Manuel Legris fait son retour à l'Opéra de Paris avec "Sylvia", un ballet inscrit au patrimoine de la danse classique

Le danseur revient en tant que chorégraphe dans la maison dont il fut l'une des plus brillantes étoiles, avant de diriger deux compagnies à l'étranger. Il nous a ouvert les portes d'une répétition très intense.

Article rédigé par Valérie Gaget
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
Manuel Legris, danseur et chorégraphe. (OPERA NATIONAL DE PARIS)
Manuel Legris, danseur et chorégraphe. (OPERA NATIONAL DE PARIS)

Il est presque midi à l'Opéra Bastille et quand nous le rencontrons, Manuel Legris sort tout juste d'un cours de danse. À 60 ans, toujours svelte, il explique qu'il n'a jamais cessé de s'entraîner au quotidien. "Cela fait partie de mon hygiène de vie. Physiquement et mentalement, je me sens beaucoup mieux une fois que j'ai fait 30 ou 40 minutes d'exercices avant d'aller répéter avec les danseurs", explique-t-il.

Il avoue sans fard que revenir à l'Opéra de Paris est pour lui "une joie énorme parce que je viens de là et que c'est ma vie". Entré dans son école de danse à 11 ans, nommé étoile à 22 ans par Rudolf Noureev, ce Parisien a fait ses adieux à la scène en mai 2009 en dansant le ballet Onéguine, après trente-quatre ans passés dans cette grande maison.

Il a essuyé les plâtres à l'Opéra Bastille

En nous guidant dans les couloirs de l'Opéra Bastille, il se souvient avoir participé à la soirée inaugurale de ce bâtiment, le 13 juillet 1989. Il avait dansé un pas de deux avec Elisabeth Platel, actuelle directrice de l'école de danse de l'Opéra de Paris.

Il raconte en riant que "rien n'était terminé". Après son départ, il n'est revenu qu'une seule fois : "C'était pour les adieux de Laetitia Pujol. Ensemble, nous avions dansé le pas de deux de Sylvia de John Neumeier". Un ballet qui l'a suivi tout au long de sa carrière et qui lui vaut de revenir en France ce printemps.

Manuel Legris avec la danseuse étoile Valentine Colasante, lors d'une répétition du ballet "Sylvia", à l'Opéra de Paris, en mai 2025. (YONATHAN KELLERMAN / OPERA NATIONAL DE PARIS)
Manuel Legris avec la danseuse étoile Valentine Colasante, lors d'une répétition du ballet "Sylvia", à l'Opéra de Paris, en mai 2025. (YONATHAN KELLERMAN / OPERA NATIONAL DE PARIS)

En entrant dans le grand studio Debussy, le danseur devenu chorégraphe salue Amandine Albisson et Marc Moreau, deux étoiles qu'il a choisies pour danser "son" Sylvia, la version revisitée de ce grand ballet classique qu'il a remis à l'affiche, en tant que directeur, à l'Opéra de Vienne en 2018 puis au ballet de la Scala de Milan. Il est venu choisir les solistes à Paris en septembre puis en novembre 2024 et les juge tous "excellents".

"Il y a six distributions de Sylvia, dit-il, et on aurait pu en faire encore plus. Il y a tellement de danseurs de qualité !" Une pianiste accompagne le trio qui répète sur la partition de Léo Delibes. "C'est vraiment une musique pour le ballet qui laisse place au grandiose, s'enthousiasme-t-il. L'entrée des chasseresses, par exemple, on dirait du Wagner. C'est rare dans les ballets d'avoir des musiques aussi puissantes."

Il s'inspire des plus grands chorégraphes

Il reconnaît avoir eu la chance de travailler en studio avec les plus grands chorégraphes de son temps : Rudolf Noureev, Maurice Béjart, Jerome Robbins, Jiri Kylian... Comme eux, il a le souci du détail et une grande exigence. Il ne s'assoit jamais, montrant précisément aux deux étoiles où se placer : "Cela fait partie de ma force parce que je peux encore montrer beaucoup de choses. Pas pour fanfaronner, mais par générosité vis-à-vis des danseurs. Quand ils voient, ils captent mieux et le travail avance plus vite."

