"Il a tout simplement inventé une recette formidable" : comment Dan Brown reste le roi du blockbuster littéraire, vingt ans après son "Da Vinci Code"
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"Le Secret des secrets", le nouveau livre du romancier américain, sort dans le monde entier mardi. Chronique d'un succès annoncé en librairie, de la part d'un auteur qui a su toucher juste, bien aidé par une équipe marketing de choc.
Pour Dan Brown, il suffira d'un livre. L'auteur aux 250 millions de livres vendus tous romans confondus, se plaît à raconter qu'il a trouvé la formule magique en lisant l'ouvrage Writing the Blockbuster Novel (littéralement : "Comment écrire un roman à succès") signé par le légendaire agent littéraire Albert Zuckerman. Curieusement, il l'a lu au moment de boucler Forteresse digitale, qui a connu un flop en librairie à l'époque. Le romancier américain n'a pas pu s'empêcher de raconter au New York Times la réaction d'Albert Zuckerman quand il l'a appris : "J'aurais préféré qu'il raconte partout que mon livre l'avait aidé à finir le Da Vinci Code."
Peut-être un signe que le style de Dan Brown – une louche d'ésotérisme, une pincée de complots et de conspirations enfouis depuis la nuit des temps et beaucoup, beaucoup, beaucoup de rythme – avait besoin d'un petit coup de pouce pour atteindre le statut de best-seller. Nouvelle preuve dans toutes les librairies, mardi 9 septembre, avec la sortie du Secret des secrets, le dernier opus en date des aventures de Robert Langdon. Le plus gros tirage de la rentrée littéraire, et de loin, avec 500 000 exemplaires. "On espère recruter de nouveaux lecteurs de thrillers, ceux qui ont dévoré la saga La Femme de ménage, de Freida McFadden", ambitionne Véronique Cardi, patronne des éditions JC Lattès.
Une PME à son service
C'est au tournant du XXIe siècle que Dan Brown a acquis de manière spectaculaire le statut d'auteur de blockbusters. L'écrivain, qui a déjà signé trois romans passés sous les radars, s'adjoint les services d'une redoutable agente, Heide Lange. Elle toilette son CV de son expérience malheureuse dans la musique électronique et apporte tout son professionnalisme à la communication de son poulain. Quand l'auteur accorde une interview au quotidien régional Portsmouth Herald pour évoquer le Da Vinci Code, hors de question d'illustrer l'article par un cliché pris à la volée par le journaliste local. Elle impose ce qui devient le costume public de Dan Brown : la veste en tweed et le col roulé noir qui lui donnent des faux airs d'universitaire… Comme son héros, le symboliste Robert Langdon, relève le Boston Magazine.
Son éditeur américain, Stephen Rubin, chien truffier littéraire, découvreur de John Grisham, vient de changer de crémerie pour aller chez Doubleday, une branche de la puissante maison Random House. Séduit par le manuscrit du Da Vinci Code, il va avancer à Brown 400 000 dollars, une somme qui fera tiquer en interne. "Au fur et à mesure de ma lecture du manuscrit, je voyais apparaître le symbole du dollar", confie-t-il au New York Times. Convaincu du potentiel du roman, il expédie la bagatelle de 10 000 épreuves aux journalistes et aux libraires pour amorcer un bouche-à-oreille XXL.
"Il a puisé dans les recoins de l'histoire"
Résultat : une critique dithyrambique du New York Times, qui loue un "thriller cérébral jubilatoire" le jour de la sortie du livre. Il reste deux ans dans le top 5 de la liste des meilleures ventes publiée par le journal. Peut-être une histoire de contexte : le Guardian avance que ce carton s'explique par le besoin d'une "thérapie post 11-Septembre. Cela dit à de nombreux Américains ce qu'ils veulent entendre : que tout fait sens." Peut-être une histoire d'inspiration : Dan Brown a reconnu avoir forgé son personnage de Robert Langdon d'après Joseph Campbell, l'anthropologue auteur du livre Le Héros aux mille et un visages, qui a aussi inspiré George Lucas pour la famille Skywalker de sa saga Star Wars. Peut-être une histoire de famille : son ex-épouse Blythe assure, un an après leur divorce en 2019, être à l'origine de l'histoire. Le roman lui est d'ailleurs dédié : "Pour Blythe, plus que jamais."
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"Il a tout simplement inventé une recette formidable, qu'il décline dans tous ses livres, s'enflamme Dan Burstein, coauteur de plusieurs livres décryptant le vrai du faux des récits de Dan Brown. Il a puisé dans les recoins de l'histoire, des légendes, des traditions qui sont connues de certains érudits, mais ignorés du grand public." L'immense écrivain italien Umberto Eco, précurseur du genre, en plus intello, disait de Dan Brown dans la Paris Review (PDF) : "Je l'ai inventé." Traducteur attitré du romancier, Dominique Defert parle d'un auteur "sincère, passionné, qui pense sincèrement que l'art et la beauté sauveront le monde", avec un ton didactique hérité de son passé d'enseignant.
