Transparence Pourquoi France Télévisions se lance-t-elle dans une météo de l'eau ?

Publié
Temps de lecture : 16min - vidéo : 13min
Article rédigé par franceinfo - Propos recueillis par Pascal Doucet-Bon
France Télévisions

Sébastien Thomas, l'un des présentateurs du JT Météo Climat, explique pourquoi tenir le bulletin de l'état des nappes phréatiques en France est devenu une nécessité. C'est l'objet de la nouvelle météo de l'eau qui arrive à l'antenne ce 20 juin sur France Télévisions.

Une nouvelle carte, en plus des cartes météo, va prendre place dans l'éventail des informations du JT Météo Climat. Pourquoi et comment ? Le présentateur Sébastien Thomas décrypte face caméra cette nouveauté dans le cadre de notre page Une info transparente. Interrogé par ailleurs, Philippe Freyssinet, directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), dont l'une des missions est de suivre l'état des eaux souterraines, partenaire de l'opération, complète ces explications dans un entretien croisé que nous avons reconstitué pour plus de lisibilité.


Franceinfo : Pourquoi est-ce que l'équipe du JT Météo Climat s'est lancée, avec le BRGM, dans la météo de l'eau ?

Sébastien Thomas : Tout simplement parce que notre idée depuis le début du programme, il y a un peu plus de deux ans maintenant, est de répondre aux questions des téléspectateurs sur l'urgence climatique. Et de nombreuses questions concernent l'eau sous toutes ses formes : les inondations, les sécheresses, le manque d'eau, mais également les phénomènes extrêmes comme les pluies intenses. Bref, nous nous sommes dits que c'était hyper intéressant, très pertinent, d'engager une partie de nos réponses sur un thème précis, une météo consacrée 100% à l'eau.

Philippe Freyssinet : Pour nous, au BRGM, l'appel de France Télévisions a été une véritable bonne surprise. Nous avions déjà des contacts avec France Télévisions qui relayait nos informations régulièrement sur l'état des nappes phréatiques et notamment lors des périodes de sécheresse des étés 2020 de 2023 et donc nous avons été effectivement ravis de la proposition d'une météo de l'eau, sur la durée. Pour nous, il est essentiel de sensibiliser désormais un large public aux comportements des nappes phréatiques et à leur fragilité.

Nous sommes un établissement scientifique, qui produit des données essentiellement pour des acteurs publics (Etat, agences publiques, collectivités...), des industriels, des chambres d'agriculture, en tous cas un public professionnel averti. Là, nous changeons de dimension en matière de communication de nos informations scientifiques. Nous avons l'occasion d'expliquer au plus grand nombre comment une nappe peut réagir, quelles sont les fragilités d'une nappe, les risques, dans un contexte où le changement climatique bouleverse le cycle de l'eau. Il faut savoir qu'en France, 70% de l'eau potable provient des nappes d'eau. Quant au débit des rivières, il est essentiellement alimenté par les nappes d'eau, tout particulièrement en été.

Quelles sont les questions du public sur l'eau ?

Sébastien Thomas : Les gens peuvent poser directement leurs questions via un QR Code, et il n'y en a pas de mauvaise. Par exemple, quelqu'un nous avait écrit à l'automne dernier en nous demandant si les pluies incessantes, parfois meurtrières au moment des inondations, donnaient l'occasion aux nappes phréatiques de faire le plein. Typiquement, ce terme de nappe phréatique est entré dans le vocabulaire, dans l'actualité. Un thème essentiel, parce que c'est grâce aux nappes qu'on peut avoir de l'eau tous les jours, notamment pour boire, mais on ne sait pas forcément comment ça fonctionne. Nous sommes fidèles à la dimension pédagogique du service public. Nous prenons le temps de répondre aux questions à l'antenne et d'interroger des scientifiques qui vont nous aider à mieux mesurer cet enjeu majeur dans un monde avec un climat qui se réchauffe.

Concrètement, ça ressemble à quoi ?

