant tout un rôle social et pratique pour les habitants et les étudiants de la vallée de la Bienne. A Morez, l'école d'optique reconnue dans la France entière accueille environ 800 élèves, dont près de 200 internes qui dépendent exclusivement de la ligne pour venir de Belfort, Vesoul ou Chambéry. Une fermeture aurait donc des conséquences directes sur l'attractivité de l'établissement.
Elle compliquerait aussi les déplacements des lycéens et des jeunes des alentours qui étudient à Besançon ou Dijon, les deux grandes villes à proximité. "Le vendredi et le dimanche soir, la ligne est remplie de jeunes", expliquent Jeanne et Olga, qui étudient la semaine en Staps à Besançon et rentrent le week-end au Bois-d'Amont, un petit village sur les hauteurs de Morez, à la frontière avec la Suisse. "Prendre le train, c'est plus écologique, plus sûr niveau sécurité et moins cher", disent-elles. Un trajet Morez-Besançon leur coûte 10 euros pour deux heures de train.
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Aller en voiture à Besançon leur coûterait bien plus cher et ne rassurerait pas leurs parents, bien contents de les savoir dans le train pendant l'hiver. "C'est plus compliqué ici qu'ailleurs pour les cars et les transports scolaires", quand la neige et le verglas rendent les déplacements plus délicats, rappelle Lara*, contrôleuse sur la ligne des Hirondelles, dont elle parle avec passion. "Ici, ce n'est pas comme sur une grosse ligne. On connaît les gens, on a nos habitués et on peut discuter avec eux", souligne celle qui voit aussi passer des travailleurs ou des personnes âgées qui utilisent le train pour un rendez-vous médical.
Un premier tronçon supprimé en 2017
Avec le temps, tous ont dû prendre leurs dispositions. La vétusté de la ligne a réduit progressivement la vitesse du train, qui tourne au diesel et circule souvent avec une seule voiture. L'offre s'est aussi dégradée : moins de TER, des correspondances rallongées ou à effectuer en car, et même une portion supprimée. Jusqu'en 2017, la ligne des Hirondelles continuait jusqu'à Oyonnax, et faisait le trait d'union entre les régions Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes. Le tronçon Saint-Claude-Oyonnax, long de 31 kilomètres, était trop cher et trop vétuste pour le rénover, selon les différents acteurs en charge du dossier.
Le maintien de la ligne historique, mais aussi la réhabilitation de la partie sud, est un combat de longue date de Jean-Louis Millet, le maire de Saint-Claude, une petite ville qui doit sa renommée à la pipe et au diamant. Le maire divers droite, proche de Philippe de Villiers, et son prédécesseur, le communiste Francis Lahaut, font bloc sur ce dossier, passant outre les clivages politiques. "C'est notre combat commun pour l'intérêt de notre territoire", affirment les deux hommes, qui se partagent le fauteuil de maire en alternance depuis 1995.
Ces dernières années, ils ont vu les mauvaises nouvelles s'accumuler : l'arrêt du tronçon Saint-Claude-Oyonnax, puis la fermeture de la maternité et d'une partie des activités de l'hôpital, en 2018, et enfin la liquidation de la fonderie MBF Aluminium, qui employait 260 salariés, trois ans plus tard.
"Cette ligne est vitale pour tout le monde"
La population de cette petite ville industrielle – qui a aussi souffert du déclin de la production des pipes et du diamant français depuis 50 ans – fond inexorablement depuis des années : l'Insee a comptabilisé 8 727 habitants lors de son dernier recensement en 2021, contre plus de 11 000 en 2010 et 13 500 en 1975. "Cette ligne est vitale pour tout le monde", insiste le maire, qui tente de convaincre l'Etat, la Région et même le Département, qui n'a pourtant aucune compétence dans le domaine ferroviaire, de mettre la main à la poche. Il pointe aussi une contradiction : "On ne parle que de mobilité douce, on en a une qui est extraordinaire, et on veut la fermer."
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Pour Willy Bourgeois, vice-président du conseil régional chargé de la formation et de la communication, "la Région n'a plus les moyens de sauver cette ligne seule. On peut en faire plus, mais nous demandons à l'Etat de nous accompagner". Certains craignent que la ligne devienne seulement une attraction touristique, faute de rentabilité. "Les Jurassiens sont persuadés de l'utilité du train sur ce territoire, cette ligne a une dimension économique et sociale. C'est un service public : si on l'arrête, elle ne rouvrira jamais", prévient-il. Sous ses yeux, un train quitte la gare de Champagnole avec une vingtaine de lycéens à son bord.
En Bourgogne-Franche-Comté, la SNCF a chiffré les investissements nécessaires d'ici dix ans entre 400 et 500 millions d'euros pour entretenir les petites lignes ferroviaires, notamment en raison des aléas climatiques qui se multiplient. La Région attend désormais le résultat d'une mission commandée par le ministère des Transports pour décider de la suite des opérations.
* Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressée
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