Les dix immanquables BD et romans graphiques du printemps 2025
De "L'Enfer" à "Stan Lee, une vie fantastique", en passant par "Le crétin qui a gagné la guerre froide" ou encore "Trous de mémoire", voici notre sélection printanière.
Comme toute sélection, celle-ci est forcément subjective et non exhaustive. Les BD et romans graphiques s'accaparent de nombreuses thématiques : politique, cinéma, histoire, vie quotidienne... Notre choix prend en considération le graphisme, les sujets traités, le dessin et l'originalité.
"Les Jardins invisibles" : ode à ces micro-instants de bascule qui font un chemin de vie
Alfred (textes et dessins), dont on apprécie depuis longtemps les fictions inspirées de souvenirs personnels, s’essaie pour la première fois à l’autobiographie. Il a pioché cette fois dans les carnets qu’il noircit quotidiennement de choses vécues, croquis et autres pensées, pour raconter les infimes moments où sa vie a bifurqué, basculé. Des fragments, jetés dans le désordre (non chronologiques donc), comme les petites pièces d’un puzzle qui le révèle, et où l’enfance et la lumière italiennes sont toujours au premier plan. Le résultat est doux, introspectif, philosophique, à la fois grave et joyeux, une sorte d’ode à la vie d’une grande sensibilité.
On apprend notamment comment et pourquoi Alfred est devenu dessinateur, dès l’enfance. Parce que ses parents comédiens partaient souvent en tournée sur de longues périodes, Alfred avait peur qu’ils l’oublient, qu’ils l’effacent de leur esprit. Persuadé que seul le dessin pourrait lui éviter ce sort, il dessinait son quotidien en leur absence sur des feuilles qu’il scotchait sur la porte de leur chambre, afin qu’ils les trouvent à leur retour… et le retrouvent, lui. De son enfance à ses bonheurs de père d’une petite fille qui l’a elle aussi aidé à grandir, l’auteur multiplie les mini-récits, mêlant filiation, paternité et signes du destin. De son trait simple et évocateur, Alfred signe un album petit format particulièrement touchant.
"Les jardins invisibles" par Alfred - 160 pages 15,95 euros (Delcourt)
"Le crétin qui a gagné la guerre froide" : retour sur les deux mandats de Reagan, qui ont ouvert la voie à Trump
"Si vous voulez rendre sa grandeur à l’Amérique, votez pour moi". Cette promesse de campagne vous rappelle quelque chose ? Elle date pourtant des années 1980. A l’heure où le président américain Donald Trump bouscule l’ordre international, il n’est pas inutile de se rafraîchir la mémoire avec cette BD qui revient sur les deux mandats (1981 à 1989) de l’un de ses prédécesseurs républicains, Ronald Reagan. Acteur de série B vieillissant, ce dernier n’avait à priori aucune des qualités pour présider aux destinées de l’Amérique. Amateur de siestes et de grasses matinées, il ne travaillait pas ses dossiers, ne comprenait pas grand chose à l’économie et à la géopolitique.
Alors comment a-t-il convaincu les Américains de l’élire par deux fois ? C’était un grand communiquant, un bon acteur entouré de conseillers, qui avait la sagesse de ne jamais entrer dans les débats de fond, résume cet ouvrage. Reagan s’en tirait avec des blagues, souvent apprises par cœur, faisant passer ses opposants pour des grincheux barbants. Quant à sa politique, qui consistait surtout à déréguler l’économie et à "redonner l’argent aux riches", elle n’est pas sans rappeler celle du populiste à la mèche orange. On aperçoit d’ailleurs ce dernier dans la BD, prononcer, en tant que milliardaire invité à la Maison Blanche, une phrase prophétique en 1984 : "Tant que nous n’aurons pas un des nôtres ici [à la Maison Blanche], nous serons exposés aux dangers de la démocratie". Vis-à-vis des Soviétiques, en pleine guerre froide, Reagan avait l’art de noyer le poisson et de souffler le chaud et le froid face à Mikhaïl Gorbatchev, dont il mit la patience à rude épreuve. Les dessins minutieux de Cédric Le Bihan et le scénario rythmé, drôle et bien documenté de Jean-Yves Le Naour, qui finit d’ailleurs par rendre Reagan plutôt sympathique, en font un must de lecture.