Tous les quinze jours, nous allons consacrer notre JT Météo Climat sur France 2, France 3 et franceinfo canal 16 à l'eau à un sujet précis lié à l'eau. Et nous présenterons une carte inédite des nappes phréatiques. Un état de nos réserves en eau potable sous nos pieds, parfois loin sous nos pieds. Plus c'est bleu, plus la nappe est remplie, et plus c'est rouge, plus les niveaux sont bas par rapport à une moyenne calculée sur plusieurs années. C'est un outil scientifique à visée pédagogique.

Carte des nappes d'eau souterraines en mai 2024 (France Télévisions/BRGM)
Carte des nappes d'eau souterraines en mai 2024 (France Télévisions/BRGM)

A quoi les zones grises correspondent-elles ?

Sébastien Thomas : II y a plusieurs zones de couleur grise dans l'Hexagone, tout simplement parce que le sol a plusieurs âges, plusieurs histoires. Selon que vous avez par exemple un sol très granitique, très argileux, ou un sol avec des roches différentes, l'eau ne va pas pouvoir pénétrer de la même manière, à la même vitesse. Il y a des endroits, par exemple, où on n'a pas de nappe phréatique. Ce n'est pas qu'on n'a pas de capteur, c'est juste que, par exemple, là, du côté des Alpes ou encore du côté des massifs montagneux, comme les Pyrénées ou en Corse, il n'y a pas ces aquifères, l'autre nom des nappes phréatiques. Partout ailleurs où on a des couleurs, c'est que le BRGM a des données. [Ses scientifiques] ont une série de capteurs disséminés partout sur le territoire, qui vont, grâce à des puits, mesurer le niveau de l'eau, voir s'il monte, s'il baisse. Et ils sont capables, à intervalles réguliers, de nous fournir une carte, un état des lieux des nappes phréatiques en France.

Philippe Freyssinet : Les zones grises sont des endroits où le sous-sol n'a pas de nappe phréatique de grande extension. Cela dépend de la géologie locale. Dans le Piémont des Pyrénées et en Corse, par exemple, il y a généralement des petits aquifères, mais non connectés entre eux, et donc qui ne représentent pas de grandes réserves d'eau souterraine. Dans ces zones, nous avons des données ponctuelles, mais qui ne permettent pas d'indiquer des tendances à l'échelle régionale.

Dans les régions colorées, nous avons des mesures sur des nappes de grandes dimensions et qui jouent un rôle essentiel dans le cycle de l'eau régional. La carte est établie à partir de séries de mesures provenant de capteurs implantés dans des forages, qui vont mesurer soit en continu, soit à intervalle régulier le niveau de l'eau, voir s'il monte, s'il baisse. Ces données sont ensuite traitées par un ensemble de modèles hydrogéologiques pour chacune des grandes nappes à l'échelle du territoire. Ce travail de modélisation est désormais mené deux fois par mois pour publication

La carte du BRGM s'adresse à un public averti, on ne pourrait pas la comprendre en quelques secondes à la télévision. Comment l'avez-vous simplifiée ?

Sébastien Thomas : C'est tout l'enjeu, parce nous n'avons pas plusieurs minutes pour afficher cette carte qui est un outil précieux. Donc, nous avons proposé au BRGM de nouvelles couleurs, moins nombreuses, et plus intuitives. Par exemple nous avons supprimé le vert, qui est la couleur du "tout va bien". Pour le BRGM, le vert correspondait à la moyenne. Nous avons conservé le bleu, la couleur de l'eau : plus c'est bleu, mieux c'est en termes de niveau.

Le rouge et orange [couleurs de l'alerte] indiquent qu'il y a une période de sécheresse. Nous avons retiré les tendances. Les flèches nécessitaient une longue consultation de la carte. Ce sont des données importantes, bien sûr, que nous indiquerons oralement. Nous pourrons très bien constater qu'il y a du bleu sur le nord de la France, par exemple, tout en indiquant que les niveaux sont en train de baisser. Et nous gardons la possibilité d'écrire les tendances à l'écran, notamment quand nous zoomerons sur une région. Typiquement, par exemple à propos de l'Occitanie, on pourra dire : c'est rouge, donc les niveaux sont bas, mais c'est en train d'augmenter.