"Il a des éclairs de génie"
Voilà l'auteur érigé au rang de star planétaire du jour au lendemain, ou presque. Et il sait jouer de ce statut comme personne. Il conserve son antique Volvo rouillée malgré le succès ? On y voit le signe qu'il n'a pas pris la grosse tête. Il oublie sa pièce d'identité au moment de prendre l'avion ? L'homme derrière lui dans la file dévore le Da Vinci Code, sa photo sur les rabats de la couverture permet de l'identifier et il peut ainsi embarquer, raconte Dan Brown au New York Times.
Son seul signe extérieur de richesse, c'est ce manoir qu'il a fait construire dans sa bonne ville d'Exeter (New Hampshire), truffé de passages secrets et de symboles ésotériques. Une Bible posée sur un lutrin devant les toilettes permet de savoir si les lieux sont occupés, selon le verset des Saintes Ecritures affiché. A l'intérieur de cette pièce, on trouve des phrases écrites à l'envers dans le style de Léonard de Vinci et un miroir à l'arrière de la porte pour les déchiffrer sur le trône…
Succès ou pas, nombre de critiques continuent de se boucher le nez en parlant de Dan Brown. "J'aime les macaronis au gratin, ironise l'auteur, interrogé par CBS. J'essaie d'écrire des livres qui ont le goût de crème glacée mais le bilan calorique des légumes vapeur. Ce que je veux, c'est que les gens apprécient mes livres. Je n'essaie pas de concurrencer William Faulkner, je n'ai même jamais cherché !" Chez Dan Brown, on préfère décrire avec force adjectifs et hyperboles plutôt que de suggérer ou montrer. Outre-Atlantique, il traîne comme un boulet une comparaison pataude entre le blanc des yeux d'un personnage et "un requin sur le point d'attaquer", dans Inferno.
Parole à la défense : "Certains diront qu'il a un style un peu paresseux. Ça ne rend pas ses livres mauvais pour autant. On trouve au panthéon littéraire d'autres auteurs comme Agatha Christie, qui ne brillait pas stylistiquement, ou Philip K. Dick, qui utilisait un langage très générique", plaide Michael Noll, professeur d'écriture à la Texas University.
"Il a mieux à faire que de décrire avec subtilité les émotions des personnages ; il est occupé à embarquer le lecteur dans un grand huit le plus vite possible."
Michael Noll, professeur d'écriture à la Texas Universityà franceinfo
Le traducteur Dominique Defert renchérit : "Parfois, il a des éclairs de génie, comme dans Le Symbole perdu, où il parvient à faire un parallèle entre le 33e degré de l'échelle de Newton [le point d'ébullition de l'eau] et le 33e degré de la franc-maçonnerie en Ecosse. C'était absolument lumineux. Magique."
Un modèle pour les apprentis romanciers
Au point que le style Dan Brown fait désormais école. Moyennant finances, vous pouvez découvrir le suc de sa pensée sur la plateforme MasterClass. Selon lui, ce n'est pas l'originalité qui prime. "Chaque idée a été labourée et re-labourée. Vous n'avez pas besoin d'une grande idée. Mais d'un grand comment." Selon lui, un roman se construit comme un mur, brique par brique, avec une fondation simple : "Robert Langdon va-t-il découvrir le virus et sauver le monde ? Le commandant Achab attrapera-t-il la baleine ?"
Christelle Lebailly, youtubeuse spécialisée dans l'écriture, a suivi son cours et souligne que la clé de l'enseignement de Dan Brown, c'est de répondre à toutes les questions posées par l'intrigue. "Il raconte que quelques jours avant la sortie du Da Vinci Code, son éditeur lui a fait parvenir une liste de 17 questions auxquelles il n'avait pas répondu dans son livre et qu'il a dû retravailler en urgence pour combler ses trous."
L'influenceur en creative writing (écriture créative en bon français) a ainsi inspiré nombre d'imitateurs. Un ersatz de Da Vinci Code, La hermandad de la Sábana Santa, de Julia Navarro, a trusté le palmarès des meilleures ventes en Espagne en 2004, quelques mois après la sortie de l'original. Et bouleversé les nuits d'apprentis écrivains, qui ont adopté sa morning routine : lever à 4 heures du matin pour écrire, déconnexion toutes les heures pour faire pompes et abdos "et relancer la pression sanguine" –, jusqu'à la recette de son smoothie aux épinards préféré.
La science est formelle : Dan Brown a mis le doigt sur la formule magique. Les auteurs de l'essai The Bestseller Code qui cherche à établir à l'aide de la data les points saillants des livres les plus lus, ont établi que la structure du Da Vinci Code, avec ses temps forts et ses moments plus descriptifs, était quasiment identique à celle de Cinquante nuances de Grey, un des autres cartons surprises du XXIe siècle littéraire.
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