: Portrait Super Bowl 2025 : Patrick Mahomes, l'hégémonie d’un surdoué que personne ou presque n'attendait

On peut devenir le visage d'une ligue aussi physique que la NFL malgré une voix nasillarde et un "dad bod", l'appellation affectueuse d'un léger embonpoint au niveau du ventre. C'est assurément ce qu'a fait Patrick Mahomes. Le quarterback des Kansas City Chiefs, superstar du football américain, va tenter, dimanche 9 février, de gagner un quatrième Super Bowl à seulement 29 ans, un exploit qu'aucun quarterback n'a réussi avant lui. Pourtant en 2017, l'année où il a rejoint la NFL, personne n'imaginait que ce fils d'un joueur professionnel de baseball et issu d'une petite ville du Texas, aurait fait main basse sur la ligue huit ans plus tard.

A cette époque, Mahomes fait ses gammes dans une petite université du Texas et n'a rien d'un "prospect générationnel", ces jeunes qui font saliver toutes les équipes professionnelles. "Il n'était pas du tout le numéro un des quarterbacks cette année-là. Il était dans une fac d'un petit niveau, Texas Tech. Il n'était pas attendu comme le Messie. C'est plus Kansas City qui a vu son potentiel", rembobine Peter Anderson, journaliste et commentateur spécialisé dans la NFL chez BeIn Sports. Drafté en 10e position, mais derrière un autre quarterback, Mitchell Trubisky, Patrick Mahomes patiente dans l'ombre bienveillante de celui qui est alors en place, Alex Smith.

Une année en couveuse avant la révélation

Mais cela ne dure qu'un an. Voire qu'un match. Le seul que Mahomes dispute lors de sa première année achève de convaincre Kansas City, qui a drafté un quarterback pour la première fois depuis 38 ans. A la fin de la saison, les Chiefs remercient Alex Smith pour lui faire de la place. "Avoir Alex, ça m’a permis d’améliorer mon jeu trois fois plus vite que prévu", loue Patrick Mahomes. A partir de 2018, la machine est lancée : MVP dès sa première saison comme titulaire, 50 touchdowns lancés, et une défaite aux portes du Super Bowl face à un certain... Tom Brady, considéré comme le meilleur joueur de l'histoire, qui lui souffle alors : "Continue à faire ce que tu fais, tu le fais de la bonne manière."

Depuis cette date, Patrick Mahomes a empilé les titres et les récompenses, et a son rond de serviette au Super Bowl, puisqu'il va y participer pour la cinquième fois en sept saisons (trois victoires). Pourquoi lui et pas un autre ? "C'est un quarterback avant tout très intelligent, qui a un QI football extrêmement développé. Outre le talent sur le terrain, que ce soit par sa vision du jeu, sa capacité d'improvisation ou sa puissance de bras, c'est un vrai leader sur qui ses coéquipiers peuvent compter", énumère Peter Anderson, qui peine à lui trouver un réel défaut. "Il prend parfois un peu trop des risques et veut faire la différence tout seul", concède-t-il.

"Il y a difficilement une trajectoire comparable à celle de Patrick Mahomes. S'il gagne encore une fois dimanche, il ne va pas devenir le meilleur joueur de tous les temps du football américain parce qu'il y a Tom Brady. Mais il va rentrer sérieusement dans la discussion."

Peter Anderson

journaliste et commentateur NFL chez BeIn Sports

Né d'un père noir et d'une mère blanche dans un état aussi conservateur que le Texas, Patrick Mahomes s'est construit une personnalité rassembleuse, indispensable pour gérer à la perfection une équipe de 53 joueurs et un kaléidoscope d'egos et d'origines sociales. Encore plus dans une Amérique aussi polarisée qu'aujourd'hui. "En tant qu'enfant né avec un père noir et une mère blanche, j'ai eu la chance d'être accepté tel que je suis toute ma vie, mais ce n'est pas le cas de tout le monde", expliquait-il après la mort de George Floyd en 2020.

"Je pense que pour être quarterback, il faut être presque un 'bon père de famille', avoir une vie équilibrée, être un modèle pour les fans et ses coéquipiers. Il faut être un leader, et je pense que Patrick Mahomes le fait très bien. Il a sa petite famille parfaite, il est religieux, il vient du Texas. Il est impliqué dans la ville, il a investi dans le club de football féminin. Tout le monde l'adore", analyse Peter Anderson.

Comme Tom Brady - à qui il est souvent comparé - a pu l'être dans les années 2000, Patrick Mahomes est un produit de son époque, baigné dans les réseaux sociaux et les conflits sociétaux. "On a l'impression qu'il est le visage d'une Amérique plus XXIème siècle que Tom Brady, qui représenterait presque une sorte d'Amérique traditionnelle, très XXème siècle, très propre sur elle. Ce que n'est pas du tout Patrick Mahomes, qui assume d'être un peu plus 'roots', marqué par l'hybridité à la fois des cultures et des inspirations. Patrick Mahomes, c'est un peu le visage de l'Amérique de la NFL version 2025", observe de son côté Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport.

Leader de vestiaire mais voix discrète

Capable de s'échapper à merveille des affamés qui veulent le plaquer à chaque match, Patrick Mahomes esquive aussi les sujets brûlants. Dans une ligue marquée par l'histoire de Colin Kaepernick, Patrick Mahomes reste très discret sur son engagement politique, même s'il porte parfois sa voix, notamment pour le mouvement Black Lives Matter. "Il ne dira jamais un mot de travers, il ne va jamais prendre un risque sur une de ses déclarations", note Peter Anderson. "Lors de la dernière campagne présidentielle, on ne l'a pas vu s'associer au mouvement porté par LeBron James. C'est aussi ça, cette figure américaine : pour être heureux, il ne faut pas exprimer son positionnement politique dans un sport très conservateur, où les lois du marché sont encore plus fortes puisque les clubs sont détenus soit par des investisseurs soit par des milliardaires", complète Jean-Baptiste Guégan.

"On est dans toute la complexité des stars du sport à l'américaine : engagées dans leur communauté, ayant une capacité d'action nationale, représentant le visage d'une Amérique métissée. Le tout dans un environnement conservateur."

Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport

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C'est sans doute là le plus grand tour de force de Patrick Mahomes, aidé par un des plus grands coachs de l'histoire, Andy Reid, et un magicien de la défense, Steve Spagnuolo : amener dans son sillage année après année une équipe très diverse, composée aussi bien de Travis Kelce, en couple avec la chanteuse Taylor Swift, ouvertement démocrate, et le kicker Harrison Butker, qui a tenu des propos très réactionnaires et mysogines. "Je pense qu'il a une façon de comprendre les gens. Ces derniers s'intéressent aux choses qu'il a à dire, ou qu'il soutient, et en lesquelles il croit", relève son coach chez CNN. 

Dimanche, Philadelphie pourrait encore observer un échantillon de pourquoi ce jeune quarterback métisse et frisé est si spécial. "Il ne faut jamais parier contre Patrick Mahomes", est-il coutume de dire, tant le quarterback parvient toujours à faire tomber la pièce de son côté. Sa voix nasillarde, qui lui a souvent valu des moqueries, ne fait plus rire grand monde. Car à la fin, c'est presque toujours lui qui crie victoire.