"Shein doit trouver des leviers pour gagner en respectabilité" : pourquoi le géant chinois de la fast-fashion a décidé de s'implanter en France
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La plateforme de vente en ligne de vêtements à bas coût a annoncé mercredi l'ouverture à venir de six magasins physiques et pérennes en France. Une décision qui s'inscrit dans une stratégie agressive de normalisation, vivement dénoncée par la filière textile.
C'est une première mondiale pour la marque asiatique qui n'en finit plus de monter. Shein et la Société des grands magasins (SGM) ont dévoilé, mercredi 1er octobre, une alliance pour l'ouverture progressive de six magasins physiques et pérennes de la marque chinoise de fast-fashion, dont l'un se situera au sein du BHV Marais, en plein Paris. Les cinq autres devraient s'implanter progressivement dans des Galeries Lafayette sous franchise à Dijon, Reims, Grenoble, Angers et Limoges.
Une annonce qui provoque un tollé dans le secteur de l'habillement, alors que le géant chinois est régulièrement épinglé pour les mauvaises conditions de travail de ses sous-traitants, mais aussi pour son impact environnemental et son rôle dans la crise sans fin que traverse la filière.
Jusqu'à présent, la marque de textile était trouvable pour le consommateur français uniquement en ligne ou, à la marge, dans des "pop-ups", des boutiques éphémères. Cette implantation physique vient cependant s'ajouter à l'annonce du partenariat noué, il y a quelques jours, avec le géant du prêt-à-porter français Pimkie. L'enseigne verra d'ici à la fin de l'année ses produits mis en vente sur la plateforme, et donc accessibles dans 160 pays. Une alliance qui avait déjà grandement contrarié la filière.
Interrogé sur franceinfo, Quentin Ruffat, porte-parole du groupe chinois, soutient que l'ouverture de ces magasins permettra de drainer "un trafic plus jeune, plus international, plus connecté, qui bénéficiera à l'ensemble des marques présentes dans ces grands magasins".
"Classiquement, une enseigne trouvable sur internet peut décider d'ouvrir un magasin pour pouvoir toucher des gens qui n'achètent pas en ligne", explique Philippe Moati, professeur émérite d'économie à l'université Paris Cité et cofondateur de l'Observatoire société et consommation (Obsoco). "Mais Shein n'en a pas vraiment besoin ; elle profite déjà d'une dynamique commerciale exceptionnelle, tient-il à rappeler. Cette décision peut donc permettre de s'ouvrir à une clientèle peu réceptive, qui finira par acheter en ligne après avoir vu en vrai les produits. Mais ça n'est pas un levier de croissance significatif", estime-t-il.
"La bête noire" du secteur veut s'anoblir
Une analyse partagée par le député Les Républicains (LR) Antoine Vermorel-Marques, à l'origine d'une proposition de loi pour lutter contre la fast-fashion. "Sur le mode de commercialisation, leur enjeu n'est pas de commercialiser au BHV ou aux Galeries Lafayette, ça c'est de la communication. Leur enjeu, c'est de pouvoir continuer à nous inonder avec leur plateforme en ligne pour mettre à mal nos commerces de centres-villes", fait-il valoir au micro de France Inter.
Avec cette annonce fracassante, Shein semble plutôt poursuivre "une quête de légitimité", estime Philippe Moati. Pointé du doigt pour son modèle économique, son empreinte écologique, ses conditions de production et, plus globalement, son rôle dans la crise de l'habillement, Shein est devenu "un épouvantail, une véritable bête noire du secteur, avec Temu [l'autre plateforme chinoise qui inonde le commerce en ligne]". Or, ce problème d'image peut se traduire par un blocage politique très concret. En mai, la Commission européenne a ainsi proposé d'imposer des frais de 2 euros sur chaque petit colis entrant en Europe, dont l'immense majorité provient de Chine. Une mesure qui vise indirectement le géant de la mode à bas prix.
"Shein est tellement attaquée de partout qu'elle se doit de trouver des leviers de gain de respectabilité", poursuit l'économiste. En s'associant à l'image sérieuse et respectée de BHV en France, l'entreprise "frappe fort". "Même si ce n'est en aucun cas la maison mère, les consommateurs, eux, ne feront pas la différence", parie-t-il. Le groupe espère ainsi obtenir ses lettres de noblesse par association, pour, à terme, "devenir une marque comme une autre dans l'esprit du consommateur".
À l'assaut de la capitale de la mode
"L'objectif est de se banaliser, de se fondre dans le commerce traditionnel, comme Amazon avait tenté de le faire après le Covid par exemple", complète, dans les colonnes du journal L'Union, Vincent Chabault, sociologue de la consommation à l'université Gustave-Eiffel. "Ce qui est spécifique ici, c'est qu'en plus ils espèrent bénéficier du prestige qui est attaché aux Galeries Lafayette, qu'il s'agisse de leurs bâtiments patrimoniaux ou du fait que cela renvoie à l'histoire des grands magasins du XIXe siècle", poursuit l'expert, auprès du journal local.
Mais pourquoi avoir choisi spécifiquement la France pour inaugurer ces magasins d'un nouveau genre ? "Nous voulons montrer que notre modèle peut s'allier au modèle traditionnel physique du prêt-à-porter français", explique le porte-parole de l'entreprise chinoise. Le rayonnement de la France dans l'industrie de la mode joue également un rôle dans cette décision, l'annonce ayant été faite en pleine fashion-week parisienne. En avril, déjà, dans une interview donnée à Ouest-France, le président du groupe chinois, Donald Tang, évoquait son souhait de développer un programme pour collaborer avec des marques françaises en justifiant : "Nous pensons que la France est la capitale mondiale de la mode et doit le rester".
Pour autant, la probabilité de voir des magasins Shein naître à la chaîne dans les centres-villes français dans les années à venir reste faible, pronostique Philippe Moati. "Son modèle économique basé sur des délais courts, des changements de collections très fréquents, est incompatible avec la logique d'un magasin et la gestion des stocks", argue l'économiste. Une prévision qui ne devrait cependant pas suffire à calmer le courroux de la filière.
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