Les treize immanquables romans graphiques et BD de cette rentrée
De "L'Ange Pasolini" à "L'Abîme de l'oubli" en passant par "Le Nirvana est ici" ou la folle histoire du "Salvator Mundi, le tableau le plus cher du monde", voici notre sélection pour ce début d'année.
Le marché de la BD et romans graphiques connaît un léger tassement après des années de croissance mais continue de séduire un large public. Notre sélection, subjective et non exhaustive, tient compte du graphisme, des thèmes traités, du dessin et de l'originalité.
"Le Chœur des sardinières" : il était une fois une grève mythique
Léah Touitou et Max Lewko nous font découvrir de l'intérieur l'une des grèves les plus mythiques de France : celle menée par les ouvrières des conserveries de poissons de Douarnenez pour protester contre la pénibilité de leur travail et pour demander une augmentation de salaire. Réunies, derrière le mot d'ordre "Pemp real a vo !" (Cinq réaux ce sera ! / Nous voulons 25 sous et nous les aurons), les sardinières auront tenu la grève durant près de six semaines. Mona, ouvrière dans une sardinerie, n'arrive pas à joindre les deux bouts et souffre des conditions de travail. Son époux veut faire engager leur fille malgré son jeune âge. Mona rêve d'une autre vie, surtout pour sa fille. Il y a un siècle, 2 000 Penn Sardin (sardinières) obtenaient gain de cause. Le Chœur des sardinières est une immersion dans ce mouvement qui marqua les esprits. Une belle et poignante découverte.
"Le Chœur des sardinières", Léah Touitou et Max Lewko, Steinkis, 144 pages, 20 euros
"L'Ange Pasolini" : et Dieu créa l'artiste
Happé dès la première page par le graphisme et le traitement du sujet, L'Ange Pasolini est un grand coup de cœur. Denis Gombert et Arnaud Delalande, scénaristes, installent une atmosphère poétique d'une rare puissance dans ce livre dédié à Pier Paolo Pasolini, assassiné dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, par une bande de garçons masqués sur une plage d'Ostie, près de Rome. Dans cette BD illustrée par Éric Liberge, les auteurs font dialoguer le réalisateur et écrivain italien de gauche agonisant avec son ange. Se dessine alors un portrait saisissant d'un artiste écorché vif, visionnaire et engagé, pour mieux retracer son parcours créatif et politique dans l'Italie d'après-guerre. Transgressif, provocateur, Pier Paolo Pasolini était une personnalité complexe. L'Ange Pasolini revient sur les moments cruciaux de son existence. Immanquable.
"L'Ange Pasolini", Denis Gombert, Arnaud Delalande et Éric Liberge, éditions Denoël, noir et blanc, 104 pages, 26 euros
"Le Lotus bleu" : Tintin prend des couleurs
Le Lotus bleu, album le plus abouti d'Hergé, réapparaît dans sa version originale, plus longue, et colorisée. La BD a ainsi pris de l'épaisseur et des couleurs. Le résultat est plus que convaincant, la colorisation est impressionnante et percutante. D'abord prépublié dans Le Petit Vingtième entre août 1934 et octobre 1935, sous le titre Les Aventures de Tintin, reporter en Extrême-Orient, Le Lotus bleu paraît en effet sous la forme d'un album de 124 pages en noir et blanc aux éditions Casterman en 1936. C'est pourtant la version de 64 pages qui est la plus connue des lecteurs. Il y a dans Le Lotus bleu un travail graphique et de documentation non négligeable. Le plus : la préface de Philippe Goddin qui livre plusieurs clés de compréhension pour accompagner l'album et une biographie de Tchang Tchong-Je, artiste chinois qui a travaillé avec Hergé. Instructif.
