Vrai ou faux Budget 2026 : 20% des Français sont-ils concernés par des affections de longue durée contre 5% des Allemands, comme l'affirme François Bayrou ?

Pour justifier certaines mesures d'économies envisagées dans le domaine de la santé, le Premier ministre a comparé des données concernant la prise en charge des malades chroniques.

Article rédigé par franceinfo
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Une doctoresse remplit un formulaire de protocole de soins pour un patient atteint d'une affection de longue durée, à Bergerac (Dordogne), le 13 mars 2018. (BURGER / PHANIE / AFP)
Une doctoresse remplit un formulaire de protocole de soins pour un patient atteint d'une affection de longue durée, à Bergerac (Dordogne), le 13 mars 2018. (BURGER / PHANIE / AFP)

"20% des Français sont en affection de longue durée contre 5% de la population allemande. (...) Et je ne crois pas que les Français soient en plus mauvaise santé que les Allemands", a affirmé François Bayrou, mardi 15 juillet, pour justifier une révision du statut des affections de longue durée, c'est-à-dire les maladies "dont la gravité et/ou le caractère chronique nécessite un traitement prolongé" et dont les soins et traitements sont pris en charge à 100%, selon le site Ameli.fr. Parmi les mesures d'économies envisagées pour 2026, le Premier ministre veut aussi dérembourser des médicaments "sans lien" avec la maladie – un projet qui inquiète les patients.

Comment expliquer cet écart entre les deux pays ? "Ce n'est pas du tout le même système, on ne peut pas les comparer", répond l'économiste Zeynep Or, directrice de recherche à l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), à franceinfo. Les chiffres évoqués par François Bayrou proviennent d'un rapport de l'Assurance-maladie (PDF) remis au gouvernement et au Parlement le 1er juillet. Selon une étude datant de juillet 2024, "en 2022, 13,8 millions de personnes bénéficiaient du dispositif des ALD", représentant "20,1% de la population et 66,1% de la dépense totale remboursée par l'Assurance-maladie". "Un chiffre nettement plus élevé que nos voisins européens", signale le premier rapport.

Des critères différents selon les pays

Dans son rapport, l'Assurance-maladie compare les modèles de prise en charge des pathologies chroniques en France, en Belgique, en Allemagne, en Angleterre et en Italie. On y apprend que 4,8% de la population allemande bénéficie d'une prise en charge financière en tant que patients chroniques, comme l'a affirmé François Bayrou. Un chiffre qui monte à 12% en Belgique. Toutefois, selon le pays, les critères ne sont pas du tout les mêmes. En Allemagne et en Belgique, par exemple, l'obtention du statut repose sur des critères financiers. Le reste à charge pour tous les assurés est exonéré pour les patients chroniques "en fonction des dépenses engagées et des revenus", explique l'Assurance-maladie.

La France, l'Angleterre et l'Italie préfèrent des critères cliniques. "En Angleterre, une exonération est accordée pour neuf groupes de pathologies" et "en Italie, une liste de 64 maladies chroniques donne droit à une prise en charge complète", expose le rapport. En France, une trentaine de pathologies entrent dans le dispositif, un "AVC invalidant" par exemple, ou des "affections psychiatriques de longue durée", un "diabète de type 1 et de type 2", des maladies cardio-vasculaires ou encore un cancer. Des maladies dites "hors liste", mais qui évoluent sur une durée prévisible supérieure à six mois et dont le traitement est particulièrement coûteux, sont également intégrées dans le dispositif. C'est l'addition de toutes ces pathologies qui concerne 13,8 millions de personnes en France, dont certains cumulent plusieurs ALD. A ceux-ci s'ajoutent des "cas particuliers" : l'appareillage des enfants sourds, l'infertilité et la maladie cœliaque, plus précisément un remboursement d'une partie des produits sans gluten.

Des statistiques incomparables outre-Rhin

La comparaison entre les systèmes allemand et français n'est donc "pas correcte", selon Zeynep Or. "En Allemagne, chaque personne dont les restes à charge dépassent 2% des revenus annuels ne paie plus rien. Et pour les patients chroniques, ce seuil est de 1%", explique l'experte, autrice d'une comparaison des dépenses de santé en France et outre-Rhin. Faire des calculs à partir de ces exonérations n'est pas pertinent, relève-t-elle. Les femmes enceintes et les enfants de moins de 18 ans sont par exemple exonérés d'office des restes à charge. Même en cas de maladie chronique, ils ne seront "jamais comptabilisés" dans les statistiques des personnes qui dépassent le seuil de 1% des revenus – et donc dans les 4,8% évoqués par François Bayrou.

L'économiste cite un autre exemple : "Prenez un diabétique, s'il n'est pas hospitalisé, qu'il n'a 'que' le reste à charge de ses médicaments à payer, puisqu'en Allemagne, il n'y a pas de reste à charge pour les soins quotidiens, ça ne dépassera potentiellement pas le seuil d'1% de ses revenus, et il ne sera pas capté dans les 5%." Alors même qu'il est atteint d'une maladie chronique, selon la définition française. Ces statistiques ne peuvent donc pas, selon Zeynep Or, servir à comparer le nombre de malades, comme s'y aventure François Bayrou. "Il faudrait des études épidémiologiques pour savoir combien de gens sont atteints. Et je pense qu'on a des taux assez similaires", estime-t-elle.

Des malades allemands finalement mieux protégés 

Par ailleurs, la reconnaissance du statut de "Chronisch kranke Menschen", soit "les personnes atteintes de maladies chroniques", semble plus stricte en Allemagne, afin de prétendre au seuil des 1% des revenus. La personne doit justifier d'un suivi médical "au moins une fois par trimestre pour la même maladie pendant au moins un an" et une gravité particulière, expose le ministère de la Santé allemand. Le statut concerne aussi "toute personne nécessitant des soins médicaux continus sans lesquels il faut s'attendre, selon l'évaluation médicale, à une aggravation potentiellement mortelle de la maladie, à une diminution de l'espérance de vie ou à une altération durable de la qualité de vie", peut-on encore lire.

Zeynep Or ajoute que les personnes déclarant une affection de longue durée en France sont loin de ne rien payer. "Si l'ALD couvre les dépenses liées à un cancer ou un diabète, vous allez payer pour d'autres soins, vous pouvez avoir des dépenses induites", évoque-t-elle. Les dépassements d’honoraires, la participation forfaitaire de 2 euros, la franchise médicale ou le forfait hospitalier, par exemple. "En Allemagne, c'est un plafond de paiement de tous les restes à charge des patients." Ce qui en fait, à ses yeux, une "protection beaucoup plus importante" et "un système bien aiguisé pour lutter contre les coûts de santé".

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