"Le crétin qui a gagné la guerre froide" de Jean-Yves Le Naour et Cédric Le Bihan - 64 pages, 15,90 euros (Grand Angle)
"Le génie de Beyrouth, Volume 1" : plongée dans l’esprit de la capitale libanaise avant la guerre
C’était une petite rue tranquille au cœur du merveilleux Beyrouth, avant la guerre. Une rue où toutes les communautés cohabitaient en bonne intelligence. Le couple d’épiciers chrétiens maronites, le teinturier-repasseur chiite, le boulanger musulman, le coiffeur arménien, les russes blancs fabricants de parpaings, les "filles" de l’hôtel Princess House employées dans les cabarets du front de mer, tous "tenaient ensemble", comme par miracle, "le miracle libanais" comme on appelait cette oasis de stabilité bienheureuse au milieu des convulsions du Proche et Moyen-Orient.
Les minorités persécutées venues trouver refuge ici au fil des siècles, condamnées à vivre ensemble, coexistaient cependant sans vraiment se mêler et dans une certaine méfiance. Lorsque le climat se tendit, au milieu des années 1970, et que certains prirent les armes, l’harmonie précaire de cette mosaïque se fissura puis le quartier bascula, comme tout le pays, dans le vacarme de la guerre. C’est ce que raconte ce premier tome d’un tryptique, dont on attend déjà la suite avec impatience. Parce qu’on aime autant le récit de Sélim Nassib, qui sent le vécu et reste au plus près de l’humain, que le trait net, précis et faussement naïf aux couleurs pastel signé Lena Merhej. Et parce que cet album lumineux nous éclaire un peu sur le drame de ce pays béni des dieux qui semble hélas "condamné à être perpétuellement en guerre contre lui-même".
"Le génie de Beyrouth, Tome 1. Rue de la Fortune de Dieu" de Sélim Nassib et Léna Merhej - 128 pages, 22,95 euros (Dargaud)
"Stan Lee, une vie fantastique" : une biographie nuancée du génie créatif des comics Marvel
Après avoir consacré une biographie illustrée à son héros absolu, le dessinateur Jack Kirby, Tom Scioli se penche cette fois sur la vie de l’autre géant de la maison Marvel Comics, le scénariste Stan Lee (1922-2018). Avec quelques autres, Stan Lee a imaginé, dans les années soixante, des centaines de personnages, de Hulk aux Quatre Fantastiques, de Daredevil aux X-Men, de Spider-Man aux Avengers, en passant par Iron-Man, Black Panther ou Docteur Strange. Toutes choses qui ont révolutionné l’image des super-héros et fait la renommée de Marvel, passée de petite maison d’édition à géant de l'entertainment.
Hyper médiatisé à partir des années soixante-dix, Stan Lee a fini par devenir l’incarnation des créations Marvel. Au point de s’être lui-même transformé en personnage de cartoon. "Stan The Man" comme il aimait se surnommer, n’était cependant pas un saint : servile avec son employeur Martin Goodman, il ne défendait pas les droits de ses collaborateurs, avait des méthodes de travail discutables et une fâcheuse tendance à s’approprier les idées des autres. C’est ce que n’hésite pas à montrer avec subtilité Tom Scioli, dont l'ouvrage, nommé aux prestigieux Eisner Awards, n’est approuvé ni par la famille de Stan Lee ni par Marvel Comics. Connu pour son style vintage patiné inspiré des premiers comics, avec peu de seconds plans, qui fait une fois de plus merveille ici, Tom Scioli n'oublie jamais l’humour. Et ce, dès la superbe page 3 dans laquelle il décline, à la façon des sérigraphies colorées de Warhol, les différents visages de Stan Lee, du crâne d’œuf des débuts au barbu chevelu des seventies, puis au moustachu à lunettes des derniers temps. Cherchez l’erreur…sous la perruque.