"Le Lotus bleu", Hergé, Casterman, 144 pages, 23 euros
"Le Nirvana est ici" : immersion dans la communauté vietnamienne de Berlin
La dernière œuvre de Mikael Ross est un roman graphique d'initiation et d'amour qui se lit comme un thriller survolté. Nous sommes à Lichtenberg, quartier réputé difficile de Berlin. Une jeune Vietnamienne, Woa Binh, échappe à son destin d'esclave moderne dans un atelier morbide. Ses sauveteurs : Tâm, son frère Dennis et Alex, tous adolescents. S'engage une traque sans merci, le trafiquant voulant récupérer sa marchandise, Woa Binh. Sous la chaleur torride qui s'abat sur la capitale, les adolescents trouvent un doigt coupé qui les met sur les traces d'une jeune fille rencontrée furtivement en Pologne. Cette immersion dans la communauté vietnamienne de Berlin est portée par un graphisme très puissant et un décor exceptionnel qui rend cette œuvre addictive. Le noir et blanc accentue l'urgence et l'aspect oxymorique, à la fois obscur et lumineux. Original.
"Le Nirvana est ici", Mikael Ross, traduit par Jean-Baptiste Coursaud, Seuil, 352 pages, 25 euros
"L'Abîme de l'oubli" : à la mémoire des victimes de Franco
L'Abîme de l'oubli s'ouvre sur une exécution de prisonniers par des soldats franquistes. Les exécutions s'enchaînent. De l'abattage. Paco Roca et Rodrigo Terrasa ont accompli un travail de salubrité publique avec ce roman graphique, un récit bouleversant qui à l'amnésie préfère la mémoire. Ils sont partis d'une histoire singulière pour narrer les atrocités commises par le régime de Franco. Le 14 septembre 1940, 532 jours après la fin de la guerre civile espagnole, José Celda est fusillé et enterré dans une fosse commune avec onze autres hommes. Le régime a cherché à étouffer leur cas, à taire les souffrances des familles et faire oublier ses actes (134 000 fusillés). Mais soixante-dix ans plus tard, la fille de José Celda, Pepica, âgée de 8 ans au moment des faits, parvient à localiser sa dépouille. Elle décide de lui rendre sa dignité. Son parcours est retracé par les auteurs espagnols au nom de la mémoire. Intense.
" L'Abîme de l'oubli", Paco Roca et Rodrigo Terrasa, Delcourt/Mirages, 296 pages, 29,95 euros
"Wax Paradoxe" : géostratégie d'un textile
L'album est d'une rare beauté, éblouissant de lumière et de couleurs. Wax Paradoxes est une quête personnelle, une exploration de son identité. Il y a vingt-cinq ans, l'autrice Justine Sow reçoit de sa grand-mère un pagne. Elle ignore tout de ce célèbre tissu. Son alter ego Sophia est étudiante en mode. Son sujet de mémoire imposé : le wax. S'ensuit un voyage extraordinaire à travers cette étoffe. Elle découvre des liens inattendus, des clins d'œil de l'histoire comme les paradoxes d'un tissu né de la colonisation et devenu un motif de fierté et de reconnaissance pour l'ensemble du continent africain. Car le wax est né ailleurs, pas en Afrique. Il y a tout un univers derrière ce textile ciré aux imprimés colorés. Wax, une histoire familiale et géopolitique. à découvrir.
"Wax Paradoxe", Justine Sow, Bayard Graphic, 136 pages, 22 euros
À signaler l'exposition Wax(Nouvelle fenêtre jusqu'au 7 septembre 2025, au Musée de l'homme, 17 place du Trocadéro, 75016 Paris
"La Vie selon Bosc" : l'hommage de François Morel
Dans la préface de ce recueil de dessins inédits, qu'il a lui-même choisis, François Morel écrit que Bosc, ce précurseur de l'humour noir, était laconique. "D'ailleurs, poursuit-il, c'est avec ses dessins sans légende que Bosc est entré dans la légende des dessinateurs humoristiques." Né en 1924, le Gardois Jean Bosc s'engagea pour trois ans en Indochine d'où il revint allergique à toute discipline et viscéralement antimilitariste. Ce qui lui fournit la matière de nombreux croquis. Pendant dix-huit ans, il dessina pour Paris-Match, donnant avec ses amis Mose, Chaval et Sempé, de nouveaux traits au dessin d'humour. La force de Bosc réside dans le sarcasme bien que celui-ci ne soit jamais surligné. Pour chaque dessin, une idée, souvent glanée dans la rue en observant le monde qui l'entoure. Lapidaire, concis et sobre, Bosc jette un œil ironique, aiguisé et parfois cruel, sur nos travers sans jamais avoir l'air d'y toucher. Cet homme tourmenté se suicida en 1973, à l'âge de 48 ans. Il a ouvert la voie à toute une génération de dessinateurs talentueux : Claire Brétecher, Copi, Cabu ou encore Wolinski.