A-t-il été facile de convaincre les scientifiques de l'intérêt de cette simplification ?

Sébastien Thomas : Oui. Ça a été assez simple de faire se rencontrer deux mondes qui, à priori, ne sont pas tout à fait pareils. Les scientifiques sont à la recherche de moyens de faire savoir ce qu'ils font au plus grand nombre. Et simplifier, c'est un métier. Ce sont des gens qui ont fait des années et des années d'études, et évidemment, on ne peut pas résumer un projet de thèse de centaines de pages en un sujet de 45 secondes. Ce n'est pas notre l'ambition. Nous voulons donner des clés de compréhension au public, et pour ça, les scientifiques étaient tout à fait d'accord.

"Nous étions pleinement conscients qu'il fallait simplifier le message, à condition que l'information reste juste. Nous avons simplifié l'échelle pour aller à l'essentiel dans le commentaire, mais l'information est exacte, en particulier le contour des nappes et leur niveau par rapport à une moyenne."

Philippe Freyssinet

directeur scientifique du BRGM

France Télévisions a aussi suggéré au BRGM d'augmenter le rythme de publication des cartes...

Philippe Freyssinet : Nous avions l'habitude de publier un bulletin mensuel de situation des nappes. Nous avons dû modifier le protocole d'élaboration de cette carte. Nous l'avions déjà fait, notamment en 2022 et 2023 lors des épisodes de sécheresse. L'Etat et ses gestionnaires de l'eau avaient besoin de points d'information plus rapprochés en situation de crise. Désormais, nous ferons cela tout le temps. Cela demande plus de travail. Nous avons innové pour automatiser une partie du processus.

Cette nouvelle météo n'est-elle pas une information anxiogène et culpabilisatrice de plus ?

Sébastien Thomas : Quand on fait le métier que je fais, des bonnes nouvelles, il n'y en a pas tant que ça. D'ailleurs, on reçoit quelques questions là-dessus. Ce n'est pas la majorité. Mais des téléspectateurs nous interpellent. Par exemple, le 1er mai, une personne nous demande : "Quand votre 'harcèlement climatique' va-t-il cesser ?" Et elle dit : "On fait ce qu'on peut en fonction de nos moyens." Je suis hyper conscient de cet agacement. Il ne faut pas culpabiliser les gens qui ont un vieux diesel. Quand on est dans les campagnes, on a besoin de se déplacer.

Notre rôle, ce n'est pas de dire aux gens comment il faut faire, c'est d'expliquer la situation dans laquelle on est. Moi, j'aurais presque tendance à inverser la question : dans l'histoire de l'humanité et de nos sociétés, il n'y a jamais eu un défi qui nous interpelle tous collectivement.

"Le climat n'est pas de gauche, pas de droite. Il n'est ni pauvre ni riche, il concerne tout le monde. C'est donc à la société de s'emparer de cette question. Si on réfléchit ensemble, on peut trouver des solutions."

Sébastien Thomas

présentateur du JT Météo Climat

Là, on voit le verre d'eau à moitié plein, pour reprendre le thème de l'eau : il y a encore des possibilités, il y a des choses à faire. Donc c'est vrai, on nous dit que nous culpabilisons, que nous parlons de ce qui ne va pas, mais nous mettons en lumière ce qui est factuel, ce qui est scientifique. Il suffit de lire les rapports du Giec, il y a un consensus sur le fait que l'homme est 100% responsable du réchauffement climatique. Et si on dit ça, cela veut dire aussi que l'homme est 100% capable de corriger cela. On a donc des moyens. C'est ce qu'on essaie aussi de mettre en lumière grâce à notre JT Météo Climat.