"Stan Lee, une vie fantastique" de Tom Scioli - 200 pages, 24,95 euros (Huginn & Muninn)
"Em Silêncio" de Adeline Casier : le douloureux chemin de l’exil portugais sous la dictature Salazar
Un petit village au Nord du Portugal, début des années 60, sous la dictature Salazar. João et son épouse Rosinda ont beau trimer tous les deux pour un patron et cultiver leur potager, ils arrivent péniblement à joindre les deux bouts pour faire vivre leurs deux petites-filles. Alors que les arrestations arbitraires se multiplient, João perd son travail. Un peu plus, et ils vont tous crever de faim. Sur les conseils d’un ami, João décide de prendre le chemin de l’exil pour rejoindre un cousin qui habite Paris, où il se dit que le travail ne manque pas. Une fois installé, il pourra faire venir sa petite famille en France, où leurs filles pourront aller à l’école. Une fois réuni l’argent pour les passeurs, João entreprend un voyage périlleux de plusieurs semaines par les montagnes pyrénéennes, durant lequel il rencontrera et perdra plusieurs compagnons d’infortune, connaîtra la faim, le froid, la peur, et côtoiera la mort de près, mais aussi la solidarité. Le tout en silence, "em silêncio" en portugais.
Dans ce bel album entièrement dessiné au crayon graphite, aussi mélancolique et poétique que la saudade, l’autrice rend hommage à ses grands-parents en racontant le voyage vers la France de son grand-père dans les années soixante. Un chemin douloureux qui n’est pas sans rappeler celui que continuent de suivre certains en quête d’un avenir meilleur pour eux et les leurs sur notre continent.
"Em Silêncio" de Adeline Casier – 160 pages, 23 euros (La Boîte à bulles)
"L'Enfer" : l'extraordinaire adaptation en BD du film inachevé d'Henri-Georges Clouzot
Une évidence, d'abord : Nicolas Badout réalise un coup de maître avec sa première BD. L'Enfer (Sarbacane) est une réussite totale, aussi bien sur le plan graphique que sur le plan du scénario ou de la narration. Le résultat est d'autant plus époustouflant que le sujet semble a priori ardu. Le jeune bédéiste lyonnais de 33 ans s'est lancé dans l'adaptation du film éponyme inachevé d'Henri-Georges Clouzot avec Romy Schneider et Serge Reggiani, partiellement tourné en 1964.
Nicolas Badout s'est immergé dans l'ensemble de l'œuvre du cinéaste pour réaliser ce roman graphique. "Soixante ans après ce projet avorté, l'ouvrage que vous tenez entre les mains est le fruit de nombreuses recherches, comme un pont entre tous les écrits, films, documentaires, qui ont été réalisés sur le sujet", explique-t-il. Un roman graphique à la fois fidèle au scénario originel et aussi personnel. Un hommage aussi à Henri-Georges Clouzot. L'Enfer, un roman graphique intense.
"L'Enfer", Nicolas Badout, éditions Sarbacane, 172 pages, 26 euros
"Billy Lavigne", l'extraordinaire cow-boy en colère dans la BD événement d'Anthony Pastor
Après La Femme à l'étoile, Anthony Pastor revient avec Billy Lavigne, le deuxième volume de sa trilogie western et une œuvre très travaillée. Tout est réuni dans cet album dense et d'une grande puissance poétique : les dessins, les couleurs, les personnages, la nature, le dispositif narratif… Billy Lavigne est une tragédie au milieu des canyons et des chevaux sauvages. Sauf que les conflits se règlent à coups de revolver. L'un des talents d'Anthony Pastor est de laisser la place au silence, à l'émotion. L'album s'ouvre sur des mustangs dirigés par un cow-boy dans un paysage lumineux. Trois personnages, donc : l'homme solitaire, les chevaux et la nature.
On est happé par la profusion de couleurs, une influence de Van Gogh assumée à chaque case. Billy Lavigne porte une dimension politique très puissante. L'album est indéniablement l'une des belles surprises de cette rentrée hivernale. Addictif, profond, Billy Lavigne est un roman graphique indispensable.