"La Vie selon Bosc", François Morel, éditions Le Cherche midi, 16,80 euros, paru le 23 janvier et complété par une exposition de dessins originaux à la galerie Martine Gossieaux, 56 rue de l'Université, 75007 Paris
"Arzak : destination Tassili" : la formidable épopée de Moebius
Pour les fans de Moebius et les autres, ce volumineux roman graphique clôt un chapitre des plus grandes œuvres d'un des plus créatifs auteurs et dessinateurs de BD français. Jean Giraud, alias Gir ou Moebius, a fait sensation lors de la publication de Arzak en 1975. Qui est-il ? Moebius ne le dit pas. On le voit chevaucher un curieux volatile d'un blanc éclatant (un ptérodelphe) au-dessus d'un désert brûlant. Ils y croisent les lambeaux d'une civilisation engloutie. Dans ce corpus final, les tomes sont réunis et l'aventure prend un autre envol avec un bonus des plus originaux. La seconde partie, une belle suite en noir et blanc, sans texte. Dans La molécule d'immortalité, en effet, se déroule une histoire sans paroles, portée par le dessin épuré et finement travaillé, un noir et blanc subtil. Un travail d'archives colossal. Épique.
"Arzak : destination Tassili, corpus final", Moebius, Moebius production, 248 pages, 39 euros
"White Only" : la victoire d'Althea Gibson
C'est au cœur de l'Amérique ségrégationniste, dans une famille pauvre de Caroline du Sud, qu'Althea Gibson a grandi dans les années 1940. En arrivant à Harlem, la jeune Américaine découvre le tennis. Althea Gibson trouve sa voie. Elle délaisse l'école pour se consacrer à sa passion. Comment devient-on joueuse de tennis dans un pays où des tournois sont interdits aux Noirs ? Julien Frey (scénario) et Sylvain Dorange (dessin) partent sur les traces de la première joueuse noire à gagner le trio magique (Roland-Garros, Wimbledon et l'US National, futur US Open). Comme toute pionnière, son parcours est jonché de premières fois. Noire dans un monde de Blancs, elle a su s'imposer et ouvrir le chemin à d'autres joueurs comme Arthur Ashe ou les sœurs Williams. Combatif.
"White Only", Julien Frey et Sylvain Dorange, Vents d'Ouest, 152 pages, 23 euros
"L'Enfantôme" : journal d'un cancre pas comme les autres
Il est plus attiré par le dessin que par les études. Dans une société qui porte aux nues la performance, l'adolescent ne trouve pas sa place. Dans ce conte moderne, Jim Bishop narre le passage à l'âge adulte avec beaucoup de sensibilité. L'Enfantôme est une ode à l'altérité, une belle histoire d'amitié. Il est "Le Boutonneux", le bizarre, le pas-tout-à-fait comme les autres, le souffre-douleur des élèves, eux-mêmes soumis à une pression scolaire énorme, à une obligation de réussite. L'auteur ne cache pas qu'il y a un peu de lui-même, hormis les cheveux roses, dans le personnage principal. Jim Bishop, Julien Bicheux pour l'état-civil, parle de cette joie enfouie en chacun de nous qui ne demande qu'à s'exprimer, qu'à renaître. En choisissant d'installer son histoire dans une ambiance horrifique, il rend hommage au manga et aux films d'horreur. Saisissant.