Tout cela dans un contexte où les scientifiques sont moins respectés...

Philippe Freyssinet : Notre réflexion s'inscrit dans un contexte social et politique plus large. Le travail des scientifiques peut être amené à être critiqué, voire menacé. C'est particulièrement vrai pour les sciences de l'environnement. En tant qu'établissement de recherche et d'expertise, communiquer et expliquer vers un large public est devenu une mission essentielle. Une partie de la population est plus sensible à certaines croyances, a des discours moins rationnels qu'auparavant. Il nous faut évoluer en fonction de cette tendance. Par exemple, nous sommes en train de faire croitre significativement notre effort de médiation scientifique pour les prochaines années. Les partenariats avec les grands médias, comme France Télévisions, sont de facto essentiels !

Le cycle de l'eau n'est pas le même partout dans l'Hexagone, et il est saisonnier. Comment allez-vous distinguer ce qui est saisonnier de ce qui est "anormal" ?

Sébastien Thomas : La boussole, c'est d'abord l'humilité. Ce n'est pas parce que je suis journaliste que je sais tout et je vais poser la question aux gens qui savent. Nous allons traiter les sujets petit bout par petit bout, parce qu'en une minute, une minute dix, c'est impossible d'avoir un point de vue global et exhaustif sur un sujet aussi complexe.

Par exemple, si je reprends le cycle de l'eau, nous allons rappeler les résultats sur plusieurs années, contextualiser. Certes, sur une année, dans une zone donnée, il va pleuvoir autant que les années précédentes, mais sur une durée plus courte il va pleuvoir beaucoup moins entre tel et tel mois. Donc, nous avons une accentuation du cycle de l'eau dans les deux sens : plus de pluie intense quand il pleut. On le voit, cela réagit, il y a des inondations, des crues éclair, parfois meurtrières. Plus de sécheresse, parce que quand il ne pleut pas, il ne pleut pas pendant beaucoup plus longtemps.

"Je ne sais pas ce qu'est une nappe phréatique, je n'en ai jamais vu. Enfin... Je ne savais pas. Le BRGM nous a formés, et nous expliquerons à notre tour."

Sébastien Thomas

présentateur du JT Météo Climat

Une nappe phréatique, ce n'est pas un grand lac souterrain ou une rivière souterraine ; l'eau imprègne les couches du sol de façon différente selon la géologie. L'analogie que vous pouvez faire, c'est : à la plage, vous vous éloignez un petit peu de la mer et vous commencez à creuser. Au début, le sable est tout sec, et puis au bout d'un moment, quand on creuse, le sable devient de plus en plus mouillé. Concrètement, c'est à peu près ça, les nappes phréatiques, c'est-à-dire l'eau qui imprègne une couche du sol à une certaine profondeur.

La situation d'une nappe, au delà du fait lui-même, a des conséquences plus ou moins rapide. Des téléspectateurs ne comprennent pas qu'on parle de sécheresse chez eux alors qu'il pleut...

Philippe Freyssinet : Prenons par exemple la fameuse nappe du Roussillon qui apparaît en rouge depuis deux ans. Il y a un fort déficit hydrique qui s'est cumulé depuis plusieurs année et la nappe n'a pas pu se recharger. Elle s'est vidangée pendant très longtemps et son niveau est inférieur à une situation normale. Depuis quelque temps, la situation hydrogéologique dans le Roussillon montre une amélioration globale, toutefois, le déficit cumulé de ces dernières années est tel que la situation des nappes n'est pas encore conforme à une situation normale. Huit piézomètres sont encore sous le seuil de crise, contre dix le mois précédent.

Nous sommes maintenant au printemps, les possibilités de recharge sont très réduites car la végétation puise l'essentiel de l'humidité disponible dans le sol. La nappe va donc très probablement rester à un niveau inférieur à la normale sur cette région pendant les prochains mois. Ce sont des éléments essentiels de pédagogie et d'information pour les habitants.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.