Vrai ou faux Y a-t-il 27 fermes qui disparaissent chaque jour, comme l'affirme Sandrine Rousseau ?

Ce chiffre avancé par la députée écologiste vient du "recensement agricole décennal 2020" de l'Agreste, le service statistique du ministère de l'Agriculture. Il y a cependant des différences selon l'année, le département ou la spécialisation des exploitations.

Article rédigé par Louis Deroo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
De 2010 à 2020, le nombre d'exploitations agricoles a diminué de 20% en France. (KAROLL PETIT / HANS LUCAS)
De 2010 à 2020, le nombre d'exploitations agricoles a diminué de 20% en France. (KAROLL PETIT / HANS LUCAS)

Opposée à la loi Duplomb, qui consiste à assouplir les obligations environnementales et sanitaires des agriculteurs, la députée Ecologistes-EELV Sandrine Rousseau a exprimé lundi 21 juillet sa colère au micro de franceinfo. Elle a notamment défendu les petites exploitations, qu'elle juge défavorisées face à la concurrence des grandes exploitations agro-industrielles. "Vingt-sept fermes ferment par jour", affirme la députée, qui dénonce un système "darwiniste" à l'origine de nombreuses fermetures de fermes familiales. Un chiffre inquiétant qui interroge : où Sandrine Rousseau a-t-elle trouvé cette donnée ?

Ce chiffre vient du "recensement agricole décennal 2020" de l'Agreste, le service statistique du ministère de l'Agriculture. Tous les dix ans, cette agence a pour obligation d'effectuer une grande étude afin "d'actualiser les données sur l'agriculture française et de mesurer son poids dans l'agriculture européenne".

Moins de petites exploitations, plus de grandes entreprises

De 2010 à 2020, ce sont ainsi 101 000 exploitations agricoles qui ont disparu en métropole, soit une baisse de 20% du nombre de fermes françaises. Avec un rapide calcul, on obtient bien ce chiffre de 27 domaines en moins chaque jour. Cette donnée n'est qu'une estimation symbolique : elle n'est pas à prendre au pied de la lettre, sachant qu'il y a des différences selon l'année, le département ou la spécialisation des exploitations.

Mais la statistique a le mérite de mettre en lumière la tendance marquée du recul significatif des exploitations moyennes, petites et micro, dont le chiffre d'affaires annuel moyen est inférieur à 250 000 euros. Une dynamique à l'opposé des plus grosses entreprises du secteur : "Entre 2010 et 2020, le nombre de micro-exploitations diminue de 4% par an en moyenne, tandis que celui des grandes exploitations augmente de 0,3% par an", note ainsi le rapport de l'Agreste.

Ce phénomène de disparition des petites exploitations n'est pas récent. Si l'on remonte en 1970, on comptait 1 587 600 domaines en métropole, soit quatre fois plus que les 390 000 exploitations comptabilisées en 2020. Depuis 1970, le nombre de fermes de moins de 20 hectares, majoritaires à l'époque, a diminué de 84%.

Première explication : le manque de rentabilité des petites structures. "Les petites exploitations ne sont pas toujours rentables, face à la nécessité de s’adapter aux enjeux de marché et aux exigences de rationalisation pour s'adapter aux filières et aux acteurs en aval, tels que la grande distribution", explique François Purseigle, sociologue spécialiste de la question des agriculteurs. Ce qui peut aboutir à des départs précoces. Au contraire, les grandes exploitations sont plus adaptées au marché européen, et bénéficient d'économie d'échelle. "Certains exploitants font ainsi le choix de se regrouper avec d'autres entreprises agricoles", poursuit le chercheur. Ainsi, il est possible que certaines fermes ne cessent pas totalement leur activité, mais changent d'échelle, ce que masque la statistique. 

Deuxième explication : le changement démographique, dans un contexte de diminution du nombre d'agriculteurs de génération en génération. "Les retraités trouvent rarement de repreneurs dans les nouvelles générations, qui ne veulent pas de ces fermes non rentables, et qui nécessitent beaucoup d'efforts. Ces terres, selon leur intérêt, vont être rachetées par d'autres exploitants", continue François Purseigle. C'est ce qui aboutit au regroupement des surfaces agricoles, avec l'augmentation constante de la taille moyenne des exploitations depuis 1970.

Il est aussi intéressant d'observer l’évolution par décennie : l'intervalle 2010-2020 enregistre le plus faible nombre de disparitions depuis 1970. À titre de comparaison, si le chiffre de 27 fermes en moins par jour est déjà très significatif, le nombre d'exploitations agricoles disparues aurait été estimé à 79 de 1988 à 2000 selon le même calcul. Va-t-on donc vers une stabilisation du nombre d'exploitations à long terme ?

Quelque 40 000 fermes en moins entre 2020 et 2023

Il faudra attendre 2030 pour connaître les conclusions du prochain recensement décennal, et comparer sur le temps long. Les derniers chiffres de l'Agreste ne sont guère rassurants. On décomptait 349 600 exploitations agricoles en 2023, soit 40 000 de moins qu'en 2020. Un déclin au rythme plus soutenu que sur la précédente décennie, alors que 50% des agriculteurs seront en âge de partir à la retraite à l'horizon 2030.

Un rapport d'avril 2022 du ministère de l'Agriculture sur l'évolution des revenus agricoles anticipait en outre que "la diminution du nombre total d’exploitations et des actifs non-salariés s’annonce d’ici à 2030 bien moindre qu’au cours des 30 dernières années", et que "de multiples modèles cohabiteront avec de grandes différences de dimension économique et de systèmes de production".

"La tendance lourde, c'est l'effondrement et la disparition des petites et moyennes fermes spécialisées dans des filières telles que le lait ou le bovin", déplore Stéphane Galais, agriculteur et secrétaire national du syndicat Confédération paysanne, opposé à la loi Duplomb. "Si cette loi ne va pas changer la donne, elle va participer à favoriser uniquement les grandes exploitations qui accaparent déjà les ressources, en enlevant les garde-fous", continue-t-il. Les défenseurs de ce texte, comme le syndicat majoritaire agricole FNSEA, parlent quant à eux d'un soutien à la production française, pour faire face à la concurrence des pays européens, aux normes moins strictes sur l'agriculture.

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