"L'Enfantôme", Jim Bishop, Glénat, 224 pages, 22,50 euros
"Journal inquiet d'Istanbul, Tome 2" : les tribulations d'un caricaturiste dans la Turquie autoritaire d'Erdogan
En Turquie, où la mise au pas des journalistes et du monde de la culture s'accélère dangereusement à coups d'arrestations arbitraires, il ne fait pas bon être dessinateur de presse. C'est pourtant le métier passion qu'exerce Ersin Karabulut, comme il le raconte dans son Journal inquiet d'Istanbul, dont vient de sortir le Tome 2. Après de premières années à travailler dans différentes publications, il lance en 2007 avec cinq autres dessinateurs Uykusuz (Insomniaque), un hebdomadaire satirique, drôle et engagé, qui connaît un succès fulgurant. Mais critiquer le pouvoir dans un pays qui sombre chaque jour un peu plus dans un régime autoritaire et religieux provoque anxiété, doutes et insomnies chez notre héros, qui souligne aussi ses petites lâchetés de "résistant". La vie de la rédaction, le choc de l'attaque sanglante à Charlie Hebdo, la découverte du Festival d'Angoulême (qui les époustoufle), les intimidations à l'encontre du journal, le coup d'État manqué en Turquie et les pleins pouvoirs que s'arroge le président Erdogan : Karabulut mêle adroitement le politique et l'intime, le réalisme et la caricature, dans une atmosphère de plus en plus irrespirable. Un point de vue éclairant et nécessaire, dont on attend la suite avec impatience.
"Journal inquiet d'Istanbul, Tome 2 (2007-2017)", Dargaud, 184 pages, 25 euros
"Le Secret de Miss Green" : le destin exceptionnel d'une métisse dans l'Amérique ségrégationniste
Belle est une métisse très claire que rien ne distingue d'une Blanche, dans l'Amérique ségrégationniste du début du XXe siècle. La loi (en vigueur jusqu'en 1967) stipule alors qu'une seule goutte de sang noir dans votre arbre généalogique fait de vous une personne noire. Transgresser la loi, ce qu'on appelle "le passing", est non seulement très risqué mais il nécessite aussi de nombreux renoncements (rompre avec son passé, ne jamais avoir d'enfant…). C'est pourtant ce que va faire Belle Greener, en s'inventant des origines portugaises justifiant son teint, et en se rebaptisant Belle Da Costa Green. Grâce à son intelligence, à son érudition et à sa passion pour les livres rares, sa réinvention va être couronnée d'un succès tel qu'elle n'aurait pu le rêver. Devenue la bibliothécaire personnelle et la protégée de l'un des hommes les plus puissants d'Amérique, le banquier JP Morgan, elle est au sommet. Mais un seul mot de son père, avocat réputé et premier Noir diplômé de Harvard, qui a quasiment abandonné sa famille, pourrait tout remettre en cause. Scénario bien ficelé et mise en images élégante en font une lecture indiquée aussi pour les plus jeunes.
"Le Secret de Miss Greene", Nicolas Antona et Nina Jacqmin, Le Lombard, 152 pages, 22,95 euros
"Salvator Mundi" : enquête minutieuse sur le tableau le plus cher du monde
C'est un portrait du Christ, tenant un globe de cristal dans la main gauche, dont le regard est aussi obsédant que celui de La Joconde. S'agit-il d'un tableau de Leonard de Vinci, un des rares réalisés de sa main ? En 2005, à La Nouvelle-Orléans, la toile est achetée 1 175 dollars. Douze ans plus tard, après avoir changé de mains dans l'ombre, avoir subi une restauration contestée et suscité une bataille d'experts, elle est vendue 450 millions de dollars chez Christie's à New York, ce qui en fait le tableau le plus cher du monde. Pourtant, son authenticité reste douteuse. D'ailleurs, le musée du Louvre ne l'a pas accueilli dans sa rétrospective Leonard de Vinci en 2019-2020. L'acheteur de 2017, qui n'est autre que le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salmane, s'est-il fait berner ? Le journaliste Antoine Vitkine, auteur d'un passionnant documentaire télévisé sur le Salvator Mundi (sur France 5 en 2021), remet le couvert en BD avec l'aide de Sébastien Borgeaud, journaliste spécialisé dans les paradis fiscaux. Ils révèlent ce faisant les coulisses peu reluisantes du marché de l'art international, celui des ultra-riches, qui se confond souvent avec les milieux économiques et politiques. Chantages, mensonges, intermédiaires problématiques : les sommes colossales mises en jeu autorisent toutes les manipulations. On peut se perdre dans ce scénario très dense, mais les dessins au réalisme soigné signés Éric Liberge sont remarquables. On ne regardera plus jamais les ventes aux enchères prestigieuses de la même façon.
"Salvator Mundi, la folle histoire du tableau le plus cher du monde", Éric Liberge, Antoine Vitkine et Sébastien Borgeaud, Futuropolis, 96 pages, 21 euros
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