Il endosse indifféremment le rôle du garçon et celui de la fille. Quand il était danseur, il avait la réputation d'être un excellent partenaire. Amandine Albisson, qui n'a pas apporté son accessoire, un petit arc, le remplace par un cintre. Sur un porté difficile, Manuel Legris met Marc Moreau en garde : "Donne moins de force sinon tu vas te mettre Amandine en écharpe autour du cou". Il rassure la danseuse sur sa variation : "Il y a plein de choses bien. Tu es dans une bonne dynamique. Courage !". Le rythme est intensif, la chorégraphie techniquement difficile, mais le climat serein. Quand un mouvement "coince", les trois danseurs dialoguent et cherchent des solutions ensemble.

Un ballet patrimonial

Sylvia fait partie du patrimoine historique de la danse classique. Il est le tout premier ballet à avoir été créé sur la scène du Palais Garnier, le 14 juin 1876, après son inauguration, il y a 150 ans. Manuel Legris dit l'avoir découvert très jeune : "J'étais à l'école de danse en 1976 quand Lycette Darsonval et Violette Verdy ont monté une nouvelle version de Sylvia qui m'a fasciné. Je l'ai toujours gardée en tête. Le premier ballet que j'ai chorégraphié, c'était Le Corsaire et quand j'ai voulu en faire un second, j'ai aussitôt pensé à Sylvia."

Dans ce ballet inspiré par la mythologie, Diane, une farouche déesse, veille sur ses nymphes chasseresses qu'elle oblige à rester chastes. Malheur à celles qui se laisseraient séduire par un mortel. C'est pourtant ce qui arrive à Sylvia. Au lieu de se venger comme on pourrait le craindre, la déesse se montrera finalement clémente. Elle laissera Eros unir Sylvia et le berger Aminta.


"Je n'ai pas copié, mais je me suis vraiment inspiré de la version de 1976, de cette manière de parler de mythologie de façon légère. C'est quelque chose qui fait du bien, une histoire un peu irréelle, entre le vrai et l'imaginaire, une façon de parler de Dieu et des dieux et de raconter des histoires d'amour." Et comme à l'Opéra de Paris, tout est affaire de transmission, une ancienne étoile ayant dansé la version de 1976, Claude de Vulpian, fait aussi répéter les étoiles de 2025.

"Le répertoire de la compagnie est très riche en contemporain et je trouve que c'est bien, aussi, de revenir à nos racines classiques", raconte Manuel Legris. Si on remontait ces productions telles quelles, elles seraient sans doute datées, voire un peu ridicules, alors c'est bien de les remettre dans l'air du temps." C'est la nouvelle version qu'il a créée pour le ballet de Vienne, avec un prologue qui n'existait pas à l'origine, qui entrera au répertoire de l'Opéra cette année.

Partir, revenir...

Manuel Legris vient de quitter le ballet de la Scala de Milan et se verrait bien rejoindre sa maison d'origine. "Pas du tout dans un poste de direction, glisse-t-il, parce qu'après quinze ans, j'ai envie de passer à autre chose, mais en tant que coach [répétiteur]. Il y a plein de productions à monter et ça me plairait."

Il dit en avoir parlé avec José Martinez, le directeur de la danse de l'Opéra de Paris, qu'il connaît depuis longtemps. Celui-là même qui l'avait invité, juste après sa nomination, à revenir à Paris pour monter "son" Sylvia. "Je lui suis très reconnaissant", admet-il.

Une répétition du ballet "Sylvia" chorégraphié par Manuel Legris, à l'Opéra national de Paris. (YONATHAN KELLERMAN / OPERA NATIONAL DE PARIS)
Une répétition du ballet "Sylvia" chorégraphié par Manuel Legris, à l'Opéra national de Paris. (YONATHAN KELLERMAN / OPERA NATIONAL DE PARIS)

"Un jour, cela me plairait de faire une création avec les danseurs de l'Opéra de Paris. Je ne suis pas obsédé par l'idée de chorégraphier, c'est juste que j'ai une grande expérience et que je pense avoir des choses à donner, ajoute-t-il. Et j'adore le classique alors qu'aujourd'hui, il y a beaucoup plus de chorégraphes contemporains."

En guise de conclusion, il précise : "On a une belle école, avec une tradition, et je trouve bien qu'il y ait une personne, aimant comme eux ce qu'ils ont appris ici, qui veuille le transmettre". À bon entendeur...

"Sylvia" au Palais Garnier à Paris, du 8 mai au 4 juin 2025
Durée de 2h25 avec 2 entractes, tarifs de
12 euros à 160 euros
Répétition en public le 17 mai à 15h dans l'amphithéâtre Olivier Messiaen pour 10 euros (en vente le 7 mai à 14H30)

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