"Billy Lavigne", Anthony Pastor, éditions Casterman, 152 pages, 22 euros
"Trous de mémoire" de Nicolas Juncker : les enjeux mémoriels de la guerre d’Algérie par l’humour
On connaissait le formidable travail de Jacques Ferrandez sur la guerre d’Algérie. Un autre auteur fait une entrée fracassante dans cet espace sensible. Après Un général des généraux, Nicolas Juncker revient avec un album drôle, intelligent, instructif sur la mémoire commune. Féru d’histoire, l’auteur est rattrapé par l’actualité. Nous sommes dans le Sud de la France, dans une petite ville nommée Maquerol. Le ministre de la Culture et le maire décident de créer un musée à la mémoire d’un photographe originaire d’Algérie, Gérard Poaillat, qui a immortalisé ce qu’on appelait pudiquement les évènements d’Algérie. Comment réaliser ce Mémorial ? Une équipe est constituée : une historienne et un scénographe. La première est rigoureuse, le second mégalomane. La population -pieds-noirs, anciens militaires et communauté nord-africaine- est invitée à participer à l’ouvrage en convoquant ses souvenirs. Cela tourne au cauchemar : les plaies sont encore vives et certaines blessures ne cicatrisent pas. Le passé vient réclamer sa part.
En donnant la parole à tout le monde, Nicolas Juncker démine un terrain hautement délicat. L’album dit aussi les arrière-pensées politiques derrière ce genre de projet. Trous de mémoire, pour se souvenir d’une histoire commune en partage. L’humour, moyen efficace pour aborder la mémoire collective.
"Trous de mémoire", Nicolas Juncker, Le Lombard, 156 pages, 22,95 euros
"Krimi" : le pacte faustien entre un policier et Fritz Lang
Nous sommes au début des années 1930 en Allemagne. Thibault Vermot et Alex W. Inker nous transportent dans un univers lugubre, déserté par l’espoir. Le pays, plongé dans la crise, voit le début de la montée d’Hitler vers le sommet du pouvoir. L’album est empreint d’obscurité, traversé par de rares lumières. Le graphisme, le trait, l’usage intelligent du noir et blanc apportent à ce roman graphique une grande profondeur.
Krimi est à la lisière du roman noir et du cinéma, à la fois une réussite visuelle et une histoire captivante. M le maudit n'est pas loin. Hasard ou coup monté ? L’inspecteur Lohmann, homme au physique imposant, croise Fritz Lang dans une rue de Berlin. Les deux hommes se connaissent : le policier avait enquêté sur la mort suspecte de la femme du cinéaste, sept ans plus tôt. Le cinéaste est pressé, le policier prend tout son temps. Lohmann propose au cinéaste de s’inspirer de l’affaire qui l’accapare tout entier : celle du "vampire de Düsseldorf", un assassin qui tue et mutile ses victimes féminines. D’abord révulsé, le cinéaste, déçu par l’accueil de son dernier film La Femme sur la lune, se montre de plus en plus ouvert à la proposition. Quel est le prix à payer pour cette fascination morbide ? Krimi, un roman graphique bouleversant, porté par une narration originale.
"Krimi", Thibault Vermot et Alex W. Inker, éditions Sarbacane, 280 pages, 35 euros
"Brigade Babylone" : de la déconstruction des clichés sur la "banlieue"
"Rien de ce qui est dans le livre n’est inventé. Ce ne sont que des choses que j’ai pu observer", précise Pauline Guéna. Brigade Babylone est un reportage graphique sur "la banlieue", ces "lieux perdus de la République". L’autrice de 18.3, Une année à la PJ (Gallimard), livre qui a inspiré La nuit du 12 de Dominik Moll, a effectué plusieurs semaines d’immersion dans des commissariats d’Ile-de-France au cours de l’année 2023. Sa qualité d’"observatrice" lui a permis de nouer des contacts avec la population qui ne l’a pas identifiée comme flic.
Cette BD, au dessin inspiré de Mahi Grand, est un condensé de moments vivants, faits de tension mais aussi d’humanité. Comment trouver la bonne distance pour dire le quotidien des policiers et aussi celui d’une population qui n’aspire qu’à vivre tranquillement ? Comment dire le réel sans tomber dans les clichés ? Pauline Guéna et Mahi Grand déconstruisent de nombreux discours avec cette BD captivante qui laisse voir toute la complexité et les paradoxes d’une partie de la population à travers des portraits poignants des habitants et des policiers. Brigade Babylone, une immersion tout en nuances.
"Brigade Babylone", Pauline Guéna et Mahi Grand, Denoël Graphic, 160 pages, 26 euros
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